On aura plaisir à lire ce numéro de Ridiculosa s’intéressant à « Caricature et identités locales ». Ce titre donne la tonalité générale : l’ensemble porte principalement sur l’analyse des identités locales ou régionales et de leurs dynamiques telles que véhiculées par la caricature, la bande dessinée ou les mèmes. La construction identitaire a deux faces : la caractérisation dépréciative de l’autre, mais aussi la valorisation de soi. Si ce prisme s’inscrit dans le pas des études, nombreuses, sur les identités nationales vues par la caricature, il en renouvelle évidemment l’intérêt en déportant le regard, vers un ensemble souvent négligé par la recherche. Dans les histoires de la caricature, la province – ou les colonies- demeure rarement évoquée, sinon ignorée malgré une production d’une incroyable richesse.
Bien sûr, ce numéro de Ridiculosa ne rend pas totalement justice au sujet, en se focalisant principalement sur les stéréotypes identitaires. La dynamique historique de production des images satiriques en province n’est que peu évoquée, le focus sur les représentations faisant passer au second plan les structures qui leur ont permis d’émerger. Et pourtant, depuis 1848 en France, une presse satirique de province – et une production d’images satiriques autonomes avant elle – a vu le jour dans des contextes politiques, économiques et culturels bien différents de ceux qui prévalaient à Paris. De ces contextes spécifiques ont résulté des productions très particulières, des tensions originales, notamment autour de la mise en caricature des élites locales, et donc sans doute aussi d’autres « tabous » qu’il serait intéressant d’explorer.
La question de la maîtrise des codes du dessin et de la satire se pose également, en relation bien sûr avec la norme que constitue la production parisienne dite « nationale ». Si nombre de dessinateurs de cette grande presse ont fait leurs premières armes en province avant de venir s’installer à Paris dans la perspective d’une ascension sociale, toute une production demeure strictement locale et recourt à des moyens rudimentaires, tant au point de vue graphique que culturel, le tout dans un contexte économique difficile pour une presse de « loisirs » nécessairement plus coûteuse que la presse d’opinion ou d’information sans images. On a sans doute dans ces journaux peu attrayants et souvent éphémères un corpus de discours visuels à la source des identités locales bien plus significatif finalement que les grands stéréotypes comme celui de l’Auvergnat ou du Breton, qui empruntent d’abord à la structure jacobine – et donc parisienne - de l’État français. On aurait pu imaginer également un article sur les allégories urbaines (allégorie de la ville de Lyon, de la ville de Paris, etc.) ou encore une étude du localisme a travers l'humour visant spécifiquement la ruralité.
N’empêche, l’ensemble de ce numéro stimule les curiosités et explore des modes d’expression très divers : presse satirique ancienne et récente, journaux de capitale ou des « marges », satire visuelle, bande dessinée, cinéma et… mèmes.
C’est indéniablement l’article de Yann Sambuis qui nous a le plus intéressé. L’auteur étudie une série de mèmes dérivant d’une image globale pour évoquer diverses régions françaises dans un jeu de différenciations, de reprises, de répétitions, de modifications à la marge, n’effaçant jamais la référence de départ – c’est le principe -, tout en laissant la part belle à une certaine créativité. Cette production d’images fortement contrainte, permet de s’interroger sur la culture même du milieu qui les produit et peut-être même au-delà, du public qui s’en gargarise. Si au 19e siècle les dessinateurs de presse ne cachaient pas leur culture littéraire, les mèmistes du 21e s’appuient de toute évidence sur un tout autre bagage. En effet, dans les motifs les plus fréquents convoqués dans ces images, les drapeaux locaux font pâle figure par rapport à la gastronomie locale qui arrive en tête des caractérisations de « l’ici », sans oublier les clubs sportifs ou quelques figures locales connues. On peut d’ailleurs se demander si la structure même de l’image de départ n’induit pas en partie cette « préférence » pour la gastronomie. En effet, le visuel présente une ado de profil assise à son bureau, lieu idéal pour disposer une assiette, un verre et ou une bouteille.
Cette exploration de mèmes – entre local et globalisation - dans un numéro sur la caricature, tout comme les études portant sur la BD, invite à s’interroger sur la proximité entre ces différents objets et sur leur nature caricaturale commune. Une question qui pourrait en elle-même faire l’objet d’un numéro de Ridiculosa même si, en attendant le résultat de cet éventuel questionnement théorique, l’exploration de productions si diverses apparaît comme tout à fait stimulante !

GD

Caricature et identités locales, le nouveau numéro de RIDICULOSA
Tag(s) : #News, #Comptes-rendus ouvrages
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