« Dieu peut bien se défendre lui-même », voilà le titre d’un récent documentaire (2024), réalisé par Isabelle Cottenceau pour le cinéma. L’ensemble est bâti autour de la plaidoirie de l’avocat Richard Malka, prononcée dans le cadre du procès (septembre 2020) des auteurs de l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Avocat de Charlie depuis 1992, Richard Malka se fait le chantre viscéral de la liberté d’expression, défendant bec et ongles l’esprit Charlie. Au fil de la plaidoirie lue par son auteur face caméra, la réalisatrice nous fait revivre les années qui ont précédé l’attentat de janvier 2015 : tensions autour de l’Islam au début des années 2000, affaire des caricatures dites de Mahomet en 2005-2006 et montage d’un dossier constitué de faux par des imams danois pour convaincre certaines chancelleries dites « musulmanes » d’organiser la riposte, etc.
Richard Malka puise son inspiration aux sources de Voltaire et des Lumières et fustige les hypocrisies, les renoncements, les reculades face aux menaces. Le documentaire alterne séquences « plaidoiries », extraits de journaux télévisés d’époque et déclarations de figures de la vie politique (présidents, ministres), ou encore de journalistes et de chercheureuses, l’objectif étant de souligner à quel point Charlie a pu se sentir seul face aux menaces et combien les discours, hormis dans les jours et les semaines qui ont suivi l’attentat, ont toujours caractérisé une diversité de points de vue par rapport à la question de la publication de caricatures de Mahomet.
Si cette plongée dans les tensions autour de Charlie a son intérêt, on regrette le principe de décontextualisation adopté par Cottenceau et Malka, qui confine à la naïveté, l’avocat se demandant pourquoi des islamistes ont pu en vouloir à ce point à un journal satirique innocent.
C’est oublier le contexte géopolitique dans lequel finalement la caricature, et donc la « liberté d’expression », ont finalement peu d’importance : les attentats du 11 septembre 2001, la riposte américaine avec la seconde guerre du Golfe en 2003… Oublier l’importance des interventions occidentales dans le reste du monde et les conflits qui leur sont liés réduit l’analyse à un enjeu moral, alors qu’il est bien politique et géopolitique. Les attentats de novembre 2015 en France qui ont suivi celui de janvier ont bien démontré que les islamistes radicaux ne se focalisaient en rien sur la caricature, mais savaient diversifier leurs cibles.
Comme Charlie Hebdo, terriblement meurtri dans sa chair et toujours soumis à une incroyable pression, Richard Malka pleure les ami.es disparu.es, la mort insupportable de proches pour quelques traits de crayon constituant le moteur même de cette indignation permanente contre les prétentions à vouloir limiter la liberté d’expression. Une indignation et une peine qu’on partage.
Mais au-delà du partage de cette douleur et de cette révolte contre les attentats, peut-on se contenter d’une si simple définition de la notion de liberté d’expression qui voudrait que l’on puisse finalement s’extraire des tensions du monde ?
A-t-on, par exemple, entendu Charlie Hebdo ou Richard Malka soutenir l’humoriste Guillaume Meurice lorsqu’il a été mis en cause l’an dernier pour une chronique dans laquelle il qualifiait « Netanyahou [de] sorte de nazi mais sans prépuce ». Charlie a au contraire enfoncé Guillaume Meurice, bien que relaxé par les tribunaux. La liberté d’expression, c’est avant tout celle de la direction qui chapeaute un média.

Richard Malka fait preuve d'une certaine naïveté, ou alors de mauvaise foi en expliquant ne pas comprendre pourquoi les islamistes radicaux visent autant les auteurs des caricatures de Mahomet que les Juifs (antisémitisme). Une fois de plus, en évacuant la géopolitique, on ne "comprend pas"... Même ambiguïté lorsqu'il évoque les mort imputables aux religions, et notamment au catholicisme (une réalité !), sans indiquer à combien s'élèvent les massacres coloniaux perpétrés par la République. Parce qu'il ne faut pas être trop regardant sur les "valeurs" de cette République qui a si longtemps dénié des droits aux femmes et aux peuples colonisés, sans oublier les hiérarchies sociales et les répressions de certains mouvement sociaux des 19e et 20e siècles.
Finalement, chacun.e défend « sa » liberté d’expression, sans trop se soucier de celle des autres. Et Richard Malka se garde bien de souligner combien les médias sont traversés par des tensions économiques, politiques et culturelles constitutives de leurs liens avec les élites financières, politiques et journalistiques qui les dominent et qui sont elles-mêmes le reflet de hiérarchies et d’intérêts bien compris. On peut toujours discuter de la « liberté d’expression » comme d’un principe idéal, mais ce principe n’a pas grand-chose à voir avec la réalité, somme toute plus complexe.
On rêve néanmoins d’un monde dans lequel les journalistes, dessinateurices, syndicalistes, ou militant.e ne seraient plus jamais menacé.es pour l’expression de leurs opinions.  
GD

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