La publication par LFI de trois visuels dont un ciblant le visage de Cyril Hanouna, pour appeler à une manifestation contre « l’extrême droite, ses idées et ses relais », a provoqué un concert d’accusations d’antisémitisme. La photographie en noir et blanc de l’animateur télé reprendrait les codes de la caricature antisémite des années 1930.
En la matière, il faut systématiquement distinguer l’intention de la réception. Ces dernières années, plusieurs images perçues comme antisémites par la presse et certains commentateurs, et dont les auteurs ont été traduits en justice, ont donné lieu à des relaxes, comme par exemple la peinture murale de Lekto à Avignon, mettant en scène Jacques Attali manipulant un Pinocchio aux traits du président Macron. La sensibilité particulière à l’antisémitisme fait que des caricatures reprenant les codes de l’imagerie négrophobe coloniale ne sont pas inquiétées, quand l’accusation d’antisémitisme est fréquemment dégainée.
Il ne suffit pas de proclamer qu’une image a des points communs avec les pires caricatures nazies du Stürmer pour que l’antisémitisme soit caractérisé. Idem pour le fameux dessin publié en 2019 par l’édition internationale du New York Times et qualifié la semaine suivante par le même journal de plus grande monstruosité antisémite de tous les temps. On voit bien dans cet exemple que la question de l’appréciation, du point de vue, de la subjectivité, est déterminante. On ne peut une semaine trouver tout à fait intéressant un dessin au point de le publier et la semaine suivante le penser génocidaire, sans que la bascule pose question.
Avec LFI, on peine à imaginer une intention antisémite, dans le sens où aujourd’hui, produire sciemment une image reprenant les codes de l’antisémitisme de la fin du 19e siècle ou des années 1930, paraît totalement suicidaire. Cela n’empêche pas que nous puissions trouver fortement problématique cette image.
La première gène – fondamentale – tient au fait qu’il s’agit d’une « photographie », et que cette photographie a été générée par une IA à qui LFI a de toute évidence demandé de travailler les traits du visage d’Hanouna pour lui faire exprimer la haine. Si la violence d’Hanouna est reconnue, violence verbale au demeurant, traduire cette violence dans la physionomie contrevient au respect de l’identité, de l’intégrité de la personne. En l’occurrence, le fait d’avoir choisi le médium de la photographie, que nous associons à la réalité (on parle de vérisme) est totalement contraire à toute éthique. La caricature ou le photomontage mentent, recourent à la mauvaise foi, exagèrent, mais ne cachent pas leur intention satirique. Ainsi, le public ne peut être trompé sur le registre peu sérieux de ce type d’images. L’interprétation sera conditionnée par cette claire connaissance de l’intention « décalée ».
Le visuel de LFI ne s’inscrit pas du tout dans cette logique. Il nous présente une expression faciale de Cyril Hanouna comme une réalité, un témoignage crédible, un instantané « historique » et vrai, une expression qu’aurait arborée Hanouna dans un moment de sa vie, une PREUVE de son radicalisme, de sa haine. Or, il s’agit d’une pure construction, d’un fake, d’une manipulation, puisque le visage a été conçu par une IA. Cyril Hanouna est en quelque sorte diffamé, tandis que la personne qui regarde le visuel est trompée. De ce point de vue, le visuel de LFI est peut-être pire qu’une caricature. Pire parce que plus pernicieux, moins frontal puisqu’il ne s’agit pas d’un dessin qui proclame « je suis une pure invention », « je suis une pure intention ».

On peut prolonger cette question éthique avec la troisième image utilisée par LFI pour cette campagne, une photo montrant Elon Musk faisant un salut nazi. Et s'il n'avait jamais commis ce geste ? S'il s'agissait d'une photo générée par une IA (ce qui n'est pas le cas, Musk ayant réellement réalisé en public le salut hitlérien) ? Le portrait de Hanouna diffusé par LFI est d'abord et avant tout une deepfake ! 

Que Trump ou d'autres diffusent des deepfakes est une chose, mais LFI ?

Représenter la haine
Comment traduire la haine par les traits d’un visage ? Voilà la difficile question à laquelle s’est frottée l’IA générative, appelée à la rescousse pour produire cette image, ainsi qu’une autre, s’appropriant le visage de Pascal Praud, un autre animateur conservateur. Il est intéressant de comparer les deux.
Si le même procédé semble avoir été utilisé pour métamorphoser les deux visages, et si l’enjeu éthique d’un mensonge visuel est identique pour l’un et l’autre, on perçoit une différence flagrante, sans que l’on puisse savoir à ce stade s’il s’agit d’un biais inhérent à l’IA, ou d’une intention, liée à la formulation du prompt.
Si dans les deux cas les traits sont marqués et déformés, celui d’Hanouna apparaît comme bien plus menaçant. Le contraste entre la carnation et l’arrière-plan, la symétrie ou la dissymétrie du visage (celui de Praud relève plus de la moue que de la charge et de l’offensive), la position du visage (Hanouna semble nous dominer), l’orientation et l’épaisseur des sourcils (plus marqués chez Hanouna), les traits autour de la bouche et du nez, donnent au faciès d’Hanouna un caractère particulièrement inquiétant. L’ex animateur de M6 inquiète, fustige, menace, domine, tandis que les traits de Praud relèvent d’une dépréciation nettement moins offensive, dans laquelle la colère ou la haine justement, semblent absentes. La différence de traitement entre les deux visages est d’autant plus marquée que celui d’Hanouna semble sortir de nulle part (effet de clair-obscur) tandis que la tête de son confrère médiatique est bien posée sur un corps (ligne formée par son épaule), ce qui l’humanise indéniablement.
Dans tous les cas, le procédé choisi ici est particulièrement vicieux : l’expression de la colère ou de la haine – qui contrevient dans nos sociétés démocratiques aux valeurs humanistes – procède d’un enlaidissement « biologique », qui n’est pas sans rappeler d’autres affaires qui ont marquées en leur temps, comme par exemple la « Une » de Time dans le cadre du procès d’OJ Simpson (1994). La photo sciemment assombrie de l’accusé publiée en couverture du magazine, donnait à Simpson une expression patibulaire et effrayante, « preuve » de sa culpabilité. Il s’agissait bien d’une manipulation raciste.
Dans le cadre des visuels produits par LFI, le problème vient du fait qu’enlaidir « biologiquement » une personne (le laid, le sombre et le sale sont souvent combinés), est le fondement même de la rhétorique raciste et antisémite, l’objectif étant de créer un fossé anthropologique entre le « eux » et le « nous » dans une perspective suprématiste, c’est à dire d’une domination du « nous » sur le « eux », tenus pour strictement méprisables. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes de rejet d’une communauté, de discriminations, de violences à son encontre.
Finalement, le pire n’est sans doute pas que LFI ait cherché à incarner cette haine qu’il dénonce en demandant à une IA de produire un visuel à partir des visages d’animateurs télé, même si le procédé est profondément choquant. Que la dimension éthique de cette manipulation leur ait échappé nous sidère, mais surtout, qu’ils aient été incapables de « penser » la réception de tels visuels, et notamment celui d’Hanouna, est le marqueur d’une cécité profonde. Impenser le racisme, le sexisme, le racisme ou la grossophobie, voilà le fondement même de nos sociétés hiérarchisées, excluantes et non inclusives, traversées de dominations et d’oppressions. Car même sans envisager la question des « origines » d’Hanouna, dans tous les cas, il est difficile de ne pas voir dans l’image une forme de « racialisation » vertigineuse, qui rappelle indéniablement bien des images colonialistes, racistes ou antisémites.
Justifier cette campagne d’affiches par la méconnaissance des antécédents historiques, comme l’a fait Mélenchon, relève non seulement de la plus formidable mauvaise foi, mais en plus d’un insupportable mépris. Peut-être nous expliquera-t-il demain qu’il n’était pas au courant de l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ?

GD

Tag(s) : #Analyses sur la caricature
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