/image%2F0947248%2F20250411%2Fob_3dfd5d_papiers-nickeles-n-84-couv-1-scaled.jpg)
(Nous tenons à nous excuser auprès des personnes qui suivent nos publications, pour une erreur de date à propos des dessins antisémites de Willette. Willette n'a pas réalisé ces dessins à "la fin des années 1870" comme nous l'avons écrit, mais au milieu des années 1880. Merci à Laurent Bihl qui nous a, avec raison, tiré l'oreille à propos de cette erreur).
Dans le dernier numéro de la revue Papiers Nickelés, un seul article est spécifiquement consacré à l'image satirique, celui de Daniel Grojnowski sur le Carnet de chèques (antisémite) de Caran d'Ache. Un article au ton déroutant qui donne le dernier mot à Édouard Drumont (!), néanmoins intéressant du point de vue de la contextualisation du fameux carnet, mais qui n'analyse pas l'antisémitisme de Caran d'Ache. L'auteur parle de "caricature engagée" et caractérise très vaguement et étrangement l'antisémitisme graphique de l'époque pour lequel "de nombreux caricaturistes ont reproduit ce type [du Juif] à satiété, en se contentant d'apporter, chacun son tour, de simples variations : un nez courbe proéminent, des lèvres lippues, une calvitie compensée par des favoris, etc...". Un peu court !
La caricature antisémite de la période présente des caractéristiques autrement plus complexes que celles brossées par Daniel Grojnowski. Elle construit un Juif imaginaire qui associe les Juifs à l'argent, à l'étranger, tout en creusant un fossé anthropologique profond entre "Juifs" et non Juifs. Chez Caran d'Ache dans Le Carnet de chèques, le Juif apparaît comme le corrupteur, le tentateur, prêt à toutes les ruses, dont le travestissement de genre, la fausse amitié, le harcèlement, la dissimulation et l'usurpation d'identité ou de profession, pour parvenir à ses fins, face à un "goy" longtemps inflexible et droit, mais qui, acculé, finit par se soumettre face à tant de pressions. La seconde partie confirme la dimension machiavélique du projet "juif", le corrupteur étant capable, là encore, de mettre au point une grande diversité de stratégies corruptrices. Et in fine, en sa troisième partie, le Carnet de chèques confirme ce fossé entre d'un côté le Juif riche et corrupteur générique (il n'est qualifié par aucune autre caractéristique), et de l'autre tous ceux et celles qui on "touché", ou surtout qui n'ont "pas touché", c'est à dire des non Juifs, des "Français", incarnés par une grande diversité (apparences, tenues vestimentaires, fonctions sociales) de personnages riches ou pauvres.
Si le Carnet de Chèque peut fasciner par l'originalité du recours au fac-similé (dont le réalisme est accentué par les traces d'empreintes digitales, de ratures et de tâches), on fait face à une production incroyablement venimeuse, qui accompagne l'extrême violence antisémite de Drumont et Cie. Caran d'Ache s'inscrit dans les pas de Willette, qui a été le premier à remettre au goût du jour l'antisémitisme graphique, avec de grands dessins (parfois en doubles pages) hostiles aux Juifs dans Le Courrier français, dès la fin de la milieu des années 1880, réalisant plusieurs portraits laudateurs de Drumont en croisé armé mettant à bas le judaïsme, et se présentant lui-même en 1889 comme "candidat antisémite".
Dans le Psst...!, l'ignoble Caran d'Ache ira encore plus loin en axant sa rhétorique antisémite sur la dimension biologique et héréditaire de la judéité, accentuant l'idée d'une "race" (essentialisation) dégénérée, méprisable, spécifique et totalement étrangère à un autre fantasme, la "francité". Willette avait préparé le terrain en faisant émerger, dès 1886, la figure du "gaulois", historicisant et donc donnant une justification raciale et "scientifique" (les races sont alors présentées comme des données objectives par la science de l'époque, et par nombre de républicains dont Jules Ferry par exemple) au fossé supposé entre "Français" et "Juifs.
Des enjeux bien plus complexes et problématiques que ceux présentés, avec une certaine légèreté (et complaisance ?), par Daniel Grojnowski
Guillaume Doizy
Le sommaire :
Marcelino TRUONG, de Saïgon à Saint-Malo, par Nathalie Chateau-Vigneron
Les mille univers de Maximilien VOX, Par Yves Frémion
Les 100 ans de Zig et Puce… et Alfred, par Jean-Jacques Lalanne
Le Russe vu par les comics étatsuniens des années 1940-1950, par Michel Malty
La femme dans la BDQ (4e épisode: La Révolution Tranquille (1968-1978), par Mira Falardeau
La caricature engagée CARAN D’ACHE et le Carnet de chèques, par Daniel Grojnowski
Les mises en page de l’Almanach de la jeunesse, par Théophraste Épistolier
Une affaire de vignettes, par Francis Saint-Martin
Couverture : Truong. « Si loin dans le bleu » (Équateurs, 2024) illustration originale
/image%2F0947248%2F20240719%2Fob_55890a_0003-cc-129213.jpg)
La fiche Wikipedia sur Caran d'Ache se montre particulièrement complaisante envers le dessinateur, concernant sa production hostile aux juifs. On peut lire en effet sur la célèbre encyclopédie ...
https://www.caricaturesetcaricature.com/2024/07/caran-d-ache-antisemite.html