Après les premières mesures de Combes, Jaurès déclare que l’Arbre de l’Eglise « est mordu à la racine, il dépend de nous de l’arracher ». Rappelons que le 7 juillet 1901 à Villefranche-d’Albi, Madeleine Jaurès, la fille du tribun, fait sa communion solennelle. A gauche, on s’indigne, et certains même pouffent de rire : « Eh bien quoi ! Jaurès, pendant que vous nous faites manger du curé, vous faites bouffer le bon Dieu à vot’ demoiselle ? ». Lafargue qui, à l’instar de Guesde, dénonce l’anticléricalisme comme étant un attrape-nigauds destiné à retarder les réformes sociales, accuse le tribun d’être une fois de plus en contradiction avec ses principes. Certains exploitent ce fait « invraisemblable » mais « lamentablement vrai » pour affirmer, faussement d’ailleurs, que Jaurès avait fait baptiser ses enfants avec de l’eau du Jourdain. Dans L’Aurore, Urbain Gohier pourtant dreyfusard, mais dont la haine qu’il éprouve pour Jaurès va devenir l’un des buts de son existence, lance une série d’articles injurieux intitulés : Le cas Jaurès. Il écrit que le leader socialiste a « lancé dans l’église de Villefranche un insolent défi à la France révolutionnaire », et l’affuble de l’insolent sobriquet « d’apôtre du Jourdain ». Dans Histoire d’une trahison, il l’accuse d’avoir « envoyé sa femme au confessionnal et conduit sa fille à la Sainte Table » alors qu’autrefois, dans les banquets, il hurlait la Carmagnole « d’une voix formidable : Le Christ à la voirie ! La Vierge à l’écurie !... ». Dans son Briand, Suarez écrit qu’à cette occasion, Jaurès connut « les affres d’une pénible crise de conscience. Il accumula démentis sur démentis, nia l’évidence, s’enferra dans ses mensonges. Sa pauvre âme de grand homme accrochée à sa renommée, ne se montra jamais aussi débile, aussi minable que dans cette bouffonnerie. Il n’eut aucun courage, ni celui d’avouer, ce qui eût été honorable, ni celui de tenir tête à ses accusateurs ». Le tribun se voit contraint de paraître devant le Comité général socialiste qui, dans une attitude totalitaire et attentatoire à la dignité humaine, vient fouiner dans sa vie privée. Briand qui observe l’illustre accusé autour duquel on se bouscule pour mieux l’apercevoir, écrit : « le ventre collé à la table du secrétaire, pantelant d’effroi au milieu de ses poils ; son tic de l’œil droit ne le laisse pas en repos. Sa cravate flâne sur l’épaule, sa lourde main crispée descend à sa poche pour des fouilles problématiques ». Toute cette polémique laisse des traces dans la caricature, et c’est un Jaurès aux deux visages que l’on découvre dans le numéro 3 de Combes… Grégations, une série de gravures du dessinateur Orens. Ici, dans une attitude ambivalente, Jaurès déclare d’un côté : « Vive le baptême » qu’il reçoit (main d'un curé en habits de messe) en baissant les bras et en recevant l’eau bénite sur la tête ; et de l’autre : « A bas les cléricaux ! ! !», paroles qu’il prononce en levant les bras, comme s'il haranguait une foule du haut d'une tribune. Ce dessin révèle toute l'ambiguité de certains anticléricaux face au conformisme social et religieux dans une période où l'anticléricalisme imprègne fortement les esprits.
Par Bruno de Perthuis
Jean Jaurès - caricatures : exposition itinérante à louer / imprimer
31 juillet 1914 : assassinat de Jaurès, déclenchement de la Première Guerre mondiale. Ces deux événements tragiques instituent la mémoire du tribun, ancrent sa postérité dans les imaginaire...
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