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Courbet face à la caricature, Le chahut par l’image , Thomas Schlesser et Bertrand Tillier, éditions Kimé, 2007, 187 p., 20 euros.

Autant le dire, avec ce livre, les amateurs de belles images seront déçus. « Jamais, depuis le volume de Charles Léger en 1920, une telle masse documentaire n’avait été rassemblée » annonce la jaquette. Hélas, si le nombre impressionne, 200 gravures s’attaquant à la figure ou aux œuvres du peintre réaliste, la qualité des reproductions fait généralement défaut : images floues, en noir et blanc même pour les charges produites en couleur (nombreuses à partir de 1870), vignettes de taille très réduite rendant difficile la compréhension de la scène, légendes illisibles… Quel dommage ! car la jaquette ne ment pas, la documentation s’avère particulièrement riche et passionnante !
L’esprit se délecte de ces charges innombrables, Courbet le réaliste fut l’artiste le plus caricaturé de son temps, précédant de quelques années Zola et son naturalisme.
Sous les crayons de Cham, Bertall, Nadar, Quillembois, puis plus tard de Gill ou Le Petit, dans Le Charivari, Le Journal amusant, Le Journal pour rire, La Lune et le Grelot pour ne citer que quelques supports, l’artiste voit son œuvre passée au crible de la raillerie. Le milieu du XIXe siècle instaure une tradition, celle des Salons caricaturaux, proposant au lecteur avisé des parodies réjouissantes et parfois très méchantes des œuvres présentées au Salon ou, avec Courbet… présentées tout court.
Le dessinateur s’ingénie alors à rendre compte des évolutions artistiques, en les prenant évidemment en mauvaise part, pour mieux susciter le rire. Toute nouveauté se voit flétrie (comme l’Impressionnisme par exemple), mais aucun peintre ou sculpteur n’est alors à l’abri. La caricature s’interpose entre l’œuvre et le spectateur fonctionnant comme une véritable critique dérisoire de l’art, qui prend parti et s’étale à côté du discours savant et autorisé sur les Salons. L’ingénieuse parodie des œuvres vise également leur réception, dans la relation complexe qui s’établit avec le spectateur (parfois lui aussi moqué).
Courbet suscite l’horreur et le dégoût : des membres du Jury s’évanouissent à la vue de ses œuvres ; un zouave, qui en a pourtant vu d’autres, est pris d’un mouvement de recul devant un tableau illisible, mais dont la signature « Courbet » apparaît en grand.

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Autour des Casseurs de pierres tout un discours dévalorisant se met en place, qui traduit une certaine crainte dans la subversion du discours présumé de Courbet (considéré comme un socialiste), tout autant qu’un fort mépris social. On retrouve ce mépris tout au long de l’infortune critique graphique de l’œuvre du peintre, contre un monde qui n’a pas l’habitude d’être dévoilé dans les Salons : la campagne et les paysans (les fileuses, par exemple), dont le spectateur (et le dessinateur en premier lieu) s’offusque de la saleté et de la laideur. Pour salir le peintre, la caricature accable ses modèles et accroît leur difformité présumée. Mais le dessin satirique n’absout pas Courbet, accusé de ne point savoir peindre : cette critique produit les vignettes les plus fascinantes : les caricaturistes arborent des graphismes enfantins et simplificateurs, jouant sur les disproportions, voire les distorsions produites par le jeu de déséquilibre dans la disposition des éléments sur un visage par exemple ou sur l’ensemble d’un corps. Ces vignettes évoquent les facéties des Incohérents, qui s’opposeront, quelques années plus tard, sous couvert de dérision, à la tradition académique.
Les charges visent également l’homme public présenté comme infatué de sa personne, le regard hautain, avant de devenir le révolutionnaire « déboulonneur » et le « colonnard ». A la fin de sa vie, Courbet, dans la caricature, est devenu gros et alcoolique.
Le lecteur, quoi que nécessairement déçu par la qualité des images reproduites, se consolera avec l’analyse de Thomas Schlesser, auteur de plusieurs études sur Courbet, et de Bertrand Tillier, spécialiste de la caricature et du peintre franc-comtois. Le passionnant essai, riche et très documenté (qui comprend également une table des dessinateurs et une bibliographie indicative), s’intéresse à l’imagerie dévalorisante de la peinture de Courbet, sous l’angle de la critique esthétique et met en perspective le dessin de presse contre le peintre dans l’histoire générale de la réception de son œuvre et de sa personne au XIXe siècle.
Une promenade passionnante dans les arcanes de l’infortune critique de Courbet, mort en 1877 et qui devra attendre 1882 pour voir une exposition rétrospective posthume à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris réhabiliter enfin son art.

Voir une série de caricatures sur Courbet

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