Eduard Thöny, Nouvelles cibles du Mouvement des femmes, MAHLBERG-GRÄPER, Bruni,
100 Jahre Simplicissimus (1996), p. 83.
Par Marie Delépine
Comment appréhender ce qui fait l'esprit d'une époque à travers le prisme des caricatures ? La question est récurrente en matière de dessins humoristiques. Et qu'en est-il de l'Allemagne à la fin du siècle dernier ? Les dessinateurs humoristiques allemands ne se contentent pas alors de mettre leur talent au service de grandes crises politiques et idéologiques. Comme partout, des portraits-charges livrent des personnalités en pâture à une opinion publique hilare, mais ce n’est qu'un élément parmi d’autres du discours caricatural. En fait, l'histoire de la satire graphique touche à l'histoire des mœurs et à l'histoire sociale et les caricatures de la Belle Époque illustrent la société qui les voit naître. Omniprésentes dans les revues satiriques de l’époque, les silhouettes « 1900 » se font de plus en plus nombreuses et plus attrayantes, puisqu'elles sont désormais en couleurs. Ceci vaut tout particulièrement pour la caricature allemande. Longtemps en retrait par rapport à l'évolution du genre en France et en Angleterre, celle-ci connaît, malgré le caractère autoritaire et conservateur du régime de Guillaume II, un véritable essor. Dans ce domaine, Munich prend peu à peu le relais de Berlin. (1)
Apparition de l'Ève nouvelle
L'Ève nouvelle, une expression au fort contenu symbolique fit fortune dans la littérature et la presse européenne de la fin du XIXème siècle (2). En Allemagne, c'est l'apparition de la femme nouvelle (das neue Weib) que l'on se plaît à célébrer ou au contraire à fustiger (3). Peu importe le nom que l'on veut bien donner à cette donnée sociale incontournable, le constat semble sans appel :
« Ève se meurt, Ève est morte: à sa place surgit une créature d'un genre nouveau, différente, inconnue. Quoi de plus inquiétant? » (4)
Cette question en appelle une autre, plus rhétorique encore : inquiétant certes, mais pour qui ? Une réponse s'impose : pour le vieil Adam dira-t-on s'il l'on se plaît à reprendre la même typologie. Celui-ci ne tardera d'ailleurs pas à réagir et à préciser, avec plus ou moins de virulence, la nature exacte de ses inquiétudes.
Le sujet ne suscite pas seulement l'intérêt des caricaturistes, il les passionne. Pour s'en convaincre, il suffit de céder à la nostalgie des images et de parcourir les nombreuses caricatures qui témoignent de ce que certains qualifient de « guerre des sexes ». Le débat fournit aux caricaturistes une source inépuisable d'inspiration. Les moyens et les thèmes permettant d'aborder la question sont des plus divers, mais les domaines restent conventionnels : les mœurs, le couple, la maternité. Rapidement, d'autres préoccupations, plus modernes s'y ajoutent : l'éducation, le travail ou les loisirs, puisque le sport (la bicyclette, le tennis ou la baignade) fait fureur à l'époque. Précisons qu’il n’est pas question de traiter ici du mouvement féministe allemand et de ses implications sociales ou politiques, mais d’aborder la réception de celui-ci par ses contemporains en se référant à un support particulier, celui du dessin satirique. Comment les caricaturistes accompagnent-ils cette évolution ? Prennent-ils pris conscience qu'ils assistent à une véritable mutation, dont la société wilhelminienne devient le cadre ? Le choix du support est d'autant plus intéressant que les caricaturistes de l'époque sont pratiquement tous des hommes, des hommes qui - en outre - s'adressent à un public largement masculin (5) Contribuent-ils à une évolution de la représentation esthétique et culturelle de la femme jusqu'alors dépendante d'un imaginaire masculin préétabli ? Parler de l'Ève nouvelle, cela revient inévitablement à évoquer les réactions masculines face aux changements intervenus en matière de condition féminine. Ces changements, les hommes du tournant du siècle en sont - qu'ils le veuillent ou non - les premiers témoins. L'enjeu est de taille : ce sont les représentations et les mythes que l'imaginaire et le pouvoir masculin - associés pour le meilleur et pour le pire – ont forgé durant des millénaires qui sont remis en question. Dès lors, les conséquences se font douloureusement sentir. La fin du XIXème siècle s'avère être une période d'identité sexuelle en crise. La femme avec un grand « F », le « beau sexe », le « sexe faible ou second », autant d'appellations figurant au fronton d'un édifice qui se met désormais à vaciller. Cet édifice, celui de la féminité rêvée, repose sur des arguments fragiles, mais néanmoins familiers et rassurants. Durant des siècles, la culture visuelle occidentale, héritière des valeurs religieuses judéo-chrétiennes, a offert de la femme des représentations stylisées en livrant à la fois modèles et contre-modèles. Les arts plastiques, en particulier la peinture, ont contribué à organiser la féminité autour de deux pôles opposés : la sacralisation et la démonisation. La madone, la muse ou la séductrice sont des archétypes féminins récurrents qui hantent encore l'imaginaire culturel occidental.
Le XIXème siècle a largement puisé dans ce catalogue de représentations féminines. Certains artistes les ont, conformément au goût bourgeois dominant, adaptées telles quelles. D'un côté, ils se sont plu à représenter une femme gardienne des vertus domestiques ; de l'autre, c'est la déviance et le danger qu'ils ont dépeints : les prostituées et, dans le même lot, les femmes émancipées. La Belle Époque est caractérisée par une coexistence, mais aussi par une opposition de plus en plus vive de toutes ces valeurs contradictoires. Certaines visions sont cohérentes, mais d'autres le sont moins. Toutes ensemble permettent d'approcher une définition de ce que signifie être une femme dans la société wilhelminienne. C'est par rapport à ces masques multiples et immuables que les femmes ont à se définir ; ceci dans un contexte très masculin où, rappelons-le, l'uniforme est roi. Mais les caricaturistes s’attachent-ils vraiment à donner une image juste des femmes, c'est-à-dire conforme aux réalités quotidiennes et sociales de celles-ci ?
Place des femmes dans la caricature galante de la Belle Époque
Classe montante à l'époque, la bourgeoisie devient vite une cible privilégiée des caricaturistes. Les conventions et l'hypocrisie morale des familles bourgeoises sont tournées en dérision : puissance relative et autosatisfaction caractérisent cet univers. On y découvre des jeunes filles frivoles et naïves occupées à trouver un mari pour assurer un avenir social et financier. Cette « chasse à l'homme » se déroule dans un climat de concurrence ouverte, où la solidarité féminine est loin d'avoir cours. C'est également l'époque des maîtresses abandonnées, avec ou sans enfant en bas âge, des premières déceptions et des scènes de ménage bruyantes. Les caricaturistes s'intéressent à la vie privée de leurs contemporains et, comme pour la comédie, celle-ci fournit la plupart des sujets. Le mariage constituant une des étapes essentielles de la vie sociale, il n’est guère étonnant que les mésalliances et les mariages arrangés inspirent les dessinateurs. L'idée générale est qu'il s'agit d'un enterrement de première classe que seuls les délices de l'adultère parviennent à épicer. Les dessins mettant en scène des jeunes femmes qui épousent des vieillards pour leur soutirer leurs économies et prendre un amant, font légion. Elles viennent conforter une opinion alors très répandue et les frasques extraconjugales constituent un sujet de prédilection des dessinateurs. Notons que si les épouses cèdent facilement à l’appel de la chair, leurs maris ne s'en privent guère non plus. Pour ces derniers, la morale semble pourtant encline à plus d'indulgence… Seuls les humoristes peuvent ainsi se permettre de souligner la fragilité des attachements d'un monde soucieux de préserver les apparences, un monde où les sentiments profonds et sincères ne jouent qu'un rôle secondaire. Les rieurs potentiels retrouvent donc leur milieu avec ses exigences et ses travers. Au fil des dessins, ils se plaisent à identifier une vague connaissance, dont ils se moquent sans admettre que c'est aussi d'eux-mêmes qu'ils se gaussent.
Le panorama social féminin présenté par les dessinateurs va des demi-mondaines aux ouvrières en passant par les activistes émancipées, les danseuses et les modèles d'atelier. D'une page à l'autre, on passe des intérieurs bourgeois cossus aux scènes d'alcôves. Tout ce petit monde fait l'objet de plaisanteries faciles et les situations s'y répètent à l'infini : le comique de répétition masquant parfois le manque d'imagination de certains auteurs. La Belle Époque voit aussi apparaître une génération de dessinateurs espiègles qui donnent à la femme une place de choix. La caricature n'étant pas le lieu propice aux discours nuancés, la qualité de la production est très hétérogène. Les caricaturistes allemands n'hésitent pas à suivre l'exemple de leurs confrères français en l'adaptant et l'atténuant. C'est l'époque du comique grivois et de la « gauloiserie ». Au gré d'un vent toujours complice, tout est en effet prétexte à dévoiler les jupons froufroutants des dames. On retrouve cet esprit dans les légendes et les dessins traitant de l'émancipation des femmes. Barbons, dons juans et prétendants d'une part, femmes émancipées (et en cela doublement fatales !) de l'autre. Les anciens et les nouveaux archétypes se répondent, s'affrontent et font la une des revues satiriques. Chaque fois, l'arme reste la même, implacable : le stéréotype. Se limiter à ce type de représentations de la femme revient à en donner une image trompeuse et donc tronquée. Toutes les femmes n'appartiennent pas en effet à l'aristocratie et à la haute bourgeoisie. De plus, en se limitant à ces dessins, on risque ainsi de réduire la société wilhelminienne aux clichés traditionnels qui accompagnent aujourd’hui la notion de « Belle Époque » : l'image d'une société insouciante lancée dans la seule quête du plaisir. La réalité est naturellement bien plus complexe.
Visages et attributs de la femme moderne
A quoi reconnaît-on la femme moderne, celle que l'on qualifie aussi, en ces temps de grandes innovations technologiques, de « progressiste » ? (6) Existe-t-elle vraiment, ou n'est-elle qu'un nouvel avatar de l'image de la femme ? Les dessinateurs humoristiques essaient en tout cas de l'appréhender. La caricature relevant du visuel, c'est l'aspect physique, les attributs et les accessoires de la femme moderne qui sont mis en avant. A cela s'ajoute l'humour, le « Witz » des légendes. Le discours des femmes nouvelles devient le sujet de nombreuses satires. L'Ève nouvelle entreprend des études universitaires et elle travaille (7). Ce qui suscite le plus d'intérêt, ce n'est pas le simple fait que les femmes exercent une activité professionnelle : il y a toujours eu des paysannes et des domestiques. Ce qui étonne, c'est que des jeunes filles issues de familles bourgeoises prétendent exercer des professions réservées aux hommes. Certaines désirent en particulier devenir professeur, notaire, avocate ou même médecin. Force est de constater que les préjugés ont la vie dure, et que les arguments sont discutables. Les caricaturistes reprennent l'opinion selon laquelle, pour la plupart des hommes de l'époque, savoir et beauté ne sauraient faire bon ménage. Les « bas-bleus » font ainsi leur apparition dans les caricatures (8). C'est le titre d'une caricature des Fliegende Blätter dans laquelle un jeune homme essaie de dissuader une jeune fille d'étudier et croit - tout en lui faisant la cour - pouvoir la ramener sur le droit chemin. La légende est la suivante :
_ « Mais voyons, avec un aussi joli minois, on ne fait pas d'études ! » (9)
Les femmes cultivées sont déconsidérées. Comme à l'époque des Femmes savantes, on leur reproche d'être pédantes et ennuyeuses. C'est le cas de l'enseignante, dont on craint qu'elle supplante le mari-pédagogue et réduise à néant les efforts de celui-ci.
En réalité, c'est la nouveauté qui déroute, et l'on a du mal à s'habituer aux bouleversements. Plus importants que jamais dans l'Allemagne wilhelminienne, les titres et les grades, risquent de ne plus rester un privilège masculin. Les humoristes se moquent donc de la Fräulein Doktor. Il y avait déjà des Frau Doktor, mais il s'agissait des femmes portant le titre académique de leur époux. Le terme de Fräulein Doktor est sans équivoque. Il insiste sur le fait que les jeunes filles concernées ont étudié et obtenu leur titre, grâce à leur mérite, à leurs compétences. Et c'est justement cela qui fait sourire ! En évoquant les étudiantes, on s'attache moins au savoir acquis qu'à leur conduite. La comparaison avec l'étudiant, un autre archétype social chargé de clichés, était tentante. Si les jeunes filles adoptaient le mode de vie dissolu des garçons, qu'adviendrait-il de la moralité et des convenances ? Dans l'éventail des professions concernées, ce sont les femmes-médecins et les femmes-peintres qui provoquent pourtant le plus d'émoi. Les tabous sexuels et moraux sont encore vivaces. On tremble à l'idée que des jeunes filles soient confrontées à la nudité, en particulier à la nudité masculine. Chez les femmes-artistes, ce sont les libertés associées à la vie de bohème qui effraient. Là encore, critiques et refus se font jour. Certains jouent sur le registre de la permissivité sexuelle, d’autres reprochent aux femmes-peintres (Malweiber), leur manque de créativité.
Alors que la plupart des humoristes fustigent l’évolution en cours, d'autres, plus modérés ou peut-être plus perfides, tergiversent et cherchent des prétextes. L'étude de la médecine pourrait, selon eux, avoir des effets négatifs sur les jeunes femmes. Celles-ci perdraient le sens du romantisme que l'on apprécie tant chez elles. Cette idée transparaît dans le dialogue amoureux ci-dessous :
Lui : _ « Enfin tu es mienne ! J'entends ton cœur frémir au son de ma voix. »
Elle : _ « Tu te trompes, mon cher, il s'agit de l'aorte. » (10)
Certains caricaturistes n'hésitent pas à reprendre le préjugé de la frivolité féminine. Ils relativisent le sérieux et la valeur scientifique de leurs études. C'est le cas dans un dessin représentant une étudiante en médecine qui passe un examen. La jeune femme est habillée sobrement et porte des lunettes. Elle est entourée d'hommes et la légende est la suivante :
_ « Mademoiselle la candidate, voulez-vous me dire, ce que vous constatez chez cette patiente ? »
_ « Le sujet porte un jupon de soie. » (11)
Cette caricature permet d'aborder un autre aspect essentiel. Parallèlement à l'activité professionnelle, l'aspect vestimentaire joue un rôle primordial dans la représentation de l'Ève nouvelle. La mode et ses extravagances constituent un autre domaine traditionnel de la caricature (12). Mais au tournant du siècle, les moindres symboles vestimentaires sont interprétés : les robes taillées en veste, les cravates, les pantalons bouffants des femmes-cyclistes. Tous ces éléments marquent le passage d'un mode de vie domestique à un mode de vie plus actif. Si les vêtements changent, c'est surtout pour des raisons pratiques de commodité. Mais ces nouveaux attributs vestimentaires annoncent aussi le changement de mentalités qui s'opère et les caricaturistes soulignent une masculinisation de la mode féminine. Ils se moquent de ce qui n'est encore pour eux qu'un déguisement, une exubérance et finalement un caprice de plus.
Thomas Theodor Heine, La visite des jeunes mariés, Simplicissimus, 1. Jahrgang, Nr. 31
Les premiers utilisateurs de la « petite reine » font déjà l'objet de railleries. Lorsque les femmes ont l'idée d'enfourcher ces drôles d'engins, les dessinateurs redoublent d'imagination pour commenter l'événement. Thomas Theodor Heine offre plusieurs variantes du phénomène : deux hommes d'un âge certain font de la bicyclette sur une route de campagne, une jeune femme, elle aussi sur deux roues, arrive à leur hauteur. L'un des deux hommes déclare :
_ « Cher collègue, autant cet exercice physique est convenable et noble pour l'homme, autant la vue d'une femme faisant de la bicyclette me semble sujette à heurter profondément notre sens de la beauté bercé par l'idéal classique. » (13)
De façon très cocasse, le sujet permet aussi de mettre en scène le conflit des générations. Dans une de ses Scènes de la vie de famille, Heine ironise sur l'étonnement d'un jeune homme, dont la mère a adopté la tenue sportive des cyclistes :
_ « Mais enfin mère, chère mère, tu ne crois donc plus en Dieu ? » (14)
L'exemple suivant montre combien l’on identifiait le fait d'exercer cette activité avec l'émergence de l'Ève nouvelle. Deux jeunes mariés vont, à vélo, rendre visite aux grands-parents du jeune homme. La jeune épousée relate dans son journal cette première rencontre :
_ « Lorsqu'elle me vit, grand-maman s'évanouit, elle n'avait encore jamais vu de femme moderne. »
A chacun sa définition de la femme moderne. Mais réduire les revendications féminines au droit de faire de la bicyclette, n'est-ce pas trop facile ? Les conventions sociales et la morale sont l'obstacle le plus difficile à surmonter. Dans cette discussion, le corset - jusque là considéré comme un attribut féminin érotique à part entière - joue un rôle primordial. Il devient la métaphore de la condition féminine, de l'emprisonnement et de l'oppression. S'il semble naturel aux humoristes que les femmes cherchent à se libérer de ce carcan, il s'agit également pour eux d'une occasion de multiplier les allusions grivoises. Là encore, ils discréditent le mouvement d'émancipation des femmes en le limitant à une simple histoire de dentelles et de lacets ! Les revendications des femmes ne sont pas prises au sérieux puisque les dessinateurs suggèrent qu'elles seront aussi éphémères qu’un phénomène de mode. Dans un de ses dessins, Heine n'hésite pas à faire un amalgame entre le refus de porter le corset et les revendications politiques et juridiques des activistes émancipées. Dans une de ses caricatures, des policiers - fidèles garants de l'ordre public - sont occupés à rajuster par la force le corset de quelques dames récalcitrantes. L'une d'entre elles, au physique peu avenant, prend à parti un des agents :
_ « Monsieur l'Agent, maintenant venez et montrez-moi quel paragraphe stipule que les femmes allemandes doivent porter un corset. » (15)
Alors que, dans le domaine vestimentaire, les différences entre hommes et femmes s'atténuent, les mythes resurgissent, en particulier celui de l'Androgyne et de l'Amazone. On retrouve cet élément dans la description des femmes émancipées (les Emanzen). Si dans l'Allemagne wilhelminienne, elles ne représentent qu'un faible pourcentage de la population féminine, une place de choix leur est accordée dans les revues satiriques. Le cliché le plus en vogue est celui de femmes représentées comme des harpies, des mégères hideuses, acariâtres et méchantes. Les activistes partisanes de l'émancipation féminine sont représentées comme des « créatures » décoiffées et portant lunettes. En fait, selon les canons esthétiques de l'époque, les hommes ont du mal à retrouver leur image de la femme. Dans les caricatures, les vieilles filles desséchées et les femmes viriles se suivent et se ressemblent trop. Leur costume est toujours d'une extrême sobriété. Si elles osent désormais fumer, c'est non seulement la cigarette, mais aussi le cigare ! Dans cette « guerre des sexes », les caricaturistes semblent prendre parti. En réalité, ils se font l'écho des tentatives d'explication plus ou moins misogynes de leurs contemporains. Il leur arrive également de plaider la thèse de la légitime défense en donnant la parole aux plus passionnées des féministes. C'est le cas d'Eduard Thöny dans un numéro du Simplicissimus datant de 1911 :
_ « Mesdames ! Il n'y a qu'une seule manière de combattre l'émancipation masculine avec efficacité :
il nous faut simplement abattre ce vaurien. »
Très radicaux, de tels propos ne renvoient-ils pas au sort qu'aimeraient faire subir certains hommes aux activistes émancipées ? En tous les cas, ils se font les vecteurs d’une peur et d’une peur : « Attention, elles veulent nous tuer ! ». Dans les dessins, ceux qui osent affronter ces amazones d'un genre nouveau, ne semblent pas faire le poids. En 1912, le Front contre l'émancipation des femmes voit le jour et Heine met en scène un de ses membres. Armé d'un bouclier dérisoire et d'une canne, il fait face à une meute de femmes déchaînées. La légende de cette caricature est la suivante : « Un professeur allemand entre en guerre contre la femme progressiste. »
Thomas Theodor Heine, Front de lutte contre l’émancipation féminine, Simplicissimus, 17. Jahrgang, Nr. 15
Avec plus ou moins d'élégance, les humoristes sous-entendent ainsi que si engagement politique il y a, ce n'est que pour compenser la disgrâce naturelle de ces femmes exaltées. Les émancipées deviennent rapidement des figures ridicules, grotesques et pitoyables, dont les hommes se détournent avec dégoût.
La « guerre des sexes » en caricature
Il est intéressant de rappeler que le Front contre l'émancipation des femmes comptait aussi des femmes parmi ses membres et que les émancipées étaient considérées comme socialement dangereuses. Dans un contexte nationaliste, on reproche au mouvement d'émancipation - comme au socialisme - d'être undeutsch, c'est-à-dire importé de l'étranger. Le caractère radical que prend parfois le mouvement féministe inquiète. C’est surtout l'influence néfaste que le mouvement pourrait avoir sur l'ensemble de la population féminine que certains voudraient étouffer dans l'œuf. Les femmes émancipées sont considérées comme des anarchistes soucieuses de troubler l'ordre social. Elles pourraient détourner les autres femmes de leurs devoirs et leur faire oublier la fameuse règle des trois K (16). La famille bourgeoise constitue un microcosme qui reflète, à son échelle, le régime autoritaire et patriarcal de l'Empereur. Guillaume II, quant à lui, donna une définition sans équivoque du rôle de la femme allemande :
« Le rôle principal des femmes ne réside pas dans l'acquisition de droits supposés qui les rendraient égales aux hommes, leur place est au sein du foyer et de la famille, c'est là qu'elles doivent en silence vaquer aux occupations domestiques. » (17)
Le processus d'émancipation est vu comme contre-nature. Si l'Ève nouvelle fait face aux mythes et aux tabous, ces derniers sont d'autant plus tenaces qu'ils sont chargés d'autorité. La femme moderne doit affronter une foule de reproches et ceux-ci sont sans surprise : l'Ève nouvelle ne peut être qu'une mauvaise épouse doublée bien sûr d’une mauvaise mère. Les femmes qui ne correspondent pas au cliché de la ravissante écervelée suscitent un sentiment de défiance. Par leur animalité et leur amoralité, elles corrompent les hommes. C'est dès lors le retour, dans l'imaginaire masculin, des sorcières, des anges démoniaques et autre Ève tentatrice.
La représentation d'un monde aux valeurs inversées est un élément satirique traditionnel. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, alors que les revendications féminines se font de plus en plus entendre, ce moyen apparaît dans la répartition des rôles entre hommes et femmes. Les dessinateurs se contentent de reprendre, en les inversant, les modèles sociaux classiques. Dans ces caricatures, la femme prend l'initiative dans le domaine amoureux et, comme elle travaille, c'est l'homme qui doit rester au foyer, vaquer aux activités domestiques et veiller à l'éducation des enfants. Dans ce monde à l'envers, c'est la femme qui prend les décisions importantes, elle va jusqu'à dicter à son mari la marche à suivre :
_ « Ton mari va-t-il se mettre à étudier ? »
_ « Ah, je ne sais pas moi-même, ce que je le laisserai devenir ! » (18)
La plaisanterie réside dans le renversement des rôles. Ne s'agit-il pas d'un signal, même si un tel changement paraît encore invraisemblable ? (19) Cette inversion a très tôt préoccupé les caricaturistes allemands. Dès 1846, Carl Stauber usant de l'anticipation mettait en scène des femmes-dons Juan (20). On peut polémiquer sur les limites de ce type de dessins ancrés dans la conscience contemporaine de leurs auteurs. En fait, l'imagination des caricaturistes se contente de mettre en scène des femmes qui se conduisent comme les hommes de leur époque. Elles reprennent leurs défauts et leurs mauvaises habitudes. Il ne s'agit là que d’exemples illustrant le répertoire et les moyens satiriques auxquels ont recours, selon leur propre sensibilité, les caricaturistes du tournant du siècle. Le plus souvent, les dessinateurs humoristiques jouent sur plusieurs registres à la fois. La remarque péremptoire du père d'Effi Briest dans le roman de Theodor Fontane : « Les femmes doivent être féminines et les hommes virils » sont déjà d'un autre âge, elle ne suffit plus en tout cas à expliquer la complexité des rapports qui s'instaurent désormais entre les hommes et les femmes (21).
Disposer d'une femme modelée par et pour soi, voilà un rêve qui hante encore les esprits masculins de l'époque : une résurgence du vieux mythe « Pygmalion-Galathée ». Mais la femme de la Belle Époque échappe peu à peu à ce genre de fantasmes et provoque l'agacement. La nouveauté frappe l’imaginaire et les caricaturistes allemands ne sont pas en reste. Plus que jamais, ils font œuvre de sismographes. Les réactions que suscite l'Ève nouvelle oscillent alors, selon un schéma bien connu, entre hostilité et fascination. Les mythes côtoient les rêves inédits et les visions cauchemardesques. Une fois encore, on se réfugie dans la sagesse populaire. Le vieil adage ne dit-il pas : on sait ce que l'on perd, on ne sait pas ce que l'on gagne ? Si les sentiments dominants sont le regret et la perte, c'est qu'il n'est pas si facile de faire le deuil de visions millénaires. Et les mythes féminins - qu'il s'agisse d'Ève, de Salomée ou de Pandore - ont la vie dure et sont très à la mode en cette époque charnière. Un sentiment de dépossession se retrouve en filigrane dans les caricatures allemandes autour de 1900. En fait, c'est la mort d'Ève, et avec elle la fin de l' « Éternel féminin », que l'on thématise (22). Les hommes ont le sentiment de perdre une mère, une épouse et en même temps une maîtresse. Du même coup, ils ont peur de perdre une part d'eux-mêmes. Le problème d'identité sexuelle renvoie donc à un problème d'identité tout court. Anne-Lise Maugue commente ce phénomène :
« Le mouvement de la femme est toujours associé à l'affolante évolution de l'ordre du monde, qui dessaisit l'homme de ses pouvoirs. » (23)
Olaf Gulbransson, Ne convient pas, REINOß, H. , Bilder aus dem Simplicissimus, (1970), p. 89
Le mot est lancé, ce qui inquiète le plus les contemporains masculins des caricaturistes de la fin du siècle dernier, c'est la perte du pouvoir. Ainsi, quand Ève parvient à dominer ou même à empiéter sur un domaine jusque là réservé à la gent masculine, elle dispute à l'homme un des attributs essentiels de sa virilité. Une angoisse s'ajoute au phénomène, celle d'une revanche des femmes, une revanche que l'on s'imagine bien sûr dans les structures connues, celles d’un monde créé par les hommes. C'est ainsi que l'on peut expliquer l'arrière-plan socio-psychologique des caricatures jouant sur l'inversion des rôles : les féministes menacent de déclarer ouvertement la guerre à tous les hommes. La discussion ne se situe plus seulement dans le cadre conjugal, mais la « guerre des sexes » connaît un élargissement social. Les hommes tremblent en imaginant les excès de la femme masculinisée (la Mannweib ou la Machtweib) seule détentrice de pouvoir, elle pourrait vite en abuser. Ce n'est pas l'égalité qui fait peur, mais plutôt la menace d'une supériorité des femmes.
Dans les caricatures, les femmes ne se contentent pas d'afficher leur autonomie par le biais d'attributs vestimentaires, elles vont jusqu'à revendiquer une certaine liberté sexuelle. Dans ce contexte, si l'on reprend le terme de revanche des femmes, on peut évoquer le cauchemar de l'homme-objet qui se reflète dans certains dessins de cette époque. Alors que les femmes se masculinisent, les hommes redoutent d'être eux-mêmes féminisés. Heine associe ce thème à celui des tenniswomen. Deux jeunes femmes, dont l'une a d’ailleurs cédé à la mode des cravates, se renvoient la balle de part et d'autre d'un filet ; cette balle, c'est un homme en miniature (24). Un dessin de Olaf Gulbransson nous livre un autre exemple. Au lendemain de Noël, une jeune fille déclare à ses parents :
_ « Non, maman! J'aimerais beaucoup échanger le sous-lieutenant que vous m'aviez offert à Noël. »
La scène se déroule devant le sapin de Noël et le sous-lieutenant en question est présent. Il est représenté figé, tel un soldat de plomb dérisoire. L'amour, qui constitue pourtant une valeur mythique et intemporelle, n'est pas préservé non plus. Rien d'étonnant puisqu'il est lui aussi devenu le lieu privilégié de rapports de force. En 1908, une légende tirée du Simplicissimus reflète ce point de vue :
_ « Maintenant, je comprends pourquoi l'homosexualité fait de plus en plus d'adeptes en Allemagne. » (25)
Dans le même registre, les humoristes vont jusqu'à reprendre le préjugé selon lequel trop de liberté amène les femmes à devenir lesbiennes, une autre variante de ce qui constituait l'anormalité. En se masculinisant, l'Ève nouvelle est devenue de moins en moins désirable ; l’avertissement est lancé aux femmes qui refuseraient de rentrer dans le rang. Pour apaiser les angoisses masculines, l'Ève nouvelle doit prouver qu'elle a su rester féminine. C'est un véritable dialogue de sourds qui s'engage à la charnière des deux siècles, il perdurera jusqu'en 1914.
L'Ève nouvelle et la critique de la notion de progrès dans la société wilhelminienne
Les changements de la condition féminine révèlent une crise plus profonde. En fait, l'époque dans son ensemble est, pour les hommes, aussi déroutante que la femme elle-même. Là non plus, les anciens repères n'ont plus cours. Plus douloureux et plus angoissant encore, il ne semble plus possible de revenir en arrière. Le vieil Adam ne sait plus au juste quel est son rôle dans cet univers bouleversé. Alors que retentissent les hymnes au progrès, l'homme ne peut plus trouver refuge ni dans la nature, ni dans la sphère familiale ou intime. On découvre les revers du progrès. Diabolisé, notons que celui-ci est souvent associé à des allégories féminines. (26)
Plus que d’autres pays ayant déjà passé le cap de la révolution industrielle, l'Allemagne, qui a récemment conquis son unité, connaît bien des bouleversements sociaux et culturels, conséquences d'un dynamisme économique et d'une explosion démographique sans précédent. Les nouveaux modes de production entraînent une séparation plus sensible entre vie domestique et professionnelle. Si les femmes changent, c'est aussi parce que les structures familiales et sociales subissent des mutations. La réciproque est vraie, elle aussi. Les valeurs et les références évoluent. Pierre Bertaux met en avant le rôle social joué par les femmes :
« Une société vaut ce que valent ses femmes ; son coefficient de stabilité, sa cadence d'évolution sont rigoureusement déterminés par le coefficient de stabilité et la cadence d'évolution de son élément féminin. » (27)
La réalité quotidienne des femmes de la Belle Époque ne peut être réduite à la vision parfois simpliste qu'ont pu en donner les caricaturistes de l'époque. Cependant, en recourant aux stéréotypes et en exagérant certains aspects qui ne semblent relever que de l'anecdote, ils ont souligné la nature profonde des changements amorcés à l'aube du XXème siècle. Par le biais de la satire, les caricaturistes dévoilent les aspects les plus intimes de la société qui les entoure. Ils observent et passent au crible les ressorts cachés et la véritable nature des rapports humains. Jacques Lethève a souligné le rôle socio-historique de la caricature :
« D'une façon indirecte et parce qu'elle veut plaire au public pour lequel elle est faite, elle nous indique aussi la nature de goûts de ce public, ce qui le choque, ce qui l'amuse, ce qui le passionne et ce qui, plus ou moins consciemment, l'obsède. » (28)
La « lecture » des caricatures 1900 amène à s'interroger : de qui se moque-t-on au juste ? Des femmes ou bien des hommes qui souhaitent préserver leurs privilèges et manifestent un conservatisme grotesque ? Il n'est pas aisé de répondre à cette question. Il est vrai que les caricaturistes ont du mal à renoncer aux plaisanteries faciles, lorsqu'il est question des revendications féminines. Somme toute, il s'agit d'un passe-temps plaisant. Et puis, l'humour est un phénomène social. Et le rire, comme le souligne Bergson, est avant tout le rire d'un groupe :
« Si franc qu'on le suppose, le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels ou imaginaires. » (29)
On rit parce que l'on est de la même « paroisse ». Ici, la « paroisse » en question, c'est la population masculine dans son ensemble. Les caricaturistes allemands ont encouragé et soutenu les revendications féminines. Ce fut notamment le cas lorsque les femmes ont affronté les milieux conservateurs, ceux que les rédacteurs éclairés et progressistes des revues aimaient eux-mêmes à fustiger (30). Malgré tout, ils n'ont pas hésité à recourir aux visions traditionnelles et trop stéréotypées. De part et d’autre, c'est l'excès qui attire leur attention. Celui des activistes extrémistes et celui des hommes qui refusent toute évolution. La légende suivante date de 1902, elle révèle toute l'ambiguïté, tout le caractère ambivalent de la satire :
_ « Et bien mon Dieu, si tu n'as plus d'argent, tu n'as qu'à te marier ! »
_ « C'est ce que tu crois! Les femmes dégénérées d'aujourd'hui n'ont plus d'idéal, elles n’ont même plus envie de se sacrifier. » (31)
C'est sans conteste l'égoïsme et l'hypocrisie que l'on attaque ici. En fait, la satire, est à la fois un genre et un moyen stylistique. Son danger réside dans le fait qu'elle peut faire approuver, ce qu'elle cherche à dénoncer. Il est difficile de juger à quel point les caricatures ont pu favoriser, ou au contraire entraver, le mouvement des femmes. Si le combat engagé par les activistes féminines allemandes n'est pas rendu dans sa véritable dimension historique et sous un jour positif par les dessinateurs, si les informations concernant l'évolution de la condition féminine sont souvent marquées du sceau de la mauvaise foi et de la misogynie, ces dessins nous en disent long sur leurs auteurs et leurs lecteurs. Les caricaturistes se font l'écho de leurs contemporains et les caricatures révèlent assez bien l'état des mentalités en Allemagne autour de 1900. Elles constituent un miroir, miroir qui peut s'avérer déformant, mais un miroir tout de même : celui dans lequel se reflètent à la fois les évolutions, les constantes et les blocages d'une société donnée. En un mot, les dessins satiriques nous transmettent, de façon expressive et vivante, l'air d'un temps à jamais révolu.
L'époque wilhelminienne marque une étape importante du mouvement féministe allemand, les femmes s'efforçant de se faire leur « place au soleil » dans la vie publique et privée. Il n’est pas évident a posteriori de prendre conscience des enjeux de la discussion, ni de s'imaginer la violence des passions déchaînées lorsque l'on abordait des sujets aujourd’hui considérés comme allant de soi. Qu'il s'agisse de l'obtention d'un diplôme, d'un divorce, du droit de vote ou bien, dans un tout autre registre, du droit de faire de la bicyclette. Plus que le divertissement - ce qui prêtait à rire hier, ne fait plus forcément sourire aujourd'hui - c'est la valeur socio-culturelle des caricatures, ces documents historiques à part entière, qu'il convient de souligner. Peu importe le support choisi, les aspects sociaux, politiques ou culturels mis en exergue, le tournant du siècle apparaît avant tout comme une période de transition. Si l'on imagine l'avenir, c'est encore à partir du présent. Certains y projettent leurs propres angoisses, d'autres voient le futur comme un univers de tous les possibles. En réalité, les contemporains sont conscients de l'importance des phénomènes auxquels ils assistent. Si l'on s'en tient à la condition féminine, il ne s'agit pas seulement d'une mode dont le caractère éphémère pourrait faire espérer à certains irréductibles le retour de jours meilleurs, mais bien d'une mutation irréversible que la Première Guerre mondiale viendra confirmer. Là aussi, les caricatures témoignent des contradictions d'une époque. Contradictions contre lesquelles on ne peut plus opposer qu'un rire libérateur. En cherchant à définir ou plutôt à redéfinir leur statut et leur rôle social, les femmes sont plus que jamais confrontées aux hommes. Avec ou contre, cette quête, elles la mènent en tout cas en fonction des hommes. Un état de fait qui ne peut manquer de pousser les hommes à s'interroger sur leur propre identité. Le constat le plus évident, c'est que cette nouvelle Ève a besoin d'un nouvel Adam...
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NOTES
(1) Depuis le milieu du XIXème siècle, les revues berlinoises tenaient le haut du pavé. Vers 1890, on assista à un déplacement géographique et Munich devint la capitale de la caricature allemande. Parmi les nombreuses revues qui virent le jour, beaucoup, en raison de difficultés financières, durent interrompre leur parution. Certaines sont pourtant passées à la postérité comme les Fliegende Blätter et le Simplicissimus. Quant à la revue Jugend, si elle n'était pas consacrée exclusivement à la satire, elle employait néanmoins de nombreux caricaturistes munichois.
(2) L’expression « Ève nouvelle » revient p.ex. dans le titre d'un roman de Jules Bois en 1896. Elle fut reprise par de nombreux écrivains et publicistes européens. Voir MAUGUE, Anne-Lise : « L'Ève nouvelle et le vieil Adam », in L'Histoire des femmes en Occident, tome IV, Paris, 1992, p. 527-543.
(3) Des décennies plus tard, Ernst Bloch commenta avec lyrisme le phénomène en le replaçant dans son contexte historique. Voir BLOCH, Ernst, Prinzip Hoffnung, Frankfurt am Main, 1969, tome II, p. 687-698, ici p. 687.
(4) MAUGUE, Anne-Lise : op. cit., p. 528.
(5) L'Allemagne wilhelminienne comptait des dessinatrices de talent, comme Käthe Kollwitz. Celle-ci collabora au Simplicissimus, mais il ne s'agissait nullement d'un traitement satirique du monde féminin. Cette artiste a représenté les conditions de vie misérables et la détresse des femmes prolétariennes. Quant à Clara Viebig, sa collaboration au Simplicissimus se limitait aux pages rédactionnelles.
(6) En allemand, « das fortschrittliche Weib », on note l'influence dans le vocabulaire du terme de Progrès, très en vogue à l'époque.
(7) Quant aux ouvrières, elles ne constituent pas un phénomène nouveau même si leur nombre s'accroît sensiblement. Vers 1900, on ne compte en Allemagne que 5 973 237 femmes actives, alors que la population féminine de plus de seize ans s'élève à 16 878 940. Voir MAHLBERG-GRÄPER, Bruni, 100 Jahre Simplicissimus, Eupen, 1996, p. 64.
(8) Honoré Daumier avait fait de cette expression le titre d'une série de caricatures. En Allemagne, le terme fut vite repris et traduit littéralement.
(9) Auteur non identifié, Blaustrumpf, in WEBER-KELLERMANN, Ingeborg (éd.), Frauenleben im 19. Jahrhundert, München, 1988, p. 146.
(10) Voir MAHLBERG-GRÄPER, Bruni, op. cit., p. 89.
(11) HEINE, Th. Th.: Frauenstudium, in Simplicissimus, 6. Jahrgang, Nr. 5.
(12) Durant tout le XIXème siècle, les caricaturistes ont accompagné les évolutions de la mode féminine. Les crinolines et le corset les inspirèrent. A la Belle époque, ce sont les « Culs de paris » (Pariser Steiß) et les manches bouffantes (Puffärmel) qui font l'objet de bien des moqueries.
(13) HEINE, Th. Th.: Ästhetik, in Simplicissimus, 2. Jahrgang, Nr. 10.
(14) HEINE, Th. Th.: Mutter und Sohn, in Simplicissimus, 3. Jahrgang, Nr. 11.
(15) HEINE, Th. Th.: Frauenrechte auf der Polizeiwache, in Simplicissimus, 7. Jahrgang, Nr. 36.
(16) Les trois K (Kirche, Küche, Kinder) rythmaient en effet la vie des femmes du XIXème siècle.
(17) Voir DREWIK, Ingeborg (éd.) : Die deutsche Frauenbewegung, Bonn, 1983, p. 53.
(18) Légende publiée dans la série Moderne Ehe, citée par MAHLBERG-GRÄPER, Bruni, op.cit., p. 71.
(19) Rappelons que le thème du monde à l'envers est aussi synonyme de folie et de non-sens. Ceci vaut dans le domaine littéraire depuis l'antiquité. En caricature, les exemples de ce type remontent au Moyen Âge.
(20) En 1846, Carl Stauber créa pour les Fliegende Blätter la série Emancipirte Frauen. A la même époque, alors que les idées révolutionnaires connaissaient un véritable engouement, Henry Ritter avait quant à lui « érigé » pour les Düsseldorfer Monatshefte le fragment d'une frise du Temple de l'émancipation. Il recourait aussi au « monde à l'envers ». En 1865, alors que Luise Otto réunissait à Leipzig la première conférence pour le droit des femmes, Ludwig Burger dessina huit lithographies, celles-ci portaient le titre Das emancipirte Amazonenheer et ridiculisaient un système militaire dirigé par des femmes. Voir LAMMEL, Gisold : Deutsche Karikatur - Vom Mittelalter bis heute, Stuttgart, 1995, p. 31-34.
(21) FONTANE, Theodor : Effi Briest, éd. par BRAMBÖCK, Peter, München, 1979, p. 10.
(22) Le terme d' « Éternel féminin » (das Ewig-weibliche) apparaît déjà à la fin du Second Faust de Goethe.
(23) MAUGUE, Anne-Lise : Identité masculine en crise au tournant du siècle, Paris, 1987, p. 77.
(24) HEINE, Th. Th. : Damen beim Lawn-Tennis, in BAUER Reinhard (éd.)., Stadt der Frauen, München, 1991, p. 91.
(25) Voir MAHLBERG-GRÄPER, Bruni, op. cit., p. 102-103.
(26) C'est l'époque de la femme-machine et Ève devient aussi l'allégorie ambivalente du progrès.
(27) BERTAUX, Pierre : En Allemagne au temps de Guillaume II, La Vie Quotidienne, Paris 1962, p. 37.
(28) LETHÈVE, Jacques : La Caricature sous la IIIème République, Paris, 1986, p.106-107.
(29) BERGSON, Henri : Le Rire, Paris, 1991, p. 5.
(30) Le Simplicissimus a souvent soutenu les causes minoritaires et prit fait et cause pour les déshérités et les oubliés du régime. C'est le cas pour la situation des ouvriers que Heine et Zille ont thématisée dans leurs dessins. Ils ont souligné les travers de la société bourgeoise et dénoncé l'omniprésence d'un militarisme bravache.
(31) Voir MAHLBERG-GRÄPER, Bruni, op. cit., p. 102.