Anonyme, « Baringlon fait La grimace a L’amiral Biron de Lavoir Laisse Battre au Combat de La grenade en 1779 », XVIIIe siècle, estampe – eau-forte coloriée, aquarelle et rehaut de gouache, 12,7 x 8,3 cm, Musée National de la Coopération franco-américaine, Blérancourt.
Par Barbara Hyvert
Le portrait-charge « Baringlon fait La grimace a L’amiral Biron de Lavoir Laisse Battre au Combat de La grenade en 1779 » appartient au corpus de Blérancourt. Décrivant les aléas de la Révolution américaine, ce dernier est composé de 37 estampes caricaturales de personnages ayant tous plus ou moins contribués à l’histoire et à l’évolution de la guerre d’Indépendance (1775-1783).
La caricature met en scène un personnage au profil cassé, exagéré et au caractère expressif largement animés d’une gestuelle agressive et vivante, le poing levé et menaçant. Le bandeau-titre maintenant un rapport étroit avec la caricature nous fournit des renseignements supplémentaires que l’illustration n’est pas à même de communiquer et nous renvoie à une période clé où la Révolution américaine bat son plein. 1779 correspond à la victoire navale du comte d’Estaing dans les Indes occidentales (Antilles, îles de La Dominique, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, La Grenade…). Pour comprendre l’ampleur de cette caricature il faut préciser que l’Ile de la Grenade était depuis fort longtemps un objet de convoitise, qui passait des mains françaises aux mains anglaises : en 1650 Richelieu l’achète aux Anglais et elle reste sous la domination française jusqu’en 1762, où le traité ayant mis fin à la guerre de Sept ans stipule que l’île est britannique. C’est pourquoi utilisant la guerre d’Indépendance comme prétexte et comme moyen de se venger de leur défaite de 1763, et de la perte de toutes leurs colonies les Français tentèrent de s’imposer dans la majeure partie des Iles Du Vent (Les Antilles), en particulier à la Grenade. Ainsi en est-il du comte d’Estaing en 1779, une première fois empêché par le personnage caricaturé : Baringlon, en réalité Samuel Barrington (1729-1800), amiral britannique.
Cependant, il apparaît que la caricature se réfère à un épisode ultérieur et fait appel à une seconde iconographie du corpus de Blérancourt : celle de « l’amiral Biron » (1) ou plus exactement de John Byron (1723-1786), mentionné dans le titre. En effet, peu de temps après sa victoire, Barrington rentre en Angleterre, laissant l’île de la Grenade sous la surveillance de l’Amiral Byron, qui engagea contre la flotte française une bataille audacieuse mais aux résultats incertains. De fait, la victoire est française. Idée que le mouvement de fuite, l’expression de panique et la légende de la caricature, « L’amiral Biron tout Effraié Abandonné Lile de Lagrenade a La Valeur francaise du Comte destaing », traduisent et confirment parfaitement, expliquant par la même occasion pourquoi « Baringlon fait La grimace a L’amiral Biron de Lavoir Laisse Battre au Combat de La grenade en 1779 ».
Ces caricatures d’origines françaises produites en série forment une série à part entière où les planches établissent un dialogue constant les unes aux autres et où la relation texte/image renforce le caractère expressif et parfois violent des caricatures. Fournissant des repères sur la Révolution américaine, ridiculisant l’ennemi anglais ces caricatures dépassent le caractère anecdotique de leur sujet et deviennent le témoignage d’une histoire car liée à l’actualité de divers faits. De par les références fournies et les détails si précis des légendes, le caricaturiste semble être en possession de beaucoup d’informations que tout public ou toute classe sociale n’était pas nécessairement en mesure de connaitre. A la fois informatif et politique, il met sa culture et ses connaissances au service des autres pour témoigner des faits, partager des idées et divulguer un message. Il instrumentalise les événements marquants de son temps afin de participer à la construction et à la diffusion d’une opinion dans le but de transformer des idées et d’alimenter des discussions. Pour ce faire, il utilise le genre de la caricature, moyen de communication et moyen d’information très fort. Pourtant, après l’analyse de ces caricatures et du fait de leur érudition on en arrive à se dire qu’elles n’ont pas été réalisées dans l’intention de toucher un large public, mais qu’elles étaient davantage destinées à un petit nombre de privilégiés instruits et éclairés.
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Notes
(1) Anonyme, L’amiral Biron tout Effraié Abandonné Lile de Lagrenade a La Valeur francaise du Comte destaing XVIIIe siècle, estampe coloriée, 12,7 x 8,5 cm, Blérancourt, Musée national de la Coopération franco-américaine.