Dessin de Pépin, Le Grelot, 11/11/1894, détail.

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Par Jean-Luc Jarnier

Le 15 octobre 1894, au moment où le capitaine Alfred Dreyfus est arrêté, la France vit, depuis plusieurs années, dans la tourmente d’un antisémitisme actif et virulent. Cet antisémitisme trouve une large traduction dans la presse, par l’écrit et le dessin. Edouard Drumont, au souffle venimeux, a à cœur et à dessein d’en attiser les feux (1). En quelques années, les scandales politico-financiers et plus particulièrement celui de Panama sont perçus, par l’opinion, comme étant  la conséquence de l’affairisme et de l’agiotage. Stigmatisés, les juifs sont désignés au rang des coupables. Une personnalité comme Joseph Reinach, député depuis 1889, devient la cible des caricaturistes (2). La haine pousse loin ses feux; Reinach, victime expiatoire, est de plus en plus souvent caricaturé en singe et est, à l’occasion, qualifié de « boule de juif ». Le scandale de Panama qui a éclaté en septembre 1892 a engendré une abondance de caricatures tournées, en partie, contre Reinach ou ses coreligionnaires. L’avancée du scandale, les révélations, les procès et les rebondissements ont eut un retentissement certain sur les opinions publiques et ont accéléré le discrédit du monde politique et parlementaire, ce qui a eut pour effet de pousser les dessinateurs au trait. A la fin du XIXe siècle, les nombreux journaux et périodiques avec des suppléments illustrés sont les supports d’une profusion de caricatures. La photographie fait une percée, encore timide, dans la presse.
Dans les semaines qui précédent l’arrestation de Dreyfus, les dessins et caricatures des journaux satiriques s’orientent dans plusieurs directions : des caricatures contre les personnalités politiques (y compris certains souverains étrangers) et plus particulièrement contre Jean Casimir-Perier, président de la République, de nombreuses charges en référence au scandale de Panama et quelques charges concernant la politique extérieure et coloniale de la France. Les mises à la « une » des faits divers sont principalement l’apanage du Petit parisien et du Petit Journal qui s’emploient à présenter de « beaux crimes » à leurs lecteurs (3). Enfin, Le Rire, nouvel hebdomadaire, fondé par Félix Juven, apparaît le 10 novembre 1894 et s’attache rapidement la collaboration de la plupart des dessinateurs du moment qui seront censés produire des « fantaisies illustrées ». Ce grand brassage d’artistes confère à la publication un contenu sans orientation politique précise (4). Le Rire s’emploie davantage à publier des « histoires humouristiques » (sic).
La photographie, pour sa part, est présente dans L’Illustration et le Journal illustré. Elle occupe une surface non négligeable.
Sans livrer ici des statistiques complètes, on observe que de la mise en accusation du capitaine Dreyfus jusqu'à son procès (deux mois) se concluant par le  verdict du 22 décembre 1894 le condamnant, les représentations dessinées ou photographiques occupent une place mineure dans la presse. Il y a assez peu d’images dédiées à l’Affaire naissante et cela perdure jusque fin 1897.
Pour appuyer nos propos, ont été consultés les hebdomadaires suivants : Le Grelot, La Libre parole illustrée, Le Pèlerin, Le Pilori, La Silhouette, Le Rire, Le Petit journal, Le Petit parisien, Le Journal illustré et Le Chambard socialiste (5).
Outre les retentissement de l’affaire dans la presse de novembre et décembre 1894, l’analyse est prioritairement proposée autour de quatre événements : le procès du capitaine Dreyfus devant le Conseil de guerre de Paris (du 19 au 22 décembre 1894), sa dégradation publique (5 janvier 1895), la diffusion, en septembre 1896, de la fausse nouvelle de son évasion et la publication, en novembre 1896, par Bernard Lazare d’une brochure affirmant qu’il y eu erreur judiciaire. On peut considérer qu’à partir de novembre 1897, l’affaire Dreyfus, avec le premiers grands remous qui accompagnent les premiers engagements dreyfusards prend un tour nouveau. Avant novembre 1897, nous parlerons de la « Première affaire Dreyfus » (6).

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Fig. 1, dessin de Chanteclair, " A propos de Judas Dreyfus ", La Libre parole illustrée, 10/11/1894.

L’affaire Dreyfus est omniprésente dans la presse durant les deux mois qui précèdent la condamnation du capitaine. Dès les premiers jours de novembre, naît, dans l’écrit, une vigoureuse campagne de presse à l’encontre d’Auguste Mercier, ministre de la Guerre. Pour faire pression sur lui, certaines plumes lui reprochent de manquer d’efficacité dans sa gestion de la crise et de faire le jeu des intérêts juifs. (Concernant cette campagne contre Mercier, se reporter à  l’article « La condamnation de Dreyfus vue par Moloch » dans la rubrique « arrêt sur image »). Il faut noter que si Dreyfus fait bien sûr rapidement l’objet de l’attention des dessinateurs, Mercier n’est pas au nombre de leurs cibles favorites. Il ne l’a jamais été avant l’affaire Dreyfus. Seuls les écrits le mettent en cause.
Parallèlement, bon nombre d’organes de presse cherchent également à accréditer l’idée que Dreyfus, pour satisfaire un appétit et de gros besoins d’argent ait pu vendre, au profit de l’Allemagne, les secrets militaires. L’histoire de sa double vie est racontée par Henri de Sta en six scènes en ombres chinoises, en huitième page de La Libre Parole illustrée du 24 novembre 1894. De nombreuses et dispendieuses liaisons féminines et la fréquentation assidue des cercles de jeux auraient mis à mal l’aisance financière de Dreyfus, qui, pour se refaire, aurait trahi. Cette planche de vignettes qui porte en titre « L’artilleur qui n’a pas de flair » se conclut par l’arrestation du capitaine. Le crime ne paie donc pas. Le Grelot du 11 novembre 1894 (fig. 2 ) ironise également contre « Le flair d’artilleur » de Dreyfus qui perdait jusqu’à 3000 francs par soir au baccara. « Le traître Dreyfus était un homme d’affaire protégé par la haute juiverie, dont Reinach et Rothschild sont les souverains pontifes. » Le dessin de Pépin, en couverture, place « Basile Guesde » alias Jules Guesde et Jean Jaurès sous une bannière maçonnique des « collecto-socialistes » (Guesde était collectiviste et Jaurès, socialiste). Sous leur regard, Dreyfus, recevant des sacs d’argent contre le plan de mobilisation y va de sa réflexion : « Moi aussi, je fais ma bedide gommerce internationaliste, et pis après ? » La bannière ne correspond à aucune loge maçonnique. Les deux chefs de file de l’extrême gauche, bien qu’ils n’étaient pas réputés pour avoir une activité maçonnique sont mis à l’index dans l’optique de les discréditer en suggérant qu’il existerait une forme d’internationalisme qui couvrirait à la fois les intérêts du socialisme sans patrie, et ceux de la caste des traîtres vendus aux intérêts étrangers.

Jaurès est une nouvelle fois raillé par Pépin dans Le Grelot du 23 décembre pour son soutien à Gérault-Richard, rédacteur en chef du Chambard socialiste emprisonné à Sainte-Pélagie et qui se présente à la députation à Paris (7). Il sera élu.

DES POLITIQUES DANS LA TOURMENTE DES SCANDALES
Bien avant l’affaire Dreyfus, le scandale de Panama qui éclate en septembre 1892, constitue, pour les dessinateurs, un thème qui deviendra vite récurent. Parmi les personnalités visées et assimilées au nombre des « chéquards », on trouve principalement, Clemenceau, Arton, Hetz et Jacques de Reinach. Comme pour les précédents scandales financiers et politiques (Krach de l’Union générale en 1882 et scandale des décorations en 1887), le scandale de Panama contribue  beaucoup à  réactiver et à légitimer, au yeux d’une partie de l’opinion, l’antisémitisme et l’antiparlementarisme. Les caricaturistes s’activent. Parmi eux, Caran d’Ache a laissé son empreinte en publiant, fin 1892, Carnet de chèques, petit album de dessins qui dénonce l’affairisme des milieux financiers et fait porter aux juifs le poids des responsabilités dans les maux dont souffre le pays. Ils apparaissent comme les figures dominantes de la corruption et des pots de vins.

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Fig. 2, dessin de Pépin, " Internationalisme ", Le Grelot, 11/11/1894.

Une recension des seuls dessins de couverture de notre panel de journaux fait apparaître que La Libre Parole illustrée (8) a, avant le début de l’affaire Dreyfus, consacré une dizaine de livraisons avec une référence explicite au scandale de Panama. La Libre Parole  continue de plus belle une fois Dreyfus « démasqué », le scandale offrant de nombreux développements judiciaires. On peut faire le même constat pour les autres publications satiriques.
Joseph Reinach fut associé au scandale. Il était le neveu et gendre du baron Jacques de Reinach, impliqué et poursuivi par la justice. Sa qualité de juif n’a pu qu’attiser les ressentiments. Les caricaturistes les plus virulents se sont déchaînés contre lui dès 1889, année de son élection comme député.
On note des caricatures dans La Diane, organe boulangiste, où on lui attribue les dénominations de « moule de juif » ou de « Yousouf ». Dans Le Pilori du 19 octobre 1890 titré « La rentrée des Chambres », Blass signe un dessin qui montre Reinach s’accrochant au « perchoir » qu’il semble vouloir conquérir. La queue du « singe Reinach » est en partie sectionnée, référence discrète à la circoncision. Parfois, la stigmatisation se fait par une  feuille de vigne qui cache un sexe masculin impur car circoncis. Parfois, c’est l’alliance ou la sympathie manifestée aux juifs qui attire les foudres des caricaturistes. Emile Zola en fera lui aussi les frais. On retrouvera plus fréquemment ces deux particularités (queue coupée ou feuille) colportées par certains caricaturistes et se portant sur bien d’autres personnalités au cours de la Seconde affaire Dreyfus. On note que l’animalisation est un procédé courant dans la caricature de cette époque. Elle sera poussée à son paroxysme, en 1899, par Lenepveu qui éditera l’abjecte série d’affiches du « Musée des horreurs ».
Les caricaturistes n’ont pas manqué de colporter cette imagerie très connotée. Lorsque Joseph Reinach deviendra un dreyfusard actif, les caricatures visant à le flétrir seront plus nombreuses avec un répertoire graphique de très mauvais goût lié à l’immondice, à l’égout et, le cas échéant, à la scatologie, sans oublier les déformations morphologiques et l’animalisation.

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Fig. 3, dessin de Heidbrinck, " Le traitre ", Le Rire, 5/1/1895.

L’ORIENTATION ANTISEMITE DES CARICATURES
A la fin du XIXe siècle, l’antisémitisme irriguait, peu ou prou, tous les camps politiques. La gauche, le monde ouvrier, les anarchistes étaient gangrenés par un antisémitisme rampant qui n’était pas le seul apanage des droites, des nationalistes et apparentés. La plupart des organes de presse portait et charriait l’antisémitisme. Bien que rien ne soit excusable, on pourrait chercher à discerner ce qui tient à une véritable adhésion aux idées ou doctrines racistes, ce qui tient d’un effet moutonnier par assimilation passive ou ce qui tient d’une seule contamination graphique où le coup de crayon est aussi un coup de griffe. Il est juste, bien sûr, compte tenu des événements tragiques du XXe siècle, de ressentir tout cela avec une forte acuité.
Il apparaît, en référence à notre panel, que les dessinateurs de La Libre Parole et du Pèlerin ont, été les plus virulents. Les dessinateurs judéophobes n’ont pas attendu que Dreyfus soit arrêté pour faire montre d’un violent antisémitisme. Le quotidien d’Edouard Drumont La Libre Parole, à l’épigraphe « la France aux français » ne souffrant pas l’ambiguïté,  propose chaque semaine depuis le 17 juillet 1893 un supplément illustré avec un grand dessin à la « une ». L’orientation antisémite des dessins apparaît immédiatement. Drumont veut s’employer à combattre le sémitisme.
En cette fin de XIXe siècle, le profil du juif va être défini biologiquement et physiquement, notamment au travers de planches anatomiques. On cherche à éduquer le public en lui indiquant comment le reconnaître. La théorie de la phrénologie de François-Joseph Gall est détournée et mise à profit. Selon Gall, la morphologie du crâne refléterait certains traits de caractère. Dans La France juive, Drumont pousse l’idée et le propos à l’extrême. On peut lire des descriptions physiologiques qui ont pu donner un canevas de représentations aux caricaturistes antisémites. Drumont écrit que l’on reconnaît le juif « à ce fameux nez recourbé, les yeux clignotants, les dents serrées, les oreilles saillantes, les ongles carrés au lieu d’être arrondis en amande, le torse trop long, le pied plat, les genoux ronds, la cheville extraordinairement en dehors, la main moelleuse et fondante de l’hypocrite et du traître. Ils ont assez souvent un bras plus court que l’autre » (9).
Pour Drumont, au même titre que les écrits, la caricature se doit de participer à l’éducation  du public. Dans le premier numéro de La Libre Parole illustrée, il écrit : « L’image aujourd’hui va compléter l’œuvre de la plume. Elle s’intéresse à ceux que l’écriture n’a pas encore touchés. »
Aux élections législatives de 1889, Adolphe Willette (qui fera fait partie des dessinateurs de la Libre Parole) compose son affiche programme. Le propos est clair ; « Levons-nous ! Ils sont cinquante mille à bénéficier seuls du travail acharné et sans espérance de trente millions de français devenus leurs esclaves tremblant. Il n’est pas question de religion, le juif est d’une race différente de la nôtre ».

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Fig. 4, dessin de Chanteclair, " Savonnage infructueux ", La Libre parole illustrée, 17/11/1894.

Une fois révélé par la presse qu’un capitaine d’artillerie, juif, nommé Dreyfus, aurait trahi son pays en divulguant des secret militaire à l’Allemagne, les dessinateurs s’emploient à disqualifier Dreyfus en relevant, le plus souvent, le fait qu’il est juif.                        
La référence au thème de la trahison de Judas est mainte fois reprise. Dans le quotidien La Croix du 7 novembre 1894 est précisé : « La plume cède aujourd’hui la place au crayon, et le croquis ci-contre dira plus vite et plus éloquemment ce que nous pourrions écrire ». Ce dessin, non signé, représente Dreyfus trahissant et vendant la France. En scène de fond, Judas embrasse Jésus. Les dessins sont rares dans La Croix, et de ce fait, disent l’importance de l’événement qui apparaît comme un des épisodes de ce complot et péril juif tant décrié. La Croix se disait être « le journal le plus antijuif de France ». A ce sujet, un article du 3 novembre est éloquent : « les juifs ont pullulé dans l’Université, dans l’administration, dans la magistrature, dans l’armée elle-même, jurant que le Christ ne compte plus pour la société moderne, et que la race déicide va conquérir le monde ». Généralement, très peu de dessins sont publiés dans La Croix et, le cas échéant, ils n’occupent qu’une place réduite. En novembre et décembre, on recense quatre autres dessins relatifs à la trahison de Dreyfus. Domine la figure de la transmission de sacs d’argent en échange de la trahison. Ces dessins sont, pour la plupart, sans réelles qualités graphiques et sans originalité.
Vignola dans Le Pilori du 18 novembre 1894 consacre lui aussi une caricature au thème de Judas. Le drapeau est gardé par une gauloise en arme. Cette  référence au gaulois défendant la patrie et ses valeurs fut déjà utilisé par Willette dans son affiche des législatives de 1889.
Le Rire n° 9 (fig. 3) du 5 janvier 1895 avec un dessin de Heidbrinck, en page intérieure représente Dreyfus en Judas, contre un mur, les mains liées. Tête baissée, il fait face aux gens du peuple qui le jugent avec sévérité en pointant l’index. Son sabre est à terre, brisé. Une brèche est ouverte dans le mur, un canon ennemi pointé sur les gens. Le Rire présente régulièrement quelques dessins publiés dans les journaux étrangers. Toujours le 5 janvier, Le Rire présente un dessin du Kikériki de Vienne ; Le général et ministre Auguste Mercier, dompteur, avoue ne pouvoir calmer l’appétit du fauve Dreyfus, nourri aux sacs d’argent et jamais rassasié. En commentaire, il est précisé que le dessinateur aura eu « une occasion de profession de foi anti-sémite », que ne renierait pas certains collaborateurs du Rire.
Le Rire a consacré assez peu de dessins à l’affaire naissante. On note toutefois la présence de Gyp, romancière et dessinatrice qui signe le plus souvent Bob et dessine également dans La Libre Parole. Elle s’exprime dans un graphisme volontairement enfantin et illustre dans un numéro spécial du Rire (14 novembre 1896) une « histoire de la Troisième République ». Les juifs sont tenus pour responsable de beaucoup de maux ; ils sont, par exemple, représentés en sauterelles trouvant refuge dans les bras de le République (les juifs d’Algérie peuvent désormais obtenir la naturalisation française). Avant 1898, Gyp ne fait pas directement référence à l’affaire Dreyfus. Par contre, elle sera très présente lors de la seconde affaire Dreyfus. Le 24 novembre 1894, elle représente Jean Casimir-Perier avec un boulet au pied. Reinach, sorte de chenille volante, lui appose un bonnet Phrygien sur la tête. Une autre image montre Casimir-Perier piétinant les journaux qui l’ont tant mis en cause. En 1898, dans Le Rire du 28 mai, le boulet est, cette fois, rivé au pied de Joseph Reinach et porte l’inscription « affaire Dreyfus ». Aux législatives, les électeurs lui ont fait payer son engagement dreyfusard.
Nettement plus percutants sont les dessins de couvertures de La Libre Parole illustrée. Il n’échappe pas que le choix de faire paraître une illustration occupant toute une couverture donne un vrai statut au dessin. Ces caricatures haineuses contribuent à alimenter les pages d’un bréviaire antisémite qui s’étoffe au fil du temps par les révélations des méfaits reprochés aux juifs.   

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Fig. 5, dessin de Chanteclair, La Libre parole illustrée, 23/2/1895.
              
En  couverture de La Libre Parole illustrée du 10 novembre 1894 trône un dessin à la plume signé Chanteclair (10). A la Fin du XIXe siècle, la mise à l’égout d’un adversaire est une figure courante de la caricature. Pour « expédier » Dreyfus, Drumont utilise une pince. Le dessin est légendé : « A propos de Judas Dreyfus : Français, voilà huit années que je vous le répète chaque jour ! ! ! » (fig. 1). A la deuxième page, Claude Lourmon, dans sa chronique, offre un prolongement : « Depuis huit années sans trêve, sans repos, Drumont montre à la France entière le caractère juif, le danger juif, les exemples se succédant de jour en jour. Rien n’y fait. […]. C’est au français, aux électeurs seuls qu’appartient le remède vraiment curatif; nous voulons encore espérer qu’ils réfléchiront et délivreront la France de la plaie juive en laissant sur le carreau les protecteurs invétérés de la race. »
La semaine suivante, Chanteclair représente le « traître » frotté avec une éponge imprégnée d’argent par un comparse juif et franc-maçon (fig. 4). Ce dernier porte, en sautoir, un triangle maçonnique. Mais il s’agit d’un « savonnage infructueux » qui est inapproprié pour défaire des odeurs et des souillures du crime. Pour laver efficacement, il reste le sang. Concernant la période précédant la dégradation, ce sont les deux seuls dessins de La Libre Parole illustrée.
    Enfin, un dessin de Chanteclair, au relents nauséabonds, paraît dans La Libre Parole illustrée du 23 février 1895 (fig.5). La barque nommée « Le youtre », au large de « Nouméa, terre promise » est trop chargée. Elle menace de chavirer et de ne pas arriver à bon port. Rothschild apparaît en figure de proue, avec Bloch, Levaillant, Ryanal, Joseph Reinach, agrippé en haut du mat et « un des Dreyfus ».
Au fil du temps, se constitue un répertoire graphique dans lequel pourront puiser les dessinateurs satiristes.

UNE PRESSE PLUS MODEREE
L’illustration du Petit Journal du 13 janvier 1895 est passée à la postérité. Dans la cour de l’école militaire, devant un parterre de soldats, l’adjudant de la garde républicaine brise le sabre de Dreyfus sur son genoux. L’ombre de Dreyfus n’est pas marquée et le corps semble flotter comme s’il n’appartenait plus au monde hommes. Les deux soldats derrière lui, en tenues d’apparat, sabres au clair, d’une part et la saisissante différence de taille entre Dreyfus et son exécuteur d’autre part, accentuent l’impression d’écrasement. (fig. 6)
A l’instar du Petit Journal, L’Illustration focalise également l’attention sur le bris du sabre. Ce choix de représentation peut se regarder comme étant le fait de dessinateurs qui auraient voulu occulter les manifestations d’une foule portée aux démonstrations de haines. Cela aurait pu écorner les belles restitutions dessinées de la cérémonie. Les dessinateurs partent d’un réel qu’ils reconstruisent en induisant une lecture particulière de l’événement. Il leur aurait été loisible de proposer aux lecteurs des images moins édulcorées.

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Fig. 6, Le Petit journal, 13/1/1895.

Le constat peut se poser de façon identique pour les photographies. Dans L’Illustration du 12 janvier, il est mentionné que les scènes reproduites par les gravures sont d’une « scrupuleuse exactitude » . Dès la fin du XIXe siècle, l’émergence de la photographie comme forme d’expression paraissant comme plus objective dispute à la peinture et à l’illustration la première place en matière de représentation du réel. Cependant, le choix par le photographe, du moment pour la prise de vue et le choix de cadrage confèrent à la notion d’exactitude une valeur toute relative. De plus, à la fin du XIXe siècle, les photographies étaient fréquemment retouchées voire redessinées ce qui les distanciaient du réel (11). Ces images ont davantage pour vocation de vouloir communiquer que de vouloir informer.

 L’ENFER EST PROMIS
Le 22 décembre 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, convaincu de trahison, est condamné à l’unanimité par le Conseil de guerre de Paris « à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire ». Sitôt prononcée cette condamnation, l’enfer est promis à Dreyfus. Afin de durcir les conditions de détentions de Dreyfus, fin 1894, le général et ministre Auguste Mercier dépose une proposition de loi visant à déclarer que les îles du Salut puissent être « un lieu de déportation dans une enceinte fortifié ». La loi est votée le 9 février 1895. Le climat de la Guyane est beaucoup moins clément que celui de la Nouvelle-Calédonie où furent déportés les communards. Dreyfus condamné, certains auront à cœur de lui mitonner d’épouvantables conditions de détention. Après avoir brisé son sabre, reste à finir de briser l’homme.
En référence à la grande composition, en double page intérieure du Journal illustré du 6 janvier 1895 (fig. 7), c’est l’Enfer de Dante qui devrait être promis à Dreyfus. L’illustration portant la légende « La dégradation » est signée Lionel Royer (12). Elle est gravée par Francis Méaulle. Cette allégorie de la Justice emprunte son sens à l’œuvre de Dante Alighieri et au 9eme cercle de l’Enfer où sont punis les traîtres (13). Ils sont châtiés sur « les rives glacée du Cocyte ». Les damnés, prisonniers des glaces, souffrent et expient leurs fautes ; les traîtres envers leur patrie grelottent, tête baissée dans les glaces éternelles. Dreyfus chassé de l’armée est surplombé par une immense figure de la Justice qui arrache sa veste militaire, le soufflette avec sa balance avant de le pousser vers les damnés dont fait partie Judas. Dans cette composition, Royer s’emploie à vouloir faire passer le souffle épique d’une victoire de la Patrie sur la traîtrise, l’ordre étant finalement rétabli.

Beaucoup s’indignent que Dreyfus puisse avoir la vie sauve. Une semaine après la condamnation de Dreyfus, le Chambard socialiste publie en couverture une caricature de Moloch (14). Dreyfus est représenté sur une île préfigurant sa déportation à venir. Derrière Dreyfus, on voit « Feu Bazaine » qui apparaît tel un spectre et qui lui dit : «  A nous la simple détention, ô mon fils !… C’est pour les pioupious que sont réservées les balles ! ». Au moment où fut condamné Alfred Dreyfus, la peine de mort fut prononcé par le conseil de guerre de Bordeaux à l’encontre d’un jeune soldat coupable d’un geste d’indiscipline. La caricature de Moloch est dans le droit fil de l’indignation de Jean Jaurès, choqué par cette disparité de traitement. Il s’insurge à la Chambre des députés et appelle à modifier la loi. Moloch associe Dreyfus à Bazaine qui fut Maréchal de France et qui fut, lui aussi, considéré comme un traître lors de la guerre de 1870 contre la Prusse. Il fut sanctionné en Conseil de guerre et déporté sur une île.

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Fig. 7, dessin de Royer, Le Journal illustré, 6/1/1895.

Par la plume, Clemenceau s’est également insurgé : « Si, dans l’échelle des châtiments, la peine de mort est l’ultime degré, il me semble qu’elle doit être réservée pour le plus grand crime, qui est, à n’en pas douter la trahison […] On ne fera jamais comprendre au public qu’on ait fusillé,  il y a quelques semaines, un malheureux enfant de vingt ans, tandis que le traître Dreyfus partira bientôt pour l’île de Nou où l’attend le jardin de Candide. (15) ». (Un plus long développement sur cette image est proposé dans « La condamnation de Dreyfus vue par Moloch » dans la rubrique « arrêt sur image »).
Bobb, dans La Silhouette (16) montre Dreyfus, en villégiature à l’île du Diable, se relaxant dans un hamac et devisant sur le sort de Judas : « si la déportation avait existé de son temps, je suis bien sûr que cet imbécile de Judas ne se fût pas pendu ». Dans ce dessin qui ne manque pas de qualités graphiques, Dreyfus, tire sur son cigare. La fumée s’élève en volutes, juste un peu déviée par un zeste de vent. Insouciance…. ! Une déportation qui apparaît comme un havre de quiétude pour l’esprit. Quelques mois plus tard, Maillotin livre un dessin pour La Libre Parole illustrée (17). Dreyfus, convive du « pénitencier des îles du Salut », est attablé. On lui sert un solide repas avec foie gras, rôti de dinde et vins. En contrepoint, le dessinateur montre des soldats morts pour la conquête de Madagascar. « Mieux vaut trahir sa patrie, sous la République opportuniste, que la servir » précise la légende.

LE NOYAU FAMILIAL A L’ORIGINE DU COMBAT POUR LA VERITE
Au tout début, ils ne sont que quelques-uns à être convaincu de l’innocence d’Alfred Dreyfus, parmi lesquels, Lucie, sa femme, Mathieu, son frère, Edgar Demange, l’avocat de Dreyfus et Ferdinand Forzinetti, le commandant de la prison du Cherche-Midi. Les premiers dreyfusards actifs sont à compter au sein du noyau familial dont fait partie Mathieu Dreyfus, le « frère admirable », selon le mot de Joseph Reinach.
Le 5 janvier 1895, la « parade de la dégradation » du capitaine attire une foule dense qui se presse autour de la grande cour de l’école miliaire. Invectives et cri de haine se font entendre. La presse rend généralement compte, avec détails,  des réactions de la foule hostile. Ce qui frappe également, ce sont les protestations d’innocence du capitaine déchu. La « parade » est largement commentée par la presse. Quelques rare journalistes n’ont pas voulu hurler avec les loups. Il y a là, peut être en amorce, chez certains, le sentiment encore diffus, d’un doute. Les illustrations ne rendent pas compte de ces réserves. Elle ne rendent pas non plus compte des réactions de la foule ou des protestions de Dreyfus.
Dans ses Souvenirs (18), Mathieu Dreyfus évoque les premiers temps qui suivent la condamnation : « Je n’avais aucun appui dans la presse, ni dans le monde politique. L’opinion publique nous était profondément hostile. Ma voix serait restée sans écho, j’aurais crié dans le vide (19)». Courant février 1895, Mathieu Dreyfus se tourne vers Bernard Lazare, écrivain, critique littéraire et anarchiste qui a publié, en 1894, L'antisémitisme, son histoire et ses causes. Lazare veut convaincre de l’innocence de Dreyfus et prépare un premier mémoire qui est prêt à l’été 1895. Mathieu Dreyfus, sur les conseils d’Edgar Demange l’avocat de son frère demande à Lazare de retarder la publication, pensant que l’opinion n’est pas prête et mûre pour faire un accueil favorable à l’opuscule.
Dans un premier temps, écrivains, peintres et dessinateurs ayant une notoriété s’impliquent peu et lorsqu’ils le font, c’est dans un sens défavorable à Dreyfus.  Cette absence des plumes, des pinceaux et crayons est propre à la première affaire Dreyfus. Il aurait sans doute été difficile, dans un contexte aussi défavorable à Dreyfus, que des caricatures puissent remuer l’opinion dans le bon sens.
Au tout début, la presse n’est pas au premier chef, appelée à jouer un rôle de diffusion des idées. Pour Mathieu et Lucie Dreyfus, le dessin de presse et la caricatures ne furent pas à compter parmi les vecteurs privilégiés de propagation des idées. On peut comprendre, que pour combattre l’iniquité, le recours à la caricature ait pu leur paraître inapproprié, au moins dans un premier temps. Jusque fin 1897, on ne recense, dans la presse, que de rares images qui puissent épouser la cause des dreyfusards.
Le 27 septembre 1896,  Le Journal illustré présente des dessins (de Tofani) de l’île du Diable. Ciel chargé et mer très forte, l’île semble perdue au milieu des flots. Une évasion paraît bien difficile.      
Deux dessins de même portée figurent dans le supplément illustré du Petit Journal du 27 septembre 1896 (fig. 8) et dans Le Pèlerin du 17 octobre 1897. Tous deux portant en légende  « Dreyfus à l’île du Diable ».  Alfred Dreyfus, pénétré de tristesse, à le regard rivé au sol. Ces deux dessins expriment l’idée qu’il est toujours détenu, sous bonne garde, et qu’il expie son crime. Il lui est imposé un silence monacal, seulement rompu par le bruit des vagues. Il a, en permanence, le regard de ses gardes braqués sur lui. La ligne éditoriale du Petit Journal ne remet pas en cause la validité du jugement de 1894 et Le Pèlerin s’illustre par ses propos récurrents qui fustigent juifs et protestants.

PREMIERS REMOUS, PREMIERS DOUTES
Le 3 septembre, Le Daily Chronicle, journal anglais, annonce faussement l’évasion de Dreyfus. Mathieu Dreyfus veut relancer l’attention de l’opinion sur le sort de son frère. En réaction, on note, dans Le Grelot et dans La Silhouette (20), la résurgence de caricatures, dans la même veine que celles évoquées précédemment. Bobb, dans la  Silhouette, montre Dreyfus bien calé dans un fauteuil se préparant à siroter quelques doux breuvages qui lui sont servis. Il s’exprime avec l’accent allemand : « Auchour’thui une ponne bedire drahisonça raborde la pien-être ! ! ». En parfait accord, Mercoire précise, en substance que si Judas a trahi pour trente deniers et s’est finalement pendu « Dreyfus, lui, plus pratique, estime que mieux vaut se la couler douce et il noie ses remords dans un ordinaire qui, parait-il ne laisse rien à désirer ». […] Et l’on voudrait nous apitoyer sur le sort des traîtres. Allons donc ? le seul regret que nous ressentions  à leur égard, c’est de ne les point voir crever plus tôt. »
Dreyfus, sous les auspices du doux climat des îles coulerait des jours heureux. La réalité est, bien sûr, toute autre (21).
Au delà de la personne de Dreyfus, ces dernières images contribuent, chacune à leur façon, au discours qui vise à stigmatiser le juif et à l’ancrer davantage encore dans une figuration stéréotypée. Ces images jouent sur la corde sensible des peurs et des ressentiments pour asseoir davantage l’idée du juif toujours traître et finalement toujours profiteur. En cela, elles participent d’une volonté propagandiste.
La fausse nouvelle de l’évasion de Dreyfus provoque également plusieurs réactions par l’écrit. Citons deux exemples, parmi d’autres : le 8 septembre, Le Figaro publie un article de     Gaston Calmette  qui s’émeut : « Le malheureux n’a plus d’âge, pour ainsi dire : le corps s’est courbé, les cheveux ont blanchi […] La démarche est lasse et lente ». Et le 14 septembre 1896, Paul de Cassagnac, député du Gers, réputé antisémite bon teint, et directeur de L’autorité, publie dans son journal un article titré « Le Doute » où il se demande si « il n’y a pas là-bas à l’île du Diable, quelqu’un qui agonise dans un supplice moral surhumain et qui serait innocent ! Ce doute, à lui seul est une chose effrayante. »
Autre événement qui a un petit retentissement : la publication, le 6 novembre 1896, à Bruxelles, de la brochure de Bernard Lazare « L'Affaire Dreyfus – Une erreur judiciaire », tiré à 3500 exemplaires. Quelques jours plus tard, Lazare fait parvenir la brochure aux députés. Un dessin non signé figure à la Une de La Libre Parole illustrée du 14 novembre 1896. Judas est « défendu par ses frères ». Ceux-ci ont en main la brochure de Lazare.
          
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Fig. 8, Le Petit journal, 27/9/1896.

Il ne faut pas regarder l’affaire Dreyfus comme étant la seule expression et résultante d’un antisémitisme. L’antisémitisme était un des combustibles (et non des moindres) de l’affaire naissante, mais la défaite de 1870 et l’esprit revanchard qu’elle a suscité,  la confiance dans l’institution militaire, le respect de la chose jugée, les rancœurs provoquée par les scandales politico-financiers ont contribué à créer, chez le public, les conditions d’une réception indignée et parfois exacerbée de la révélation de la trahison. Cette rencontre avec l’opinion n’a pu que pousser les dessinateurs les plus virulents à profiter de l’occasion sans qu’il y ait eu, pour autant, une profusion d’images. Dans l’opinion et chez les caricaturistes, la première affaire Dreyfus n’a occupé qu’une place mineure jusqu’à l’automne 1897. Il n’y a pas eu de véritable combat des idées. Parmi les grandes affaires qui ont secoué la société, elle n’a occupé, dans un premier temps, qu’un strapontin. Le traître est condamné et devient vite oublié sur son rocher, à l’île du Diable. Les scandales de Panama et ceux liés à l’affairisme autour des sociétés de chemins de fer, pour ne citer qu’eux, ont davantage eu les « faveurs » des dessinateurs satiristes avec les fréquentes mises en image du pot de vin et du sac d’argent.
Pour ne considérer que l’antisémitisme et ses figurations dessinées, qui ont pu faire s’activer tant des mains, on peut considérer que si le ballet est orchestré par Drumont et ses pareils (qui, par l’audience de leurs idées, exercent une sorte de magistère), les dessinateurs ayant tous constitué une part de répertoire qui leur est propre, les figures dessinées sont diverses et variées. Elles empruntent au classique discours antisémite. La caricature est une forme particulière du discours. Asséné quelquefois sans nuances, il a pour fonction d’inculquer des principes et opinions. Jeter l’anathème, l’opprobre et le discrédit sont au nombre des arguments des satiristes.
Les dessinateurs ne cherchent pas toujours à rendre intelligibles leurs raisons. Si les images cherchent parfois à faire rire ou sourire, elle ne procèdent que de l’activité sérieuse du dessinateur qui cherche à transmettre ses idées. Il y eut d’évidence, chez certains dessinateurs satiristes, une forme de plaisir à se porter dans l’outrance. Quels que soient les titres de presse, il ne fait nul doute que ces images, par leurs répétions, eurent une grande force d’imprégnation.
A l’inverse, la presse à très grand tirage (Le Petit parisien et Le Petit Journal) s’est distinguée par ses abords plus feutrés, cela procédant d’un  choix éditorial.

Les premières images de l’affaire Dreyfus sont restées cantonnées aux supports classiques des journaux et périodiques. La seconde affaire verra une multiplication des supports de diffusion de l’image. Au delà de la presse, les supports deviendront aussi variés qu’inattendus, avec un grand talent déployé de part et d’autre. On ne manquera pas de se rapprocher des travaux de Jean-Yves Mollier exposés dans Le camelot et la rue (22) et qui ont, en partie, trait à « la bataille de l’imprimé » pendant l’Affaire. Au plus fort de la crise, en 1898 et 1899, il y aura, par la même occasion, une forte poussée de l’activité éditoriale. On note que certaines images sont aujourd’hui très connues et ainsi sont devenues, en quelques sorte, des objets patrimoniaux. Début 1898, John Grand-Carteret publie L’Affaire Dreyfus et l’image - 266 caricatures françaises et étrangères. et  atteste de l’âpre combat que se sont déjà livré les caricaturistes.
A ce moment, malgré les tentatives répétées des premiers dreyfusards, la vérité reste, encore et toujours,  au fond du puits. Une nécessité écrasante va faire s’insurger de plus en plus de personnes. Concernant la première affaire, Alfred Dreyfus, est une des figures privilégiées par les dessinateurs de presse. Il s’effacera en partie, fin 1897, au profit des grands acteurs de l’Affaire.

Janvier 2008

 

NOTES
(1) Drumont, appelé le pape de l’antisémitisme, publie, en 1886, La France juive. Le livre atteint des records de vente.  En 1892, il lance La Libre Parole. Le supplément illustré hebdomadaire apparaît le 17 juillet 1893.
(2) En 1881-1882, Joseph Reinach avait été chef de cabinet de Léon Gambetta, ministre des affaires étrangères.  
(3) Jean Pierre Rioux a écrit à propos du Petit Journal  (« Le canard à un sou », in  Le Monde du mercredi 25 juillet 1990, p. 2.) que les recettes du succès impliquaient de véhiculer « des faits crus, des brèves en désordres, des découvertes utiles qui font chanter la vie, du sensationnel, des interviews enlevés à la hussarde, des faits divers à la pelle avec une prédilection pour les crimes sordides, les mères héroïques et les vertus flétries ».
(4) Dès les premiers numéros, sont annoncés  les participations  de Anquetin, Bonnard Caran d’Ache, Depaquit, Forain, Gyp, Hermann- Paul, Jossot, Léandre, Steinlen, Toulouse-Lautrec, Vallotton Willette pour ne citer que les plus connus.
 (5) Précisons que seul Le Chambard socialiste ne couvre pas toute la période d’étude puisque cet hebdomadaire fut publié du 16 décembre 1893 au 8 juin 1895.
(6) Cette appellation et segmentation historique est consacré par de nombreux historiens et en particulier Eric Cahm. Voir CAHM Eric « La première affaire Dreyfus dans la presse et dans l’opinion en 1894-1895 : une préfiguration » in Eric Cahm et Pierre Citti (dir.) , Les représentations de l’affaire Dreyfus dans la presse en France et à l’étranger, dans Littérature et Nation, Tours, Université François Rabelais, 1994, pp. 1-14.
(7) Gérault-Richard, a fait paraître le 29 septembre 1894 dans le Chambard socialiste un violent  pamphlet   titré  « A bas Casimir » à l’endroit du président de la République, Jean  Casimir-Perier. Un extrait du texte le désigne : « avec son arrogance brutale d’exploiteur, sans pitié ni noblesse, sans entrailles ni âme, il est l’image fidèle et repoussante d’une caste sanguinaire dont la prospérité a pour étiage la mortalité des travailleurs ». Gérault-Richard poursuivi pour offenses au président de la République, choisit de faire intervenir Jean Jaurès pour appuyer sa défense aux assises et écopa de la peine maximum, soit d’un an de prison et de 13000 francs d’amande.
(8) Cet hebdomadaire a vu le jour le 17 juillet 1893 et poursuivra, en 220 numéros jusqu’au 25 septembre 1897.
(9) In Drumont Edouard, La France juive, T.1 Paris, Marpon et Flammarion, 1886, p.35.
(10) Chanteclair (1874-1965) était le pseudonyme de Lucien Emery. Il devient, à 20 ans, élève, d’Emile Courtet-Cohl, qui dessine à La Libre parole illustrée.
(11) Voir POIVERT Michel,  Le pictoralisme en France, Paris, Hoëbeke, 1992.
(12) Lionel Royer (1852-1926) s’illustra comme peintre d’histoire. il a notamment peint de grandes scènes de la vie de Jeanne d’Arc à la basilique du Bois-chenu à Domrémy-La-Pucelle.
(13) Voir le Chant XXXIVdans l’Enfer (La Divine comédie).
(14) Hector Colomb dit Moloch (1849-1909) a dessiné dans de très nombreux périodiques satiriques et a illustré les histoires du colonel Ramollot. Moloch fut avec Steinlen le principal dessinateur du Chambard socialiste. Il a exécuté la plupart des illustrations de couvertures à dater du n° 33 du  28 juillet 1894.
(15) Georges Clemenceau, in « Le traître » dans La Justice. Article daté  du  25 décembre 1894.
(16) La Silhouette n° 982 du 13 janvier 1895.
(17) La Libre Parole n° 116 du 28 septembre 1895.
(18) Ces Souvenirs n’ont pas été publiés du vivant de Mathieu Dreyfus. Voir Dreyfus Mathieu, L’Affaire telle que je l’ai vécu, Paris, Grasset, 1978.
(19) Ibid. p. 53.
(20) Respectivement Le Grelot n° 1328 du 26 septembre 1896 (dessin de  Pépin ) et La Silhouette n° 1070  du  20 septembre 1896 (dessin de Bobb). Précisons que Pépin, principal dessinateur du Grelot d’abord hostile à  Dreyfus  évoluera et deviendra, en 1897, dreyfusard très convaincu et très actif.
(21) En 1901, chez Fasquelle à Paris, Alfred Dreyfus a publié ses souvenirs de captivité sous le titre « Cinq années de ma vie ».
(22) Voir Mollier Jean-Yves, Le camelot et la rue, Politique et démocratie au tournant des XIXe et XXe siècles, Paris, Fayard, 2004. Voir également Mollier Jean-Yves « La bataille de l’imprimé » in Eric Cahm et Pierre Citti (dir.), Les représentations de l’affaire Dreyfus dans la presse en France et à l’étranger, dans Littérature et Nation, Tours, Université François Rabelais, 1994, pp. 15-28.

 
CHRONOLOGIE SUCCINTE
9 oct. 1859 : Naissance d’Alfred Dreyfus.
Début oct. 1894 : Des soupçons se portent sur Alfred Dreyfus, capitaine d’artillerie à l’Etat-major de l’armée. Il aurait vendu des secrets militaires au profit de l’Allemagne. On lui attribue l’écriture d’un « bordereau ».
15 oct. 1894 : Arrestation du capitaine Alfred Dreyfus. Il est conduit et mis au secret à la prison militaire du Cherche-Midi.
1er nov. 1894    : La Libre Parole rend publique l’«arrestation de l’officier juif A.  Dreyfus ».
22 déc. 1894 : Après un court procès (19 au 22 décembre) Dreyfus est condamné à l’unanimité par le Conseil de guerre de Paris à la à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire.
5 janv. 1895 : Dégradation publique du capitaine Dreyfus.
13 avril 1895    : Dreyfus arrive à l’Ile du Diable, son lieu de déportation, au large de la Guyane.
3 sept. 1896 : A la demande de Mathieu, frère d’Alfred Dreyfus Le Daily Chronicle, journal anglais, annonce la fausse nouvelle d’une évasion. Mathieu Dreyfus espère ainsi relancer l’attention de l’opinion sur le sort de son frère.
6 nov. 1896 : Bernard Lazare publie à Bruxelles Une erreur judiciaire. La vérité sur l'Affaire Dreyfus. Quelques jours plus tard, l’ouvrage est oublié en France, chez Stock.
14 nov. 1897     : Auguste Scheurer-Kestner vice-président du sénat signe une lettre ouverte daté du 14 novembre qui sera publié dans Le Temps (daté du 16 novembre) et qui affirme que Dreyfus est innocent et que le nom du vrai coupable est connu.
Au même moment, Mathieu Dreyfus dénonce publiquement Ferdinand Walsin Esterházy comme étant l’auteur du bordereau. L’Affaire Dreyfus est relancée. On peut considérer que cette date marque le début de la « seconde affaire Dreyfus ».
11 janv. 1898 : Esterhazy est acquitté à l’unanimité par le Conseil de guerre.
13 janv. 1898    : Emile Zola publie « J’accuse… ! » dans L’Aurore.
Arrestation du commandant Georges Picquart. Il est puni de soixante jours d'arrêt de forteresse. En septembre 1896, il avait indiqué au général Billot, ministre de la Guerre, que Dreyfus était innocent Esterhazy coupable.
     => A partir de « J’accuse… ! », de très nombreux événements se succèdent jusqu’en septembre 1899. Nous avons choisi de n’en présenter que quelques-uns.
18 janv. 1898 : Le général Billot porte plainte contre Zola. Début de grandes manifestations antisémites à Paris et dans de grandes villes de province.
7 fév. 1898 : Première audience du procès Zola.
20 fév. 1898 : Création avec Ludovic Trarieux d’une « ligue de la défense des droits du citoyen » qui deviendra la « ligue des droits de l’homme et du citoyen ».
23 fév.1898 : Emile Zola est condamné au maximum de la peine possible, soit 1 an de prison et 3000 francs d’amande.
2 avril 1898 :  La Cour de cassation annule, pour vice de forme, le jugement du procès Zola.
30 août 1898 : Le lieutenant-colonel Henry se suicide après avoir été mis aux arrêts pour avoir avoué avoir fabriqué des faux pour étoffer le dossier contre Dreyfus.
23 mai 1898 : Le second procès Zola s’ouvre à Versailles.
18 juillet 1898 : Zola est de nouveau condamné.
29 oct. 1898 : La Cour de cassation déclare recevable la demande de révision du procès Dreyfus. Ouverture d’une enquête.
10 fév. 1899 : Vote de la loi qui institue le dessaisissement de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
16 fév. 1899 : Mort du président de la République Félix Faure. Emile Loubet sera élu le 18 février.
3 juin 1899  : La Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule le jugement de 1894. Renvoi de Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes.
9 Sept 1899 : Après un long procès (25 audiences), Alfred Dreyfus est condamné avec « circonstances atténuantes » à la majorité de 5 voix contre 2 à 10 ans de détention.
19 sept 1899    : Le président de la République Emile Loubet gracie Dreyfus.                 29 sept. 1902 : Mort d’Emile Zola.
6 et 7 avril 1903 : Jean Jaurès relance l’Affaire à la Chambre des députés.
5 mars 1904 : La Cour de Cassation déclare acceptable la demande formée par Alfred Dreyfus pour la révision du jugement de Rennes.
12 juillet 1906 : Après six longues années et une minutieuse enquête, la Cour de cassation rend sa décision. L’arrêt précise « que de l'accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout »et « que c’est par erreur et à tort » que Dreyfus a été condamné. La Cour de cassation « Annule le jugement du Conseil de guerre de Rennes ». L’arrêt est prononcé sans renvoi devant un nouveau Conseil de Guerre. Alfred Dreyfus est définitivement réhabilité par la justice.
4 juin 1908 : Pendant la cérémonie du transfert des cendres d’Emile Zola au Panthéon, Alfred Dreyfus est victime d’un attentat par balle. Il est blessé au bras par le nationaliste Grégori.
12 juillet 1935 : Mort d’Alfred Dreyfus.

 

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