Le Canard enchaîné ; La V République En 2000 Dessins ; 1958-2008 (Préface De Michel Gaillard), Les Arènes, 69 euros.
Seuls des monuments peuvent illuminer des… monuments. Avec ce recueil composé de plus de 2000 dessins parus au Canard enchaîné depuis 1958, année de fondation de la Ve République si chère à de Gaulle, voilà le fameux journal mieux commémoré que ne l’aura été le bébé de de Gaulle lui-même ! En effet, cinquante ans après, Sarkozy ne pouvait mieux rêver qu’une crise financière internationale pour se contenter du strict minimum sur la question. Fêter le cinquantenaire de nos institutions ? Autant rappeler à nos mémoires la carrure imposante d’un certain général avec lequel notre Sarko national sait ne pas pouvoir rivaliser. Réjouissons nous donc : les dessins satiriques de ce journal sont mieux fêtés que l’histoire qui les aura inspirés, la République sortie du référendum de 1958 ne brillant pas par ses atours ultra démocratiques...
Cette publication marque d’autant plus que le Canard enchaîné, organe d’une longévité extraordinaire, aura nourri la plume de plus d’un auteur. Mais seuls son rôle politique et son contenu rédactionnel ont jusque-là trouvé grâce aux yeux des essayistes, comme si l’image restait veine à leurs yeux.
Le Canard répare donc une offense vieille de presqu’un siècle par la publication de ce pavé d’images. Composé sur une trame chronologique, le recueil s’articule autour de la grande nouveauté portée par cette République nouvelle : l’élection du président au suffrage universel direct. Mais tous les présidents ne bénéficient pas du même espace, ni du même nombre de dessins. Chirac, en nombre de dessins et donc de pages, écrase (pas seulement de toute sa taille) un certain… Nicolas Sarkozy, trop jeune dans la fonction en quelque sorte.
Les Lap, Pino Zac, Pancho, Grove, et plus prêt de nous Cardon, Pétillon, Cabu, etc., ont commenté avec verve cinquante années d’actualité nationale et internationale nourries de rire, d’esprit sarcastique, de jeux de mots et autres effets de la caricature. Mais ce festival de charges satiriques d’actualité masque un paradoxe : le Canard enchaîné, bien que salariant une dizaine de caricaturistes, accorde une place de plus en plus marginale au dessin de presse dans ses pages, tandis que les dessinateurs n’interviennent jamais dans la sélection des œuvres, leur taille de publication, leur disposition… et expriment parfois publiquement plus d’un agacement à cet égard. Pour autant, cette co-édition du Canard et des Arènes leur rend un véritable hommage, non seulement en reproduisant leurs dessins sous la forme d’une vraie « bible », mais également en dressant leur portrait dans des biographiques généreuses.
Regrettons tout de même l’absence de clichés de pages entières du journal à différentes époques de son histoire, qui auraient permis de rappeler quelle fut, à chaque période, la place accordée à ces caricatures au regard de l’écrit. Il fut un temps par exemple où les dessins de Moisan envahissaient facilement une demie page entière du Canard !
Un temps révolu que ce très bel ouvrage (hélas un peu cher en ces périodes de crise), par la richesse de son iconographie, nous fait vraiment regretter !
GD, le 21 décembre 2008