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Fig.5 : Abel Truchet, « J’accuse ! », Les Quat’z’Arts journal, n°12, 23 Janvier 1898 (Musée de Montmartre).Première illustration d’Émile Zola dans le journal des Quat’z’Arts. Le romancier, debout derrière son bureau avec ouvrages, sacs de pièces d’or et journaux allemands dans les poches, montre du doigt l’Armée française qui s’en va défendre la Patrie suivi d’un vol d’oiseaux, devant un soleil éclatant. Cette illustration démontre ainsi la position dans laquelle se situe le journal, antidreyfusarde et patriotique.


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Choisissant ses mots, Goudeau étrille Émile Zola le 23 janvier 1898 en lançant sa chronique par une cinglante phrase qui donne le ton : « en ce temps là, un homme de la tribu de Juda, un scribe célèbre, nommé Zola s’avança sur la place publique et il dit : Peuple, tes généraux sont tous des crapules, tes officiers sont des mufles, l’État major n’est composé que de bélîtres et de canailles ». Relayant les sentiments patriotiques et cocardiers d’une population qui ne croit pas en l’innocence du capitaine Dreyfus, Émile Goudeau sait que les mots qu’il jette sur le papier à ce moment là de l’Affaire donnent un crédit supplémentaire au combat entamé contre Zola. Rassemblant une foule grandissante contre lui en une « épouvantable clameur discordante » selon Goudeau, Zola devient à partir de ce jour de janvier l’ennemi préféré des journalistes. N’hésitant pas à en rajouter pour amplifier l’importance du mouvement, Goudeau utilise des formules très fortes pour montrer aux lecteurs la force et l’élan de cette engagement lorsqu’il évoque « la clameur » de la foule qui « gueulait si fort dans la ville », tout cela étant fait « parce que Zola, armé du verbe divin, s’en servit pour soutenir une cause insoutenable ». Goudeau n’en oublie pas pour autant les soutiens obtenus par Zola de par sa pétition pour la révision du procès Dreyfus. Il leur consacre même la dernière partie de sa chronique à travers laquelle il démontre qu’ils ont eu tort de se joindre à Zola en les désignant comme des « gens naïfs, qui ne sont au courant de rien », qui « prirent parti pour lui, et s’embarquèrent sur sa galère ». L’ex-Hydropathe dévoile ainsi ses opinions de patriote venant à la défense de l’Armée dont les soutiens de Zola sont censés tout ignorer. C’est là l’attaque finale d’Émile Goudeau contre l’auteur de « J’accuse ».

Suite à la parution de L’Aurore du 13 janvier 1898, l’élan patriotique d’Émile Goudeau ne diminue pas. Au cœur de l’affaire, le procès de Zola, qui s’ouvre le 7 février 1898, donne en effet de la matière aux journaux satiriques et illustrés. N’y prêtant aucune attention durant les semaines de son déroulement, la rédaction des Quat’z’Arts et Émile Goudeau attendent la délibération du procès pour repartir à la charge contre le romancier. Celle-ci survient le 23 janvier 1898 et condamne Émile Zola à un an de prison ainsi qu’à 3000 francs d’amende. Le 27 février, le journal réagit à cette condamnation avec Émile Goudeau à la plume pour brocarder Zola. Sa chronique donne l’impression d’être la seconde partie d’un feuilleton commencé le 23 janvier car Goudeau reprend des raisonnements identiques. Il ne renie en aucun cas Zola comme grand romancier[1] (1). La critique porte sur « son système [de documentation] qui chavira » dès qu’il se trouva « en prise avec le réel ». De l’observateur averti de la vie parisienne, Zola est rabaissé à un simple condamné déchu de son talent, « un homme de folie[2] (2) ». Grandement engagée dans ce procès Zola, cet évènement en vient même à épuiser la rédaction des Quat’z’Arts[3].

Au final, nous avons affaire à un journal illustré dont la ligne éditoriale transparaît comme largement antidreyfusarde. Arrivant en 1897 en plein essor de la presse satirique et illustrée, le journal de François Trombert a su faire la part des choses entre les différents sentiments et les diverses opinions autour de l’Affaire Dreyfus. Écartant les antisémites du comité rédactionnel alors qu’ils font parti des habitués du cabaret, Trombert pose définitivement son journal comme non antisémite, patriote, montmartrois et défenseur des plus démunis. En lançant journal, il a essentiellement pour objectif de promouvoir les artistes qui fréquentaient la maison mais avant tout de promouvoir Montmartre.


Le Mur des Quat’z’Arts.

Le dernier exemple de la collaboration, de la satire et de l'improvisation innovatrice des Quat'z'Arts est le journal Le Mur. Exploitant les procédés comme le jeu de mots, le rébus et la parodie, les artistes des Quat’z’Arts créent aussi de nouvelles formes de performances collectives parmi lesquelles Le Mur occupe une place prédominante. La littérature, les arts, la musique, le journalisme et l'exécution plastique sont combinés d’une manière originale qui consiste, au lieu de publier sous impression des textes et des dessins, à se servir d’un pan de mur de la salle de café du cabaret comme espace d’expression libre. Crée comme un « anti-journal », une alternative aux publications officielles, Le Mur est inauguré en septembre 1894. Durant dix ans, quatre fois par semaine puis quotidiennement à partir du 13-14 septembre 1895 à la demande des clients, un « rédacteur », nouveau se charge chaque jour de faire le tour du cabaret, recueille les productions littéraires et artistiques improvisées ou gribouillées par les artistes, pour finalement les afficher sur un mur vide du cabaret destiné à cet effet. Tableau d’affichage sans cadre parsemé de collages, de graffitis et de dessins griffonnés sur des morceaux de papier, Le Mur comporte des parodies de plusieurs genres littéraires, des satires du monde politique et artistique ainsi que des réactions immédiates aux évènements du jour. Un aspect essentiel du Mur étant sa réflexivité, la plupart des écrits et dessins qu’il contient sont des représentations instantanées plus ou moins caricaturales des autorités et du monde même du cabaret des Quat’z’Arts (Fig.6 et 7). Les cibles les plus fréquentes demeurant le bourgeois, la censure, l’industrialisation ainsi que tous les faits majeurs de la politique comme l’Alliance franco-russe de 1897, le protectorat de Madagascar et le colonialisme.


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Fig.6 : Portrait de François Trombert par Guirand de Scévola pour Le Mur (21cm-15cm). Tiré de P.D Cate et M. Shaw, The spirit of Montmartre, cabarets, humor and the Avant-Garde, 1875-1905, op.cit, p.204.

 

Le Mur vise à mettre sans dessus dessous les conventions sociales, politiques, religieuses, littéraires et artistiques, et finalement la stratégie de la subversion elle-même. Mais il vise aussi clairement à élever les choses ordinaires et insignifiantes au statut de cibles et de dévotion inversée, déconstruite. Á travers cette création, il est possible d’y voir de la part des artistes une condamnation de la société qui les entoure et qui dévalue les valeurs artistiques. Ainsi, avec peu de choses et un matériel on ne peut plus commun, ils prétendent prouver l’intérêt esthétique de l’ordinaire et quelque part renouveler la production artistique en général. Comme les instigateurs du mouvement d’avant-garde, les « muristes » des Quat’z’Arts idolâtrent l’esthétique commune, non pour sa propre valeur mais pour détruire métaphoriquement une société qui déprécie des valeurs artistiques en général. Le Mur reste de nos jours peu connu même si son originalité est souvent l’activité la plus citée des Quat’z’Arts. Signe du peu d’attention manifesté par les pouvoirs décisionnaires français à l’égard de ces sources précieuses de la culture montmartroise et, à contrario, du grand intérêt que les chercheurs américains manifestent pour toute cette période, ce qui reste aujourd’hui archivé de ce texte/spectacle sont les sept volumes acquis par le fond Schimmel du musée d’art américain Jane Voorhees Zimmerli en 1991, comportant plus de 1500 fragments et bribes de papiers dont ne traite à ma connaissance qu’un seul ouvrage sur lequel je me suis appuyé entièrement[4].

Le désordre de l’affichage sans cadre et démultiplié à l’infini semble dire halte aux conventions et aux règles imposées en matière de création artistique et l’utilisation de matériaux en tout genre affichés à la vue de tous vient casser la frontière inconsciente qu’il y avait toujours entre le public et les acteurs des cabarets.


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Fig.7 : dessin anonyme de Louise France pour Le Mur (21cm-13,5cm). Ibid, p.227.


Grâce à cette initiative en faveur de la création artistique, le cabaret des Quat’z’Arts apparaît comme la quintessence de Montmartre en matière d’art dans la dernière décennie du XIXè siècle. Refuge de quelques artistes de la troupe du Chat Noir, le cabaret de François Trombert est parvenu grâce à l’habile gestion de ce dernier à fédérer non seulement une troupe mélangeant débutants et talents confirmés mais aussi à inaugurer un tout nouveau style de représentations avec la revue de cabaret dont tous les autres entrepreneurs de spectacle vont s’inspirer. Fixés dans ces lieux, les artistes pensionnaires des Quat’z’Arts nous laissent comme témoignages de cet esprit « fumiste » un journal ô combien révélateur de l’esprit de la bohème montmartroise de l’époque.

Volontairement ou involontairement en marge du reste de la société parisienne, les artistes des Quat’z’Arts s’unissent autour de l’Art, de la fraternité et de leur esprit anti-conformiste pour tenter de bouleverser les normes et les traditions artistiques. Ils sont indispensables pour comprendre les origines des mouvements d’avant-garde artistiques des premières décennies du XXè siècle, du Bateau-Lavoir aux Dada ou aux surréalistes.


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Notes :



[1] Les Quat’z’Arts journal, 27 février 1898, n°17, p.1, « Quant Zola, au début de sa carrière, voulut décrire les Halles et le ventre de Paris, il allait aux Halles ; quant il s’agissait d’un grand magasin, il visitait le grand magasin. Il se documentait. Il voulait à toute force que ses romans fussent des terrains d’expérimentation. En le voyant observateur très documenté, on finit par s’habituer à croire qu’il n’avançait nulle chose sans s’y être préparé par une documentation fertile ».

[2] Ibid. Successivement dans sa chronique, Émile Goudeau qualifie Émile Zola de « prophète », de « devin qui a pensé créer de l’Histoire et qui n’a exécuté qu’un mauvais roman ».

[3] Les Quat’z’Arts journal, 5 mars 1898, n°18, p.1. « Épuisé par le grand effort qu’elle fît naguère, au cours d’un procès, la Nation montmartroise se repose avec délices ».

[4] « From Rabelais to the Avant-Garde : wordplays and parody in the wall-journal Le Mur », Olga Anna Dull dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de Phillip Dennis Cate et Mary Shaw, The spirit of Montmartre, cabarets, humor and the Avant-Garde, 1875-1905, p.199-242.

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