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Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 21 janvier 2009

Dessin de Siné-Delépine, Siné Hebdo du 21 janvier 2009


Pour une fois, nos deux hebdos satiriques hexagonaux s’entendent pour traiter du même sujet. Evidemment, pas de la même manière, loin s’en faut ! Il s'entendent également pour ne pas tirer sur l'ambulance, délaissant George W Bush, pour s'intéresser à son successeur.
Aucun quotidien, aucun hebdomadaire n’aura, n’a ou ne fera l’économie d’une ou plusieurs « unes » sur Barack Obama bien sûr, devenu le premier président noir des Etats-Unis. La presse, friande de sensationnel, présente l’événement comme « planétaire », le démocrate suscitant de par le monde un enthousiasme et une espérance sans borne. Pas difficile après ce qu’a fait Bush, expliqueront les sceptiques !

Comment les dessinateurs analysent-ils cet événement ? Pour Siné et son confrère Cabu, l’arrivée d’Obama à la tête de la première puissance mondiale est comprise avant tout comme un événement médiatique. Cabu montre la retransmission télévisuelle d’un moment de la prestation de serment tandis que Siné présente Obama en héros de fiction. Cabu choisit « le » moment crucial et symbolique dans le rituel national de l’intronisation du nouveau locataire (loyer gratuit, rassurez-vous !) de la Maison blanche. Le dessinateur de Charlie Hebdo adopte le point de vue des centaines de millions de téléspectateurs qui ont assisté à l’événement via leur écran plat (l’expression « petit écran » étant devenue obsolète). Cabu insère une image dans l’image, celle d’Obama sur un écran, une icône dans l’icône surplombant, dans un espace semble-t-il public, deux intégristes mécontents. De son côté, Siné écarte le rituel de l’intronisation pour lui préférer la métaphore. Contrairement à Cabu, il ne figure pas Obama sous une physionomie reconnaissable. Tournant le dos à la caricature, il lui suffit de représenter « un noir », c'est-à-dire un personnage à la peau chocolat et aux lèvres épaisses et violacées. Remarquons la différence entre les deux Obama. D’un côté un personnage aux traits fins et ressemblants, à l’épiderme gris-ocre jaune et aux cheveux crépus (quelques graphismes nerveux en forme de vaguelettes parallèles). De l’autre, des lèvres stéréotypées, un visage rondouillard et une pigmentation foncée.

Pour le lecteur, il s’agira pourtant du même, du « champion » Obama, ce héros dont la presse occidentale nous tresse les louanges, pour sans doute, dans un an, alors qu’il aura « déçu », l’accabler de ses critiques en expliquant : « on vous l’avait bien dit ». Le choix des couleurs pour figurer la « diversité » comme on dit aujourd’hui n’est certes pas anodin. En tous cas, la « diversité » réside avant tout dans la palette des dessinateurs qui oscillent entre le rouge violine, le terre de Sienne et l’ocre jaune plus ou moins désaturé pour colorer le visage du successeur de Bush.

Pas facile de « faire » métis, de « faire » noir ou asiatique. Les codes en la matière semblent universels mais souffrent de nuances importantes.

D’un côté donc, un Obama « réel » bien que médiatique, de l’autre un Obama héroïsé, métaphorique. Dans les deux cas, le nom du personnage apparaît dans le titre, formant une accroche puissante chez Cabu, fondu dans le titre et même dans un mot valise chez Siné, qui a choisi pour l’occasion une typographie évoquant par ses formes, sa coloration et ses divers jeux graphiques, l’époque des cow-boys américains et l’univers du cirque traditionnel, typo utilisée par exemple par Gruss (aspect renforcé par le jeu des couleurs de l’arrière plan et le disque orange qui évoque un éclairage de spectacle par un projeteur unique et mobile). Cabu imagine une composition en X. Le titre et la bulle dans l’axe haut gauche bas droit, l’écran et les deux intégristes pour l’axe haut droit bas gauche. L’écran surplombe les deux intégristes relégués au registre inférieur de l’image. L’écran prédomine, ainsi que l’accroche « Obama fait peur ». Remarquer le choix des grandes majuscules pour le nom du 44e président des Etats-Unis, une taille de lettres moyenne pour le « fait peur » et enfin beaucoup plus petite pour le texte de la bulle. Cette hiérarchie dans l’écriture structure le cheminement de lecture de l’image et traduit la domination d’Obama sur les deux intégristes. La « une » de Siné Hebdo, plus simple, envisage une composition centrée et circulaire focalisée sur un élément principal mais jouant sur un fort paradoxe visuel.

La rhétorique caricaturale recourt très souvent au procédé du travestissement de ses adversaires dans une visée dévalorisante, ou de ses héros pour valoriser leurs qualités réelles mais plus encore imaginaires. Tel président du conseil nous sera présenté en bateleur de foire, tel autre en enfant de chœur. De Gaulle prendra des airs de Super Man (ironiquement parfois) tandis qu’un autre se verra attribuer le rôle d’un énergique Hercule du panthéon grec, contre son ennemi l’hydre par exemple. Le travestissement n’est pas sans ambiguïté puisqu’il combine à la personnalité d’un être réel, celle d’un autre, imaginaire ou stéréotypé. Il faut, bien évidemment, pour que le lecteur décode l’image, des références communes. A chaque époque son panthéon métaphorique. Le bateleur de foire et les références mythologiques Hercule contre l'hydre ou religieuses (David contre Goliath par exemple) dans la caricature de la fin du XIXe siècle en France, Superman, Zorro et le SDF dans le dessin de presse aujourd’hui.

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Dessin de Quillembois, Le Caricaturiste du 18 11 1849.

Pourquoi avoir choisi Zorro, personnage quelque peu désuet de notre début de XXIe siècle ? Pour deux raisons fondamentales : il s’agit d’une part d’un héros positif, généreux, épris de justice et d’autre part, d’un personnage qui arrive toujours au bon moment pour dénouer une crise, protéger le malheureux contre les « méchants ». Plantu avait déjà par exemple imaginé Sarkozy en vengeur masqué lors de l’affaire de l’Arche de Zoé, mais alors, sans cheval.

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Dessin de Plantu, Le Monde du 8 11 2007.


Siné choisit la posture la plus fière du personnage, chevauchant un destrier cabré, épée dégainée.

Cabu héroïse également son personnage non seulement par le jeu du cadre de l’écran télévisuel, qui met en exergue son portrait, mais également par le point de vue en contre plongée imposé au lecteur. Dans l’iconographie religieuse, Dieu occupe cette place dans l’étage supérieur de l’image, quoique toujours au centre.

Chez Siné, le héros n’est pas sans paradoxe, puisque son destrier, bien que doué de mouvement comme l’indiquent quelques signes graphiques, est réduit à l’état de squelette. Encore des os, diront certains ! De toute évidence, et bien que le cheval bouge encore, Obama fait son numéro de cirque, mais il chevauche un animal mort, tout droit sorti d’un muséum d’histoire naturelle (ou prêt à y entrer).

Le lecteur familier des deux hebdomadaires pourra éprouver une impression de déjà vu avec Cabu et d’inédit chez Siné. Le créateur du Grand Duduche, dans ce dessin où dominent le jaune et le noir, avec ses deux intégristes, fait-il sciemment écho à la « une » publiée pendant la crise des caricatures de Mahomet et intitulée « il faut voiler Charlie Hebdo », dessin également associé à un fond en aplat jaune ?

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Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 7 2 2007.


Cabu dessine le juif intégriste de la même manière, à quelques bouclettes de papillote près, tandis que le fondamentaliste musulman a évolué du point de vue vestimentaire, avec notamment le keffieh, qui aura remplacé le croissant et la lune symboliques. Dans la « une » du jour, Cabu attribue au musulman une expression bien plus négative que celle du juif, grâce notamment à la forme et à la position des sourcils, mais également à la physionomie du nez (le rond s’oppose au pointu en la matière). L’un exprime la méchanceté, la haine, l’autre plutôt le mécontentement. Les couleurs de peau différencient les deux individus, le teint halé du premier se distinguant du rose pour le second. Pour autant, les deux, collés et même superposés, ne font qu’un. Ils boivent le même thé en sachet, éprouvent la même hostilité à l’égard d’Obama. Leurs expressions négatives tranchent bien sûr avec le sourire du président des Etats-Unis, expression dans ce cas synonyme d’humanité.

Que nous racontent Siné et Cabu qui semblent prendre le contre-pied l’un de l’autre ? Siné ne semble pas vouloir s’inscrire dans l’Obamania généralisée. Ou tout du moins, il présente un Zorro impuissant, incapable d’agir en quoi que ce soit, paralysé par sa monture morte et naturalisée. Que représente le cheval ? L’Amérique ? Deux interprétations de l’image s’opposent : 1/ Siné met en scène Obama comme un héros chevauchant un pays exsangue, ravagé par 8 années de bushisme et donc totalement impuissant à mettre en œuvre la politique généreuse dont il serait l’incarnation. 2/ Siné se moque avec force de l’héroïsation médiatique du nouveau président américain et dévoile la vraie nature de ses intentions : plutôt que la justice, il sèmera lui aussi la mort et la désolation.

Quant au dessin de Cabu, il nous plonge dans la plus grande perplexité. Les deux intégristes renvoient semble-t-il, vu l’actualité, au conflit israélo-palestinien, à la guerre qui s’est menée à Gaza. Bien qu’Obama ne se soit pas exprimé sur le conflit ni pendant son déroulement, ni le jour de son investiture (ce que ne pouvait pas savoir Cabu), il ne pourra pas faire l’impasse sur la crise. Mais dans quelle direction ? En parvenant à faire la paix au Proche-Orient ? Sur quelles bases ?

L’image de ces deux intégristes évoque-t-elle vraiment le conflit israélo-palestinien ? Si le musulman avec son keffieh, sa djellaba et son fez blancs désigne sans ambiguïté le militant du Hamas ou en tout cas l’intégriste palestinien, l’autre protagoniste du conflit, l’Etat israélien et sa puissance de feu, ne saurait être incarné par un juif orthodoxe (mais plutôt par un militaire en l’occurrence), à moins de dénoncer la politique des travaillistes et celle du Likoud comme « intégristes ». Si tel était le cas, le dessinateur mettrait sur un pied d’égalité les deux adversaires, en les présentant même comme finalement complices. Cabu souhaite peut-être juste dire qu’avec une Amérique moins agressive et plus généreuse en matière de politique étrangère et dirigée par un noir démocrate, les intégristes de tout poil, notamment au Proche-Orient perdront en audience auprès de populations aujourd’hui déboussolées ? Bref, enfin un président des USA qui ne ferait peur qu’aux seuls vrais « méchants » et pas à l’ensemble du monde comme Georges Bush !

A moins que ce dessin ne comporte quelque pointe d’ironie, Cabu s’inscrit dans l’Obamania générale et risque d’être bien vite déçu !


Guillaume Doizy, le 22 janvier 2009


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