Dessin de Plantu, Le Monde, 27 mars 2009
Nos lecteurs s’étonneront de ne pas trouver en haut de cette chronique les deux dessins de « une » de Charlie et Siné Hebdo. Il se trouve que cette semaine, le « match » qui oppose les deux rédactions de manière plus ou moins feutrée se perpétue par dessin interposé, un dessin de Plantu. Les familiers de Charlie n’auront pas manqué de lire le billet de Gérard Biard analysant une charge du fameux dessinateur à l’origine de « Cartooning for peace », parue en « une » du Monde le 27 mars. Sous le titre parodique « Plantu, cartonnist for Alzeimer », Gérad Biard semble décrire par le menu l’œuvre de celui qu’il décrit comme « le meilleur » d’entre nous, pour relever deux interprétations possibles : Plantu défendrait la liberté d’expression en se mettant finalement derrière Le Pen contre tous ceux qui veulent limiter cette liberté, ou alors il s’agirait d’un dessin très hostile à Le Pen et à sa récidive en matière d’âneries révisionnistes, mais dans ce cas, le dessin ne serait rien moins que « complètement crétin ».
Pour confirmer la première interprétation, G. Biard décrit la manière dont Plantu représente les parlementaires européens, manière typique, selon lui, de l’antiparlementarisme d’extrême droite.
La polémique qui oppose Siné à Philippe Val et Charlie Hebdo depuis des mois trouve là une nouvelle façon de s’exprimer de manière particulièrement violente. Gageons que Gérard Biard regrettera peut-être son article, tant le dessin a été analysé au filtre de lunettes déformantes, reflétant le fossé qui sépare les deux « camps ».
Il faut se rappeler en effet que Plantu a pris la défense de Siné, contre son éviction de Charlie Hebdo, représentant notamment Philippe Val en nazillon, procédé particulièrement violent il faut le dire et peu habituel du crayon plantusien. Un dessin qui a évidemment alourdi les relations entre les deux équipes. Contre l’image d’un Val hitlérien, Charlie Hebdo voudrait construire celle d’un Plantu défenseur de Siné antisémite et finalement… de Le Pen lui-même au nom de la liberté d’expression.
Le dessin de Plantu, comme presque tous les dessins, a contre lui d’induire une lecture polysémique. « Le crime est dans l’œil de celui qui regarde » avait déclaré un peu rapidement Philippe Val. En matière de lecture d’image, il faut faire très attention aux risques de surinterprétation, se poser la question bien sûr des intentions du dessinateur, mais également de la manière dont l’image pourra être comprise.
Cette dernière étape demeure la plus insaisissable, tant les grilles de lectures sont multiples en fonction du contexte de réception, de sa propre culture, de son état émotionnel, du contexte politique.
Néanmoins, lorsqu’on décortique une représentation, il faut essayer de ne pas évacuer un ensemble de sens qui peuvent sembler évidents, sauf à prendre le risque de tromper ses lecteurs.
François Forcadell, sur son blog dédié à l’actualité du dessin de presse actuel, défend, lui, une autre manière de comprendre le dessin de Plantu : Le Pen se présente souvent comme une « victime » du lynchage médiatico-politique, voué au gémonies et en quelques sortes brûlé en place publique à chaque fois qu’il s’exprime, donc martyr d’un complot médiatico-politique. Plantu ridiculiserait cette propension de Le Pen à se présenter comme un martyr à l’occasion d’un dérapage odieux.
Voilà ce que pourrait exprimer ce dessin. Gérard Biard a en fait omis de décrire divers éléments fondamentaux de l’image: tout d’abord le visage de Le Pen, particulièrement dégradé, vieilli, gonflé, un Le Pen souffrant et par ailleurs une fois de plus disqualifié par un attribut infamant : la chemine brune décorée du bandeau tricolore rouge-noir-blanc rappelant évidemment le nazisme.
Lorsqu’on veut susciter l’empathie envers une victime, on ne caricature pas ses traits, comme cela a été régulièrement le cas dans la caricature anticléricale par exemple qui a rappelé, notamment au début du XXe siècle, les assauts de l’Inquisition. Qu’il s’agisse d’Etienne Dolet, du chevalier de la Barre, de Jeanne d’Arc, de femmes, voire de Marianne victimes des sévices religieuses, aucun de ces personnage n’est affublé d’une physionomie dégradée. La caricature au sens premier du terme est généralement réservée à l’adversaire que l’on flétrit. Si Plantu avait voulu faire passer Le Pen pour un martyr, il l’aurait représenté en civil et non en nazillon, doté d’une tête d’homme respectable.
Deuxième élément d’importance que Gérard Biard passe sous silence : la couleur des flammes du bûcher, flammes tricolores. La symbolique tricolore peut se comprendre de deux manières : elle pourrait faire référence à la France (et non l’Europe) qui, par ses réactions unanimes, condamne littéralement le leader d’extrême droite. Ou bien évoquer le logo même du Front National, particulièrement bien connu : dans ce cas, Le Pen serait montré comme se condamnant lui-même avec de tels propos révisionnistes.
Terminons par l’attitude des parlementaires européens. Les critiques à leur égard ne manquent pas dans la presse (et peut-être même à Charlie dont une bonne partie da la rédaction a voté « non » au référundum sur la Constitution européenne), qui relève régulièrement l’absentéisme chronique de ces édiles ; on connaît par ailleurs la puissance des lobbies industriels qui courtisent l’assemblée, rendant fort suspecte leur probité. La recherche du consensus permanent les pousse en général à choisir des voies moyennes bien insatisfaisantes. La télévision montre régulièrement des bancs de l’Assemblée non seulement clairsemés, mais sur lesquels dorment quelques élus… Toutes ces critiques relèveraient-elles de l’antiparlementarisme d’extrême droite ?
N’oublions pas qu’il s’agit d’un dessin de presse satirique. Le dessinateur, et c’est bien normal, pose son regard décalé sur un monde qui semble lointain à l’électeur lambda, un monde qui se veut sérieux mais dont on prend le contre-pied.
L’extrême droite ne représente pas les parlementaires sous un jour bonhomme, comme les mauvais élèves d’une mauvaise classe. On reproche aux parlementaires de s’enrichir sur le dos de la population, d’être vendu aux nations étrangères, d’être totalement impuissants, de se battre pour la place, voire animalisés en rapaces.
Toute critique à l’égard des parlementaires se transformerait donc en aliment pour l’extrême droite ? Le raisonnement semble un peu court et en rejoint un autre qui veut que toute critique de la politique de l’Etat d’Israël soit considérée comme de l’antisémitisme…
Gare aux raccourcis, en matière d’idée comme de dessin satirique. Nous ne nions certes pas que le dessin de Plantu soit ambigu dans le sens où, très ouvert, il permet une multiplicité d’interprétations. Son auteur a sans doute voulu faire rire aux dépends de Le Pen qui se présente comme un martyr devant le Parlement européen. Il aurait en effet déclaré, selon la presse, être victime « d'accusations diffamatoires » de la part du président du groupe socialiste Martin Schulz, quand ce dernier l'avait notamment qualifié la veille de son « dérapage », de « vieux fasciste » et de « négationniste de l'Holocauste ». Lorsque Le Pen a réaffirmé que la Shoah avait été un « détail de l’histoire », les parlementaires auraient réagi par des huées.
Plantu présente donc le « martyr » Le Pen, face à un public qui présente peu d’intérête pour la scène.
Le dessinateur condense deux situations : une posture du dirigeant lepéniste, dans un hémicycle critiqué généralement pour sa mollesse, voire même son impuissance.
Et au final, le lecteur un tant soit peu hostile à Le Pen se réjouira de le voir ainsi mis à mort symboliquement, sans éprouver aucune sympathie à l’égard de ce vieillard éructant (c’est ainsi que le dessine Plantu). La caricature recourt souvent à la mort symbolique de ses adversaires, combinée ici à l’idée de martyr à comprendre au second degré.
Plantu réalise là un dessin compliqué et sans doute difficile à lire, comme il en prend l’habitude depuis plusieurs années, combinant en général différentes situations, dans des compositions plus ou moins évidentes. Mais de soutien à Le Pen, point. Gérard Briard, qui laisse entendre que la rédaction dans son ensemble a été "atterrée" par le dessin se trompe, et ne prend pas en compte tous ses éléments constitutifs.
De quoi nous faire réfléchir au sens des images, à la difficulté de communiquer par le dessin de presse, mais aussi à la possibilité de manipuler le lecteur par une interprétation erronée.
Guillaume Doizy, le 2 avril 2009
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