Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 18 février 2009
Dessin de Siné, Siné Hebdo du 18 février 2009
Cette semaine, nos hebdos satiriques jouent avec la parodie. Parodie d’une réclame « historique » pour Siné, parodie d’une prise de position publique du chef de l’Etat pour Riss à Charlie Hebdo.
Nos deux dessinateurs focalisent sur l’expression du visage, même si l’un, Riss, privilégie le très gros plan, tandis que l’autre, Siné, affectionne le plan rapproché. Le choix du cadrage n’a
rien d’anodin. Le gros plan met en valeur les caractéristiques faciales (expression particulière associée à des détails physiologiques chez Sarkozy), le plan rapproché permettant au lecteur de «
lire » le visage tout en décryptant l’action du personnage.
Siné choisit donc de détourner la célèbre marque Banania, d’abord illustrée par une femme antillaise puis au travers d’une figure devenue aujourd’hui emblématique de l’époque coloniale : le
tirailleur sénégalais. L’adoption de cette icône date de 1915, à un moment où les Etats envoient au massacre leurs populations respectives et mettent en avant les « indigènes » des colonies. Bien
que Siné réalise une transcription assez personnalisée du tirailleur, il conserve les caractéristiques de la typographie de la marque mais également la couleur du fond, ainsi que la calligraphie
rouge de l’accroche passée au mode négatif : « y’a plus bon… ». C’est que le tirailleur, symbole de la France coloniale et raciste pour qui le noir représente l’exotisme et la force sauvage, se
révolte. Le noir souriant au fez rouge a remisé sa docilité légendaire : il enfonce un doigt d’honneur grossier dans le postérieur d’un blanc coiffé d’un casque colonial. Sans y faire
explicitement référence, Siné renvoie à la grève qui paralyse depuis un mois la Guadeloupe et touche également la Martinique. Le gouvernement a joué le pourrissement de la situation. En
vain, puisque la détermination reste de mise notamment pour l’obtention d’une augmentation générale des salaires.
La force du dessin de Siné réside dans le transfert iconographique : un personnage, symbole de servilité et image même du racisme, représente pour l’occasion son contraire, c'est-à-dire la
dignité qui s’exprime au travers de la révolte. L’inversion évoque bien sûr le procédé fort ancien du « monde à l’envers » où l’agneau mange le loup, le pauvre domine le riche.
Siné se solidarise avec le mouvement et dénonce, dans son éditorial du jour, le néocolonialisme qui prévaut dans les Dom. Après Obama, un autre noir devient une figure héroïque et pour une fois,
la caricature plutôt que d’attaquer un adversaire par des moyens dépréciatifs met en valeur une figure positive : le noir révolté, mais un noir qui peut tout aussi bien évoquer l'Afrique que la
France d'outre mer.
Les dessinateurs parodient depuis longtemps des images connues. Au XIXe siècle on pense aux métaphores bibliques (Adam et Eve chassés du paradis, la fuite en Egypte, la cène, la crucifixion,
l’ascension, la couronne d’épine, etc.),
mais également aux œuvres d’art les plus célèbres, comme le Laocoon par exemple pour présenter un personnage dans une situation inextricable, la Marseillaise de Rude ou le Radeau de la
Méduse. Les caricaturistes absorbent très rapidement
les images produites par leur époque. Ainsi en est-il de la Semeuse d’abord frappée sur des pièces de monnaie puis publiée en timbre au début du XXe siècle. La réclame puis la publicité rentre
rapidement dans le langage des dessinateurs. La célèbre « Voix de son maître » de Gramophone date de 1899 et trouve sa place dans la propagande anti allemande de la guerre 14-18.
Riss quant à lui ne parodie pas une image, mais une citation de Nicolas Sarkozy. En septembre 2007, le chef de l’Etat déclare aux Dernières nouvelles d’Alsace : « La croissance, je ne
l'attendrai pas, j'irai la chercher », justifiant ainsi par avance la déréglementation des 35H et les allègements de charges patronales. Mais plutôt que de montrer un président de la République
volontaire et déterminé, Riss imagine un chef de l’Etat dont l’impuissance se manifeste au travers d’une dentition particulièrement dégradée. Ainsi, ne reste-t-il à l’hyper président que deux
chicots, rendant tout à fait illusoire sa capacité à aller « chercher la croissance ». Sur le fond, on pourrait juger ce dessin contradictoire puisque Sarkozy a bien assoupli les 35H, a bien
réduit les charges patronales et multiplié les aides aux entreprises. Certes, la croissance n’est pas au rendez-vous du fait de la crise mondiale, mais les cadeaux ont été largement distribués
!
Riss utilise un procédé ancien qui vise à dégrader physiquement son adversaire pour en montrer l’impuissance, pour qualifier ses échecs. Les dessinateurs hostiles à la République multiplient
depuis 1830 les Mariannes décharnées, aux vêtements usés et rapiécés ; en 1870 la caricature fourmille de représentations de Napoléon III jambe cassée, marchant difficilement malgré des béquilles ; quant aux
anticléricaux, ils présentent depuis 1871 les religieux ou même Dieu et Jésus avec des vêtements usés et rapiécés pour signifier le recul de l’Eglise dans la société. La caricature hostile à la
religion s’intéresse également à la dentition très dégradée des hommes en soutane pour mieux mettre en scène l’obsolescence de leur rôle social : il manque à tel pape quelques dents tandis que tel autre religieux perd
carrément plusieurs de ses dents : le choc des
élections remportées par les radicaux lui aura été fatal. Parfois la métaphore dentaire se fait plus rude encore, puisque la victime subit un arrachage en règle, réalisé par un dentiste lui-même,
comme dans un dessin d’Alfred Le Petit qui rappelle celui de Riss.
La dentition de vieillard sénile attribuée à Sarkozy traduit son impuissance totale à résoudre la crise qui frappe la population en même temps qu’elle vise à ridiculiser sa personne, à
désacraliser son image même, évoquant soit une déchéance sociale, soit une maladie sévère ayant eu raison de sa denture. Riss rajoute à cet élément fortement dégradant une paire d’oreilles
proéminentes. Le dessinateur choisit de ne pas attribuer de corps au président de la République, son visage devenant ainsi un masque risible.
Paradoxalement, le noir « Banania » méprisé et opprimé présente une dentition de bien meilleure qualité que celle du chef de l’Etat, symbole de son oppression. Même si les 200 euros
d’augmentation de salaire ne sont pas encore gagnés, les ultramarins (comme on dit maintenant) de Guadeloupe auront au moins déjà réussi à tenir tête à l’Etat néo-colonial et à écorner un peu
plus l’image d’un Sarkozy tout puissant et inébranlable.
Guillaume Doizy, le 20 février 2009
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