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Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 11 février 2009

Dessin de Siné, Siné Hebdo du 11 février 2009

 

(cliquer sur les mots surlignés pour faire apparaître les images...)


Le « match » du jour nous amène à discuter de bombe, de baiser et de trivialité. Les dessins de « une » de nos deux hebdomadaires diffèrent cette semaine très franchement. Une caricature du pape Benoît XVI d’un côté, et de l’autre, un dessin jouant sur l’anthropomorphisation d’un objet hyper stéréotypé et fort simple dans sa forme.

Siné nous a habitué depuis les premières semaines de la fondation de son hebdomadaire à des dessins très variés dans leur forme comme dans leur graphisme, alternant le détournement de symboles et la caricature plus traditionnelle. Charlie Hebdo, fidèle à lui-même, attaque une personnalité connue, sur le mode du trivial, après la saillie grossière de la semaine précédente (« dans ton cul, Fillon »).

Commençons par la bombe. Les dessinateurs de Siné Hebdo lui accordent une place importante dans leur dessin, puisque trois d’entre eux, en plus de Siné, mettent en scène des bombinettes. Dans trois cas sur les quatre il s’agit d’une sphère (ou d’un disque) noir (censé contenir de la poudre) auquel est associée une excroissance luminescente ou non, la mèche. Un des dessinateurs associe une mèche à une chaussure, référence au lancer fameux contre Bush, qui devient peu à peu un symbole mondial (?) de contestation. Sans avoir de compétence particulière en ce qui concerne la fabrication d’explosifs, il n’est pas difficile de souligner l’écart entre la représentation et la réalité. Les bombes artisanales, aujourd’hui, se déclenchent pour certaines avec des téléphones portables ! Les dessinateurs, et c’est bien normal, recourent à un langage commun composé de stéréotypes souvent fort anciens et tenaces, stéréotypes dont ils assurent la pérennité. La bouteille de gaz bourrée de clous n’a pas encore remplacé la bombe de Ravachol dans les imaginaires collectifs.

L’engin explosif évoque, dans la caricature, une crise qui va bientôt éclater, et peut fonctionner comme une menace. Ainsi en est-il dans un dessin anticlérical des Corbeaux où le pape Pie X trône sur un siège sous lequel va bientôt exploser la « séparation ». L’engin doit pulvériser l’adversaire, le faire disparaître, au moins symboliquement. Il s’agit d’abord bien sûr d’une métaphore sociale et politique, comme dans le dessin de Siné. L’expression « ça va péter ! » confirme le lien avec le mouvement social, ritournelle que l’on retrouve autant chez les optimistes qui aspirent à la généralisation des luttes que chez les pessimistes qui la redoutent. On retrouve cette même bombe chez le dessinateur Giris, qui, avec un siècle d’avance, plaçait déjà l’objet dans le presque turban de Nicolas II, le tsar d’une Russie alors en prise avec les attentats nihilistes. La bombe fonctionne bien chez Giris comme une menace contre l’intégrité du souverain. Siné ne cherche pas à mettre en scène le drame. Il vise au contraire à mettre en image le caractère bon enfant de l’explosion sociale à laquelle il aspire. La sphère se transforme en un visage animé d’un large sourire, d’un nez bonhomme et de deux yeux rieurs. L’anthropomorphisation n’est pas rare dans le dessin de presse. Le dessinateur rajoute généralement des membres à l’objet ainsi qu’une tête, ou parfois, comme chez Siné, quelques traits pour dessiner un visage humain.

Le dessin de Siné évoque la fête, la mèche prenant des allures de flamme de bougie, la flamme qui éclaire dans la nuit sombre, l’étincelle d’espoir dans le marasme ambiant. Image paradoxale que ce sourire bonhomme dessiné sur un engin explosif porteur de mort. Sous le titre du journal, la citation hebdomadaire renvoie à Ravachol, chez qui la bombe n’était pas vraiment métaphorique !

La caricature recourt souvent à l’exagération pour traduire un point de vue, frapper les esprits. Siné Hebdo, en multipliant les images de bombes trouve là sans doute un moyen d’exprimer une certaine radicalité. Mais le dessin exprime peut être plus profondément l’idée que la bombe sociale est dans la tête de chacun de nous, que c’est une question de maturation de la conscience, la mèche incendiaire étant placée sur le dessus du crâne, siège de notre intelligence.

Dans un tout autre registre, Cabu choisit, lui, le trivial pour stigmatiser l’attitude du haut clergé catholique à l’égard de certains révisionnistes, et notamment la réintégration au sein de l’Eglise d’un évêque niant la réalité de la Shoah. Le souverain pontife, qui regarde le lecteur dans les yeux, embrasse avec force et sur la bouche l’évêque en question, en lui enfonçant un doigt dans le postérieur. Les deux forment un couple unis par l’amour, comme l’évoque le cœur mais aussi la référence à la Saint Valentin. Cabu convoque donc le baiser pour évoquer la connivence des deux religieux. Il y a là certes une forme d’offense à ces êtres censés respecter la chasteté et la modération du corps (sauf les religieux pédophiles ou tout simplement les amoureux clandestins, tout de même plus sympathiques). Le geste scatologique traduirait peut être la « profondeur » de la relation amoureuse en jeu ici. Quant au baiser, il renvoie à une pratique médiévale, symbole de vassalité, ou au baiser de paix traditionnel qui traduit un accord parfait entre les deux hommes, comme il traduisait l’alliance entre les bonapartistes et les capucins chez Daumier en 1851 par exemple.

Dans ce dessins, la couleur joue un rôle important : en lieu et place du rose qui devrait dominer l’image en référence à l’amour et à la fête des amoureux, un aplat noir plombe l’image et évoque le drame que constitue le négationnisme. Notons d’ailleurs que ce fond bouché altère nettement le style Cabu, plus habitué à livrer des dessins au trait sur fond blanc.

Beaucoup de dessinateurs se sont intéressés à la polémique liée à la réintégration par le pape d’un évêque niant la shoah, mais de manière beaucoup plus décapante en général. Tignous fait lire « mein Vatikampf » à Benoît XVI tandis qu’Avoine la semaine dernière dans Siné Hebdo en 4e de couverture imaginait un bras nazi tendu au bout duquel s’agitait une marionnette d’évêque. Un dessin sans parole particulièrement percutant. Ces très nombreux dessins, contrairement à celui de Cabu, incorporent un symbole fort du nazisme qu’il s’agisse de la croix gammée, de la posture évoquant le salut hitlérien ou de l’ouvrage rédigé par Hitler. Le négationnisme est ainsi assimilé au nazisme et à l’extermination des juifs et pas simplement évoqué par un terme abstrait. Cabu vise « seulement » à montrer les liens forts qui existent entre le pape et « cette » Eglise-là, mais sans invoquer les symboles de rigueur. Ainsi la trivialité du dessin relègue ce qu’il peut avoir de politique au second plan.

Le trivial forme une des armes principales de la caricature depuis la Réforme de Luther et vise à avilir un adversaire qui se présente comme vertueux et droit, d’une morale stricte et irréprochable. Il s’agit donc de désacraliser les grands de ce monde, de révéler leur vraie nature supposée, mais surtout de permettre au lecteur de transgresser, symboliquement, cette sacralité des représentations sociales. Le pape, le « souverain pontife », le « saint père » est rabaissé à l’état d’être humain bas et vil chez qui le corporel efface le spirituel.

De très nombreuses charges puisent aux sources de ce procédé à la fin du XIXe siècle notamment pour dégommer l’Eglise catholique d’alors. Le pape et ses évêques sont féminisés, infantilisés, dénudés, associés à la scatologie, mis en scène dans des postures peu avouables, etc. Mais la situation est alors très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui : la morale religieuse pèse à l’époque de tout son poids sur la société, l’Eglise catholique domine les consciences et la désacralisation de l’institution prend un caractère émancipateur. De ce point de vue, plus proche de nous et à une époque où le carcan pesait encore fortement, Reiser a poussé le procédé assez loin !

Une fois de plus il nous semble que nos deux hebdos satiriques ne choisissent pas pour leurs « unes »  les dessins les plus percutants et les plus significatifs, que l’on retrouve pourtant dans leurs pages intérieures. C’est bien dommage !


GD, le 13 février 2009


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