Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 4 mars 2009
Dessin de Siné et Martin, Siné Hebdo du 4 mars 2009
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Ainsi en est-il de la caricature qui met en scène les pensées et les actes les plus déplorables de ses adversaires. Siné Hebdo et Charlie de cette semaine se rejoignent sur ce point : l’un en imaginant la morgue d’un avocat à l’énoncé du verdict dans l’affaire Licra/Siné, l’autre pour évoquer les mesures économiques de Sarkozy face à la crise.
Dès le début, Siné Hebdo s’est illustré par une forte propension au nombrilisme, au martyrologue et à la haine contre son concurrent, comme le déplore d’ailleurs cette semaine Canava qui se réjouit néanmoins de la relaxe de Siné. Plutôt que de tirer un trait (pour un dessinateur…) sur le différent profond qui l’oppose à Charlie Hebdo et surtout Philippe Val, le patron de Siné Hebdo utilise la « une » de son journal pour alimenter le clivage, se montrer provocateur et exacerber la polémique. De manière très indirecte cette fois puisque Siné ne se représente pas lui-même. Il met en scène la rage d’un avocat dont on comprend bien qu’il s’agit d’un défenseur de la Licra et donc du « camp » Val, BHL et autres Claude Askolovitch, avocat vociférant et se faisant particulièrement menaçant (noter qu’un même poing tendu se fait polysémique et n’évoque pas ici la revendication sociale). Le texte, de manière peu habituelle chez Siné, prend une importance considérable dans l’image. Selon la distribution des contrastes, le titre passe au second plan, tandis qu’en vis-à-vis du dessin, le lecteur lira d’abord la phrase énigmatique « ils ont torturé Jean Moulin, ils relaxent Siné ». Séparée du titre, cette phrase peut laisser croire qu’il s’agit des mêmes. Les bourreaux de Jean Moulin auraient blanchi, quelques décennies plus tard le dessinateur octogénaire. Le sens du titre modifie bien sûr celui de la phrase. Le dessinateur met en texte la pensée de l’avocat rageur qui proteste contre une ville dans laquelle on relaxe « l’antisémite » Siné tout comme on torturait une figure emblématique de la Résistance. Du point de vue du dessin, de la caricature et même de la satire, l’image ne présente pas grand intérêt. Siné se porte en faux contre la tendance d’une partie des « intellectuels » ou des hommes de médias à dénoncer l’antisémitisme là où il ne se cache pas. Le dessin met en scène cette logique qui consiste à considérer comme des criminels ceux qui ne condamnent pas le prétendu racisme de Siné tout comme ceux qui ont torturé un résistant. Indépendamment du fait que certaines sources localisent la torture de Jean Moulin à Paris plutôt qu’à Lyon, Klaus Barbie a eu un rôle dans l’affaire, ainsi donc que la Gestapo. Le dessin de Siné stigmatise finalement l’inanité de ceux qui considèrent son antisémitisme supposé comme équivalent à celui des Nazis.
Cette charge nous semble néanmoins contradictoire et quelque peu confuse, puisque toute personne qui dénonce la torture d’un individu passe pour plutôt censée et sympathique. Pourtant, le personnage de l’avocat, sous le stylo de Siné, est censé ne pas l’être et représente tout le contraire…
Charlie Hebdo propose à ses lecteurs une couverture plus simple et plus amusante, imaginée par Riss. Il s’agit de faire le lien entre le nombrilisme de Sarkozy et le protectionnisme dont il fait preuve dans ses mesures pour soutenir les entreprises de l’automobile, tout cela sur fond de scatologie. Riss présente le président de la République comme un contorsionniste particulièrement efficace, capable de faire le tour de lui-même. Le contorsionniste manipule son propre corps pour mieux faire illusion. Le personnage est dessiné totalement nu, procédé très dégradant que nous avons déjà discuté dans cette chronique. N’oublions pas qu’à certaines époques il aurait été inconcevable de montrer un chef d’Etat dénudé. Les premières salves d’envergure furent tirées contre Napoléon III lors de sa chute et déjà dans les siècles qui précèdent, les corps se dévêtissent partiellement pour évoquer l’outrage. Le corps dévoilé induit une impudeur immorale, mais également la disparition du vêtement, symbole du statut social. La nudité désacralise et trivialise ainsi les individus renvoyant parfois à la pornographie. Charlie Hebdo se complait d’ailleurs dans le dévoilement des « charmes » de notre Nicolas national tout comme de la scatologie, montrant déjà son anus en décembre 2008, avec un dessin de Catherine.
Le dessin de Riss joue du ressort scatologique. La solution géniale de Sarkozy, le protectionnisme, solution « qu’on peut trouver chez nous », n’étant autre que « de la
merde ». Le plaisir qu’à Sarkozy à se flairer le derrière fonctionne comme une métaphore de l’absurde. Le dessinateur tient à se démarquer, comme d’ailleurs la grande majorité des
journalistes, du protectionnisme que bien des économistes présentent comme une solution bien pire que le libre échange.
Comme nous l'ont rappelé plusieurs internautes avisés, ce dessin ressemble fort à un autre de Cabu, beaucoup plus ancien... sans pour autant y faire référence, et lui aussi lié à la
"crise".
Charlie Hebdo n°249 du jeudi 21 août 1975
Notons tout de même les limites du dessin qui finalement réduit sa critique à un raisonnement très basique : « le protectionnisme de Sarkozy = de la merde » sans chercher à expliquer quels intérêts peuvent être servis par ce protectionnisme, sans dire d’ailleurs que toute aide directe aux banques et aux entreprises s’apparente à du protectionnisme, maladie largement partagée par les Etats occidentaux actuellement.
Il est amusant de voir publié ce dessin des semaines après l’annonce de ces mesures protectionnistes et après que certains Etats européens les aient critiquées justement comme protectionnistes, obligeant Sarkozy à justifier ses mesures. Charlie Hebdo se targue de commenter l’actualité, mais cette fois avec un peu de retard…
Guillaume Doizy, le 7 mars 2009
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