Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 21 avril 2009
Dessin de Siné et Martin, Siné Hebdo du 21 avril 2009
Cette semaine, autant le dire, nos deux frères ennemis de la satire ne brillent ni par l’intelligence, ni par l’originalité de leur « une ». L’un et l’autre, bien qu’exprimant dorénavant leur acrimonie réciproque et consolidée, versent dans le même procédé qui consiste à traiter un adversaire pour l’un de « crétin », pour l’autre de « pauvre con ». Siné Hebdo a pour lui de céder au plaisir qui consiste à retourner contre son auteur une déclaration fameuse et qui aura fait date, l’inoubliable « casse toi pauvre con », réactualisé ces derniers temps en critiques peu éclairées mais démenties à l’encontre du premier ministre Espagnol, Zapatero. Cabu, pour Charlie, ne trouve, lui, rien de plus pertinent que de qualifier Ahmadinejad de « crétin », parodiant le titre d’une pièce de théâtre à succès (mérité) « Les monologues du vagin ». Le dessinateur, pour l’occasion, représente le dirigeant islamiste iranien en star d’affiche insérée dans une colonne Morris très parisienne. Cabu transforme la Conférence de Durban II contre le racisme en une sorte de « festival » focalisé sur un seul homme, un crétin donc (en général les crétins sont plus qu’inoffensifs…).
Nos hebdos se moquent un peu de leurs lecteurs et n’ont semble-t-il pas grand chose à dire. Réduire ces deux hommes d’Etat à quelque sobriquet dans des images ni drôles ni percutantes (ou alors la finesse du propos nous aura échappé), relève de l’escroquerie, alors que ces deux hommes défendent et mettent en œuvre des politiques, des valeurs morales et des idéologies sur lesquelles il y aurait plus que beaucoup à dire (ou vomir).
Certes, on ne peut attendre du dessinateur qu’il produise chaque semaine un manifeste politique. Mais au moins qu’il fasse rire ou pleurer, qu’il nous mette en colère ou qu’il nous émeuve, qu’il nous séduise par un gag graphique inédit, qu’il nous impressionne par une virtuosité de style…
Pour Siné Hebdo, gageons que le dessin de Delessert sur les enfants sans logis aux USA avec une belle animalisation aurait été plus probant en « une » que le dessin raté de Siné, tandis que Charlie aurait sans doute bien plus amusé ses lecteurs avec la charge humoristique de Riss publiée dans les « échappé » sur les patrons séquestrés, ou dénoncé la politique répressive du gouvernement actuel avec le dessin d’Honoré… Mais il était sans doute de bon ton d’attaquer pour l’un Sarkozy, pour l’autre l’antisémite Ahmadinejad. Sauf qu’un dessin vide de contenu a sans doute peu de chance d’aiguiser l’intelligence démocratique du lecteur…
GD de mauvaise humeur, le 22 avril 2009
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AlbanP nous fait l’honneur de « défendre » les « unes » de Charlie et Siné de cette semaine dans le commentaire suivant publié le 24 avril :
Il y a des jours comme ça, ou tout nous paraît fade…
Guillaume à dû se lever du mauvais pied! Pour ma part, j’ai trouvé que les deux « une » de la semaine étaient plutôt bonnes. Je ne trouve pas vain de prendre comme cible Ahmadinejad. Je trouve pertinent le rapprochement de ses positions politiques ses obsessions en matière de mœurs. Ramener (symboliquement) Duban II à ce vaudeville n’est-ce pas exprimer le sentiment que cette conférence (hélas) a été une mascarade et que la lutte contre le racisme est reportée à une date ultérieure…
Pour ce qui concerne Siné-Hebdo je trouve plutôt jouissif le bazar qui a suivi les « révélations » de Libération et cette « condensation » que propose Siné est drôle et c’est bon pour le moral.
Je dois avoir un peu de mal avec mon « intelligence démocratique de lecteur »… Il faut dire que généralement je me lève du bon pied.
AlbanP
Voilà qui nous encourage à remettre le couvert et réaliser l’analyse que nous avons boudée, par manque de motivation vu les dessins publiés. Pour Alban il n’est pas inintéressant de présenter Durban II comme un « vaudeville ». Certes, la caricature tire parfois d’un mauvais film ou d’une œuvre ratée une parodie pertinente. Sauf que, dans le cas présent, les « Monologues du vagin » n’ont rien d’un vaudeville. Une actrice évoque dans cette pièce les problèmes liés à la sexualité féminine, à l’amour, en un véritable hymne au plaisir et à ses angoissantes questions. Notre internaute (et ami) pense que ce rapprochement avec le monologue permet de tancer les « obsessions [d’Ahmadinejad] en matière de mœurs ». Mais l’obsession sexuelle de la pièce d'Eve Ensler n’a rien de négatif, bien au contraire. Un titre de film porno ou portant sur un obsédé sexuel et serial killer à la fois aurait sans doute mieux convenu à la dénonciation caricaturale du moralisme affiché par cet intégriste religieux patenté. Pour autant, l’évocation sexuelle nous parait peu convaincante, tant l’obsession de l’homme d’Etat iranien prend pour objet de haine, sur la scène internationale, les juifs, Israël et la Shoah. C’est d’ailleurs à ce sujet, et non à propos de questions morales, qu’Ahmadinejad a provoqué une nouvelle fois un tollé à Genève. L’homme d’Etat aurait déclaré le vagin des femmes propriété exclusive de leur mari (genre d’idées en cours en Afghanistan), le dessin aurait visé juste. Quant au « monologue », n’oublions pas que si l’occident rejette les positions iraniennes, Ahmadinejad a réussi à se faire applaudir à Durban II et compte de nombreux partisans. Ses tirades anti-Israël, après l’intervention militaire de l’Etat hébreu à Gaza, renforcent son image d’opposant à l’impérialisme occidental au même titre qu’un Ben Laden par exemple, a contrario des dirigeants arabes qui passent, aux yeux de leurs populations, pour bien trop modérés face aux interventions militaires occidentales ou soutenues par l’occident.
Il est possible que Cabu ait dû produire son croquis alors qu’Ahmadinejad n’avait pas encore réalisé sa performance médiatique. Le bouclage (du journal, pas des « territoires ») a ses nécessités et les dessinateurs prennent parfois un risque en s’intéressant à une actualité en cours. Cabu aura donc privilégié un angle d’attaque plus « général », s’appuyant sur le caractère sulfureux du personnage connu pour son soutien à une politique obscurantiste à l’encontre des femmes, des homosexuels et finalement de toute la population iranienne.
Quant à présenter cette conférence de l’ONU comme un mauvais spectacle, la caricature nous a habitué à de telles métaphores, et l’idée n’est pas mauvaise. Depuis Daumier et même avant lui, le cirque et ses dérivés de type théâtre de foire permet de métamorphoser tel personnage, telle institutions (l’Assemblée nationale par exemple, que les dessinateurs ont tôt fait de représenter en « folies bourbons » ou autres « guignols ») ou telle situation en un spectacle dérisoire et risible. Or, la colonne Morris n’a pas en soi de caractère comique. Elle transforme juste Durban II en spectacle, sans vraiment dire que ce spectacle est risible ou déplorable. L’image de la colonne Morris manque peut-être de mordant pour l’occasion.
Cabu aurait d’ailleurs pu, en visant le leader iranien, égratigner également les autres participants à cette conférence, voire même ceux qui ont refusé d’y être. En matière de racisme, notre tandem Sarkozy-Besson et sa chasse aux sans papier, l’Etat d’Israël et son attitude vis-à-vis des Palestiniens, les Etats-Unis à propos des détenus de Guantanamo par exemple (nous ne sommes pas exhaustifs), peuvent toujours en remontrer à l’Iran sur le terrain de l’antiracisme. Mais sans beaucoup nous convaincre. Le dessin de Cabu nous semble politiquement très médian et pourrait tout à fait satisfaire un électorat… sarkozyste qui voit par ailleurs d’un bon œil la politique anti immigrés menée en France…
Nous ne discutons pas de l’intérêt assez faible à nos yeux que représentent les deux jeunes personnages, traditionnels chez Cabu, et qui évoquent les éclats de rire en arrière fond, récurrents dans certaines séries télévisées, histoire d’encourager le téléspectateur à trouver une scène amusante. Cette masse permet d’équilibrer visuellement le dessin sans rajouter vraiment du sens à l’image…
A propos de Siné Hebdo, Alban se réjouit de voir Sarkozy en difficulté. Mais en quoi l’image apporte quoi que ce soit par rapport aux dénonciations de la presse, certes jouissives à l’encontre du chef de l’Etat ? Le personnage central, ni caricatural ni comique, représente un « monsieur tout le monde » hérissé par le chef de l’Etat et joyeux de le voir critiqué par la presse étrangère. Siné rappelle que finalement même ici, en France, on trouverait Sarkozy aussi « con » qu’à l’étranger, ce qu’Alban qualifie de « condensation ». Mais le texte de l’image suffit à dire cela, et le dessin n’apporte strictement rien à l’idée, ni même le liseret tricolore. Il aurait peut être été plus amusant de montrer Sarkozy, en train de se moquer de Zapatero, mais lui-même dans une posture délicate, perclus de tics ou se dressant sur la pointe de ses pieds pour paraître « à la hauteur » à côté de tel ou tel collègue chef d’Etat. Ou face à son « bilan » catastrophique en matière de politique fiscale (pour les riches) et antisociale (pour les autres). Ni le dessin, ni le titre, ni la légende ne comportent d’idée force et finalement l’image pourrait convenir, chaque semaine pour illustrer un méfait quelconque, sans rien y changer. Il suffirait de dire « nous aussi on est solidaire des critiques formulées dans telle ou telle polémique… ».
Alban pense qu’il n’est pas sans intérêt d’attaquer Ahmadinejad et Sarkozy. Nous partageons ce point de vue. Nous réclamons des dessins, plus de dessins contre ces deux-là ! Mais que les dessinateurs trouvent un « truc » qui nous fasse rire, qui nous aide à comprendre une situation, qui apporte un regard différent sur un événement.
Ce n’est pas le cas dans ces deux dessins… qui se contentent d’une injure, procédé sur lequel nous nous sommes déjà exprimés. « Crétin » évoque le crétinisme infantile, l’imbécillité. Certes, bien des propos d’Ahmadinejad peuvent être qualifiés de « crétins », c'est-à-dire d’absurde, mais qualifier de « crétin » un Hitler par exemple, n’est-ce pas personnaliser le nazisme au point d’édulcorer la réalité sociale et historique qu’il recèle ? Traiter le dirigeant iranien de crétin ou Sarkozy de « con », c’est, d’après-nous, regarder la politique par le petit bout de la lorgnette, mode contemporaine quelque peu décevante. Ni Daumier ni Grandjouan ni Forain ni Sennep n’auraient traité un adversaire de « crétin » ou de « con ». Et pourtant, leurs charges claquaient fortement !
Remarquons que pour Charlie comme pour Siné, nous suggérions que passent en « une » des signatures inhabituelles, qui donneraient certainement un peu de fraîcheur à ces journaux que d’aucuns trouvent un peu répétitifs.
Comme Alban, nous nous levons le matin de bonne humeur, mais il nous arrive parfois de trouver tel ou tel dessin décevant… ce qui gâche un peu la belle journée qui s’annonce !
GD, de meilleur humeur quand même...
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