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Dessin de Catherine, Charlie Hebdo du 20 mai 2009

Dessin de Siné et Delépine, Siné Hebdo du 20 mai 2009

 

Nous déplorions la semaine dernière l’absence de charges satiriques à l’encontre de l’ex patron de Charlie Hebdo, Philippe Val, regrettant la solidarité affichée des dessinateurs du journal (et des rédacteurs) envers leur patron, solidarité bien compréhensible évidemment. « Charlie III », puisqu’il faut appeler ainsi le journal satirique doté d’une nouvelle équipe dirigeante, se montrerait-il plus insolent que son prédécesseur « Charlie II » ? Premier élément de rupture : Cavanna ose dorénavant évoquer les pressions dont il fut l’objet et même la censure exercée à l’encontre de sa plume. Autre changement : la rédaction consacre une pleine page de dessins avec Val pour sujet principal sur le thème « quel poste occupera-t-il à France Inter ? ». Mais les dessinateurs éludent totalement le caractère politique de ce poste et de sa nomination par un président UMP. La « rupture », on le voit, n’a pas encore libéré les crayons, encore en liberté conditionnelle…

Siné Hebdo de ce point de vue se montre, depuis sa naissance, un peu plus détendu d’abord et avant tout parce que son patron se complait lui-même dans l’auto mise en scène. La crise Charlie / Siné s’étant focalisée autour de deux individus, Siné et Val, la personnalisation a trouvé son prolongement naturel dans l’autoportrait. Les dessinateurs ont également pris l’habitude de portraiturer leur patron en vieillard malade et quelque peu porté sur la bouteille.

On comprend bien néanmoins qu’une rédaction, cimentée par des aspirations ou des intérêts communs, ne transforme pas un journal en entreprise de démolition contre un de ses membres. Une autocensure naturelle s’impose, même si certains caricaturistes de Charlie n’ont pas manqué d’occasion, de par le passé, de formuler des critiques à l’égard de leur patron ou même déjugé la « ligne » du journal. Pour le dessinateur, la règle pourrait être : « ton journal, aime-le ou quitte-le ». Chez Siné Hebdo, le même problème s’est posé avec le dessinateur Rémy, dont on ne retrouve plus les dessins dans ses pages alors que l’un d’entre eux avait même eu les honneurs de la « une ».

Cette semaine, nos deux hebdos, sans doute émerveillés par la météo ensoleillée, ont égayé leur « une » de couleur jaune. Fond en aplat chez Charlie, un jaune d’or assez chaud, arrière plan en dégradé chez le confrère, du jaune au marron, cette couleur plus sombre formant le sol sur lequel repose le personnage dessiné. Dans les deux cas, la couleur forme l’espace, le décors, structuré chez Catherine de quelques fuyantes permettant de suggérer l’idée de profondeur, élément de perspective assez rares dans les « unes » préférant plutôt les mises en scène frontales et le jeu de succession de plans superposés. Siné induit l’idée de profondeur (sans jeu de mot) en positionnant le cadre partiellement de trois quarts, même si l’alignement des mains, de la cravate et du visage de face contredisent l’effet de perspective permis par le dessin des genoux et même des fesses. Siné bénéficie des expériences lointaines du cubisme, qui ont rendu cohérentes en occident ces agrégations de points de vue, courants dans les arts premiers, mais bannis en Europe depuis la Renaissance.

L’effet de réel induit par les jeux de perspective n’est pas confirmé par un quelconque modelé permettant de suggérer, voire d’accentuer des reliefs. Catherine et Siné cultivent l’aplat, style que l’on peut faire remonter, chez les dessinateurs satiriques à Jossot, mais qui alors demeurait exceptionnel. Le dessin de presse restait à la fin du XIXe siècle pétri d’influences classiques, même si peu à peu l’art nouveau et les expériences des avant-gardes a perturbé l’académisme plastique dominant dans la caricature.

On dira aujourd’hui que les dessinateurs visent l’essentiel et préfèrent à la lourdeur académique une certaine sobriété de style. L’œil moderne, éduqué par un siècle d’avant-garde ne souffre pas de cette stylisation, poussée bien plus loin par des dessinateurs du XXe siècle.

Charlie III, comme son prédécesseur, publie en « une » un dessin qui vise avant tout le comique, tandis que Siné Hebdo, en recourant certes au jeu de mot et au trivial, se fait plus militant.

Charlie condense deux événements : la crise des facs et le risque de voir les examens annulés, conséquence du blocage des universités depuis plusieurs mois d’une part, et de l’autre, un fait divers scolaire. Un collégien de 13 ans a en effet frappé son enseignante d’un coup de couteau de cuisine pour se venger d’une punition. Catherine imagine un élève qui aurait raté son examen, c'est-à-dire dans le cas présent sa cible (en rouge), à savoir le prof. La session de rattrapage (dont il est question dans les facs) lui permettra sans doute d’être plus efficace en septembre...

Ce dessin nous intéresse à plus d’un titre. La mise en scène de la violence scolaire a inspiré la main des dessinateurs ces dernières décennies. Il suffit pour s’en convaincre de visiter le site www.iconovox.com en effectuant une recherche sur ce thème. A chaque fois, le caricaturiste se voit contraint de recourir à un nombre réduit de stéréotypes qui renvoient évidemment à un langage commun, langage que partage le dessinateur avec son public, langage assez conservateur comme on va le voir.

L’école se réduit en général à la classe, comme c’est le cas ici. La classe se réduit au tableau noir (ou vert) vissé au mur, comme c’est le cas ici, tableau accompagné de quelques craies et d’une éponge. Chez Catherine, l’image du prof varie assez peu : plutôt que de mettre en scène une femme (les femmes sont majoritaires à l’Education Nationale et c’est une femme qui a été visée la semaine dernière), la dessinatrice choisit de mettre en scène un homme, figure emblématique du prof : cheveux courts, barbe taillée en forme de collier, ventre bedonnant, un cahier à la main, stéréotype du prof des années 1970. Quant au collégien au premier plan, traité graphiquement de manière assez originale (une couleur unique en aplat animée de quelques traits rapidement exécutés), muni de sa casquette, de son sweet à cagoule et d’un appareil dentaire, il correspond mieux à la réalité actuelle, ou plutôt il condense deux types de jeunes : le jeune des banlieues quelque peu turbulent et l’adolescent mal dans sa peau.

La caricature déforme évidemment les visages, pour les rendre plus expressifs : nez allongé et en trompette, quasi absence de mâchoire inférieure et surdimensionnement de quelques dents pour l’ado, grossissement des yeux chez le prof.

La caricature ne vise pas le réalisme : le couteau, énorme pour des raisons d’efficacité visuelle et de compréhension de l’image, ne choque pas (il mesurerait plus d’un mètre…). Quant aux cheveux et à la barbe de l’enseignant, colorés en vert émeraude comme le cahier, l’éponge, quelques craies et ainsi que le collégien, ils ne gênent pas le regard, bien au contraire puisque cet éparpillement d’une même teinte dans la page permet une meilleure circulation visuelle, et rompt avec une éventuelle partition de l’image en zone colorées qui formeraient des blocs opposés les uns aux autres.

La caricature emprunte à l’art classique du dessin son pouvoir de suggestion du réel, mais hiérarchise les éléments par des traitements graphiques adaptés : ainsi Catherine concentre les contrastes de couleur sur le prof, mais dispose le collégien « décoloré » au premier plan, deux univers graphiques opposés qui symbolisent le fossé entre l’élève et l’enseignant.

Notons tout de même le caractère totalement illogique de la scène : si l’ado avait lancé son arme sur le prof, ce dernier ne pourrait absolument pas être suspendu au tableau par son pull. Pour cela, il aurait dû être soulevé avant que l’arme ne soit plantée.

Mais justement, le comique joue de ces paradoxes et la posture du prof, accroché les bras ballants comme un vulgaire objet, est assez amusante.

Pour autant, une fois de plus, ce dessin publié par Charlie se garde bien de prendre parti, d’évoquer les causes de la violence scolaire, d’éventuelles solutions ou de rire d’un ministre de l’Education qui voudrait transformer les écoles en prisons, les chefs d’établissements en officiers de police, les élèves en délinquants potentiels… tout en réduisant à la hache le nombre de personnels d’éducation et d’encadrement dans les écoles, les collèges les lycées et les facs. Ce dessin pose un autre problème récurrent : comment rire d’un événement tragique sans rebuter le lecteur légitimement ému par la violence scolaire ?

Siné Hebdo, nous l’avons dit, se fait plus militant et choisit de dénoncer à sa manière la baisse des salaires « proposée » par certaines entreprises privées à leurs cadres. Avec des moyens graphiques moins élaborés que chez Catherine, Siné recourt, comme il l’a déjà fait en « une » de Siné Hebdo, à une métaphore sexuelle, qui fait de la pénétration anale forcée un événement douloureux. Il s’agit de mettre en scène, de manière très sobre d’ailleurs, l’expression « se faire enculer » (la couleur jaune évoque peut-être le cocufiage). L’idée de double pénétration peut également renvoyer à celle de double peine infamante et injuste. Le cadre, ici distingué par sa cravate (le patron a droit à un chapeau haut de forme et un cigare, le cadre à une cravate, l’ouvrier à sa salopette), à quatre pattes, a beau s’opposer par le langage à cette « double pénétration », il n’en a pas moins les fesses à l’air.

Pour Siné et Delépine, les mauvais coups ne datent pas d’aujourd’hui, et la baisse des salaires imposée à ces salariés bien payés (et en fait aux ouvriers depuis bien longtemps dans certaines entreprises par la réorganisation du temps de travail et les restructurations) s’ajoute à toute une série de vilénies que les cadres (ou les autres) ne se sont parvenus à empêcher.

Il est amusant de voir que Siné Hebdo, qui se dit volontiers anarchisant, se montre solidaire de cette frange supérieure du salariat… En tout état de cause, la réduction des salaires imposée aux cadres préfigure les prochaines attaques contre l’ensemble des salariés.

La crise permet, par exemple à Chrysler aux Etats-Unis, de réduire de moitié les salaires d’éventuels nouveaux embauchés. L’entreprise s’apprête à remettre en cause les revenus des retraités mais aussi l’assurance santé des actifs, réduisant de manière radicale le pouvoir d’achat du personnel.

Parmi les procédés à disposition des dessinateurs, la métaphore sexuelle renvoie évidemment à des images « limites » et qui se veulent choquantes. Charlie Hebdo a certainement abusé de ce langage dans le passé, et certains dessinateurs de Siné Hebdo semblent avoir pris le relais, (notamment Berth). Ces dessins donnent parfois le sentiment d’une certaine gratuité… et la mise en scène du sexe s’étant largement banalisée dans nos sociétés, ces dessins ne répondent plus à l’urgence d’affronter un tabou.

Entre la complexité graphique et l’humour de Catherine d’une part et la simplicité grossière et militante de Siné et Delépine de l’autre, le lecteur se sentira plus à l’aise avec l’un ou l’autre de ces deux langages, mais ne pourra que se réjouir de cette pluralité satirique.

 

Guillaume Doizy, le 20 mai 2009

 

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