Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 3 juin 2009
Dessin de Loup et Siné, Siné Hebdo du 3 juin 2009
Cette semaine, Charlie et Siné Hebdo s’entendent sur deux points : évoquer l’élection européenne d’une part, et faire de l’objet le sujet principal de leur dessin de « une », procédé plutôt rare dans l’image satirique. Pour autant, les deux hebdos choisissent des axes très différents : « élections piège à con » pour Siné Hebdo et une saillie d’humour noir renvoyant au très probable fort taux d’abstention chez Riss.
Avec Siné Hebdo, l’objet fonctionne comme une métaphore. Chacune des 28 listes (point de vue très parisien, puisque dans les autres régions du pays le nombre de listes varie considérablement) est représentée par un tube de vaseline. Le tube symbolise alors une équipe, un programme, des idées. L’uniformité induite par cet alignement qui évoque presque celui des cimetières militaires (l’aspect morbide est contrebalancé par le fond rose, évocation des joies de l’amour), vise avant tout à discréditer les élections européennes, dans la droite ligne d’un dessin publié la semaine précédente en 4e de couverture invitant les électeurs à partir à la pèche plutôt que de se rendre aux urnes.
Une fois de plus, Siné recourt à la métaphore sexuelle et la sodomie prend chez lui des allures obsessionnelles. Pour le dessinateur octogénaire, chaque liste représente ce qu’il faut de lubrifiant pour nous « enculer bien profond », comme on dit vulgairement.
Le dessin de presse manie rarement la nuance. Il doit frapper les esprits, se fait provocateur. Notons tout de même que pour une fois, Siné ne présente pas le probable sodomisé à quatre pattes et à moitié dénudé. L’allusion sexuelle fonctionne de manière indirecte et implicite, reconstituée par le lecteur lui-même qui décode le tube de vaseline comme évocateur de sodomie et donc d’arnaque politique.
Au résultat, un dessin étrange, assez peu engageant, et qui nécessite, comme parfois chez Siné, un effort de la part du lecteur, qui doit trouver dans les détails du dessin, le sens de l’image.
La « réification » caricaturale transforme habituellement un individu en objet, en marionnette par exemple, ou encore en poire pour Louis-Philippe. Le fait de représenter une idée, un « concept » (ici la liste électorale), par un objet, c'est-à-dire par le biais de l’allégorisation semble bien plus rare. André Gill a pu figurer dans l’Eclipse le « budget » de l’Etat sous l’apparence de quilles dégommées par des boules par exemple. Généralement, le rapport de sens s’établit plus directement mais on a alors affaire à une synecdoque.
Comme nous l’avons dit, Riss met également en scène un objet : il s’agit de l’Airbus effectuant le vol AF447 Rio-Paris d’Air France, disparu au beau milieu de l’atlantique avec 228 passagers à bord.
L’avion, tout blanc et encore entier semble devoir s’abîmer dans une mer légèrement agitée colorée de camaïeux de rouge, orange et jaune, tonalité colorée identique à celle formée par le ciel composé d’un dégradé orange.
Malgré la présence de discrètes fumées noir à la sortie des réacteurs, le lecteur abreuvé d’interprétations en tous genre quant aux causes de la disparition mystérieuse de cet avion, ne retrouvera pas dans ce dessin la foudre invoquée, les conditions météo désastreuse du « pot au noir », la possible implosion de l’avion en vol qui expliquerait l’absence des signaux de détresse qu’aurait dû émettre l’appareil.
La réalisation du dessin date probablement de lundi et Charlie s’intéresse alors peu aux causes du crash pas encore véritablement explorées par la presse. Il s’agit avant tout de lier l’événement dramatique à l’actualité incontournable de la semaine : l’élection européenne.
La condensation des deux événements fonctionne-t-elle ? Certes, l’abstention annoncée semble devoir friser des records et même les dépasser. Certes, l’élection européenne, qui a peu intéressé l’opinion et la presse, forme le sujet incontournable du jour. Pour autant, l’idée de considérer les 228 disparus comme autant d’abstentionnistes (involontaires) se heurte à la réalité : une bonne partie des passagers du vol disparu ne provient pas de l’Union Européenne, et n’aurait donc pas pu glisser son bulletin dans l’urne étoilée… En tout état de cause, le caractère comique du dessin tient dans l’idée qu’il faut plus déplorer l’abstention de ces 228 là, que leur mort, forme de l’humour dit « noir ».
Quant à la mise en relation d’événements politiques avec des faits divers plus ou moins dramatiques voire totalement morbides et qui ont touché l’opinion, elle n’est pas rare. On a là un des modes d’expression de l’esprit « bête et méchant » et de l’humour noir comme nous l’avons dit, un humour plutôt récent dans l’histoire de l’image satirique.
Dans le cas du dessin de Riss, le message se résume à un effet comique procédant du contraste explosif entre le drame qui pulvérise la vie de gens et le possible choix de s’abstenir à une élection, choc frontal du dramatique et, par comparaison, du futile. Le crash de l’avion peut-il être lu comme la métaphore d’une élection européenne « ratée » par le manque d’intérêt qu’elle suscite ?
Au XIXe siècle, les nombreux dessins portant sur les élections s’intéressent avant tout aux enjeux et aux résultats du scrutin. Les caricaturistes jouent avec l’image de l’urne, mais également celle des candidats, et bien sûr des bulletins de vote.
Siné, dans la tradition anarchiste prône l’abstention tirant un trait d’égalité entre toutes les listes, quelles que soient leurs sensibilités, quand Charlie Hebdo, par cette condensation « limite » du point de vue émotionnel (mais la caricature aime jouer avec les lignes rouges), se montre plus neutre sur le sens du scrutin, ne s’intéressant qu’à un de ses aspects marginaux.
Guillaume Doizy, le 3 juin 2009