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Dessin de Charb, Charlie Hebdo du 6 janvier 2010

Dessin de Berth, Siné Hebdo du 6 janvier 2010

 

Cette semaine, Charlie et Siné fisionnent chacun deux événements au premier abord sans lien l’un avec l’autre (phénomène de la condensation), tout en s’intéressant à des types sociaux et non à des célébrités caricaturables. Pour autant, Charlie met en scène un adversaire pour s’en moquer, tandis que Siné représente un ensemble d’individus envers lesquels il exprime sa solidarité. La caricature, et c’est une constante, charge ses cibles ou au contraire fait valoir ses sympathies, voire valorise ses héros. Dans ce dernier cas, par ricochet, le dessin orientera l’exécration du lecteur vers une tierce personne pas obligatoirement représentée dans l’image.

Le dessin de Charb associe les joies du nouvel an et ses excès de table, au jackpot que représente, pour les labos pharmaceutiques, la vente de vaccins à l’Etat français, alors que la campagne de vaccination a été limitée, et la pandémie s’moins virulente qu’annoncée. Les « labos » ont dû en effet largement fêter cette manne qui représente au bas mot 750 millions d’euros de chiffre d’affaire, voire le double quand on agrège les dépenses annexes (Tamiflu, masques, frais liés à la logistique).

Remarquons que si Charb se moque des labos et de leurs profits éhontés, contrairement au dessin qu’aurait sans doute réalisé Siné sur le sujet, Charb ne cherche pas à orienter le lecteur vers une lecture « lutte de classe » de l’événement. En effet, le terme générique « Labos », renvoie, par un jeu métaphorique aux industries pharmaceutiques. Mais les « labos », ce sont également les espaces dans lesquels les scientifiques procèdent à leurs recherches et, pour certains, dans un cadre public et non déterminé par la course au profit. Or on peut imaginer que « l’argent du vaccin » profite principalement aux dirigeants de ces gros trusts pharmaceutiques ou plus encore à leurs actionnaires. En tous cas pas à leurs salariés, ni bien sûr à la population. Charb représente ici des techniciens ou peut-être des chercheurs. La caractéristique vestimentaire (vêtements blancs), évoque le milieu médical, c'est-à-dire soit les personnels hospitaliers, soit les laborantins ou les ingénieurs qui s’activent dans ces fameux labos. On peut sans difficulté penser que la surcharge de travail induite par la nécessité de produire plusieurs dizaines de millions de doses de vaccin n’a pas dû réjouir les employés de ces entreprises.

Finalement le dessin de Charb fonctionne par ricochet : en montrant des laborantins verre de champagne à la main en état d’ivresse prononcée, et sous couvert d’une bonne blague (les profits générés par les vaccins serviraient à trouver des remèdes aux maux de têtes provoqués par le fait de fêter ces mêmes profits...), le dessinateur vise la gabegie que représente la politique gouvernementale face à la pandémie, mais une fois de plus, sans montrer les responsables ni désigner les véritables bénéficiaires de ce bon coup.

Cette semaine a été riche en scoops sur le sujet. Le Parisien a d’abord dévoilé que le gouvernement tentait depuis plusieurs semaines de revendre une partie de ses stocks de vaccins. Ensuite, Roseline Bachelot annonce que les médecins généralistes pourront procéder à la vaccination, alors que le gouvernement leur refusait jusque-là cette possibilité. La ministre de la Santé a révélé également que l’Etat renonçait à 50 millions de doses de vaccin pourtant commandés aux laboratoires. En apparence, il s’agit de faire des économies, et les labos pourraient en faire les frais. Mais la teneur des contrats, secrète évidemment, et les très forts liens entre ces immenses trusts et l’Etat, risque bien de rendre indolore cette annulation…

La recherche sur l’image satirique s’intéresse autant que possible aux problèmes liés à la réception des images, à la manière dont le lecteur non seulement s’empare du dessin, le décrypte, mais éventuellement évolue à son contact. Si la presse, en évoquant abondamment cette semaine la grippe « A » et la vaccination semble donner raison à la « une » de Charlie, bien des journalistes ont présenté les « labos » comme des victimes potentielles de ce retournement ministériel. L’argent des vaccins semblait donc, en milieu de semaine, devoir bientôt « fondre »... Les malheureux ! Dans quelle mesure ces révélations savamment présentées parasitent l’appréciation de cette « une » de Charlie Hebdo ? Difficile à dire. Notons seulement que les révélations du Canard et l’extrême méfiance de la population à l’égard de la vaccination font que ce dessin de « une » caresse l’opinion dans le sens du poil, contrairement à certaines caricatures du journal qui prennent parfois le contre-pied du sentiment général.

Le dessin de Berth en « une » de Siné Hebdo ne s’intéresse pas à ceux qui profitent de la situation ou qui la déterminent, mais aux victimes de la politique gouvernementale. Liant l’actualité des soldes de début d’année à la chasse aux immigrés de Besson (qui s’est vanté d’avoir fait expulser 29 000 irréguliers cette année), Berth illustre le bilan d’étape du ministre, sur la question de l’identité nationale. Il propose un dessin en apparence anodin, mais qui va probablement très loin.

L’habituel slogan des soldes « tout doit disparaître », est ici détourné, réemployé avec ironie. Par un jeu de transfert, le soldeur n’est plus un commerçant traditionnel, grande enseigne ou boutique de quartier, mais le ministre de l’immigration lui-même. Besson, seulement évoqué dans l’image par quelques lettres typographiques, ne solde pas des vêtements, de l’électro-ménager, des jouets, ou encore quelques flacons de parfum. Il se débarrasse à bon compte des sans papier, comme de vulgaires marchandises déclassées. Le « tout doit disparaître » transformé en « tous doivent disparaître » procède d’une humanisation de la syntaxe, mais sous entend la disparition physique et donc inhumaine des immigrés en cause. L’expression « tous doivent disparaître », par le jeu parodique qu’elle comporte prête à rire, mais elle rappelle également de tristes périodes et pourquoi pas les différents génocides du passé… Berth s’inscrirait-il dans les pas de ceux qui, récemment, ont comparé Besson à Laval ?

Si le sens de cette « une » se concentre dans les deux phrases du titre, l’illustration n’en est pas moins indispensable. Elle permet de désigner sans détour ceux que le gouvernement stigmatise dans le cadre du débat sur l’identité nationale : les minorités visibles (comme on dit, c'est à dire tous les "non blancs bien de chez nous" en quelques sorte), que l’on rencontre en France. De toute évidence les tenues vestimentaires de cette foule bigarrée évoque les milieux populaires.

Comme nous l’avions déjà signalé dans un match du 3 décembre 2008 à propos d’un dessin de Faujour, la figuration de l’étranger n’est pas une question simple pour le dessinateur (en fait à cause de la polysémie de l'image). La caricature procédant par outrance et par stéréotypisation du physique, elle cherchera à souligner des traits physiques qui, par le passé et dans un tout autre contexte, ont servi de base aux théorisations de la physiognomonie, de la phrénologie et aux idéologies plus ou moins racistes du XIXe siècles, voire à l’imagerie coloniale et xénophobe de cette époque. L’habileté du dessinateur progressiste consiste à figurer les « nuances » ethniques sans laisser penser que ces stéréotypes relèveraient d’un quelconque rejet de l’autre, exercice périlleux dans nos sociétés pétries de nationalisme. Ici, le contexte du dessin empêche toute erreur d’interprétation, mais encore faut-il bien connaître ce contexte. Un internaute qui découvrirait par le hasard d’une succession de clics cette « une » sur le site de Berth, mais sans connaître ni la sensibilité du dessinateur (qui assure depuis le premier n° de Siné Hebdo et avec régularité le strip intitulé « Les expulsables »), ni le point de vue d’extrême gauche de l’hebdomadaire satirique, pourrait éventuellement juger son discours raciste (il lui suffirait de lire l’interview de Philippe Lioret en pages 3 et 4 pour se convaincre du contraire). Ce genre de confusion n’est pas si rare. Un défenseur de la cause catholique pourra considérer comme christianophobe toute mise en scène de son dieu chéri, même si, au travers de Jésus, un dessin satirique vise en fait l’Eglise chrétienne et ses déviances. L’image, polysémique par excellence, existe avant tout dans le regard du lecteur ou de l’internaute. Elle échappe largement à son auteur. Son interprétation dépend pour 80% à notre avis des informations périphériques qui l’accompagnent, c'est-à-dire ce que nous nommons le « contexte ».

Un détail du dessin laisse néanmoins perplexe : le lecteur peut reconnaître sans difficultés les « types » de l’africain, du maghrébin, de l’antillais, de l’asiatique, etc., reconnaissables à leurs traits physiques mais également à certains détails vestimentaires et culturels. La présence d’un personnage en burqa intégrale sur la gauche, burqa très visible par le jeu des contrastes de couleurs et des saturations, ne manquera pas d’étonner. Cette burqa n’est pas sans évoquer les travaux de la commission parlementaire présidée par un élu du Parti communiste, commission qui semble divisée sur la question de l’interdiction de ce vêtement, symbole d’oppression des femmes. Cette burqa fait également écho aux déclarations récentes des uns et des autres à propos de cette éventuelle interdiction. Si certains réclament la proscription du vêtement, au nom de la lutte contre l’oppression des femmes, d’autres s’en servent, on le sait, pour alimenter leur discours de haine contre les étrangers.

De toute évidence, Berth se montre solidaire des sans-papiers ou plus largement de tous les immigrés que Besson veut faire « disparaître » par voie de charters ou par tout autre moyen pour gagner des voix du côté de Le Pen. Le lecteur de Siné Hebdo ne peut qu’acquiescer. Cette solidarité, que l’auteur de ces lignes partage, peut sembler problématique à propos de la burqa. Le dessin invite le lecteur à partager l'empathie du dessinateur et du journal envers les sans papier. Si le lecteur peut se dire favorable à la régularisation de tous les sans papiers (quelle que soit leur tenue vestimentaire) tout en réclamant la fin des charters pour tous les immigrés (avec ou sans burqa), en se montrant solidaire de tous les « étrangers » en général, il pourrait également éprouver le besoin de se démarquer en même temps de ce morceau de tissus totalement discriminatoire, dégradant, insultant et ignoble pour les femmes.

Vu le débat qui agite le monde politique sur le sujet, les lecteurs qui auront repéré ce détail important mais périphérique du dessin de Berth, ne manqueront pas de s’interroger sur le message du dessinateur.

 

Guillaume Doizy, le 7 janvier 2010.

 

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