Eric Lefèvre, Charles Léandre, Orep éditions, 155 p., 34 € 90.
Pour les amateurs de dessin de presse, le nom de Charles Léandre ne se dissocie pas d’une revue phare de la Belle Epoque, Le Rire, au travers de laquelle il s’est illustré avec des séries fameuses de portraits-charge comme « Notre musée des souverains », « Le Gotha du Rire » ou encore les « Monuments anthumes » (c'est-à-dire des monuments commémoratifs imaginés avant la mort des intéressés !). Souverains étrangers (Guillaume II, empereur de Chine, Victor-Emmanuel III…), élites culturelles (Coquelin aîné et cadet, Mounet-Sully, Yvette Guilbert, …) et politiques françaises (Clemenceau, Jaurès, Déroulède, Zola, …), aviateurs, nul n’aura échappé à son trait haut en couleur et plein d’humour.
Il faut saluer la publication, fin 2008, de cette biographie de l’artiste, qui manquait à nos bibliothèques. On s’y réjouit de voir à quel point Léandre a été autant artiste peintre, que dessinateur satirique pour la presse humoristique de la Belle Epoque. Originaire de Normandie, après des études parisiennes dans divers ateliers, Léandre s’adonne à ces deux passions, la caricature et la peinture, avec un égal enthousiasme, produisant de savoureux et chatoyants portraits autant que des charges énergiques, des paysages surtout normands, des affiches, des lithographies…
Eric Lefèvre, président de l’Association des amis de Charles Léandre commet là un très documenté et très bel ouvrage, dans lequel il retrace, en s’appuyant sur de nombreuses archives, le parcours du Normand, très célèbre avant 1914. Dans ce bel ensemble signalons surtout la reproduction d’une vaste gamme de dessins satiriques originaux tirés de nombreuses collections publiques ou privées, et notamment de la collection Charles Léandre de l’Espace musée de Condé-sur-Noireau. Ces oeuvres, croquis en noir ou en couleur, dessins rehaussés, témoignent de la virtuosité de Léandre, autant que de la finesse de sa palette, que les techniques d'imprimerie de son époque traduisaient de manière très imparfaite.
Après les années 1930, le dessin de presse a simplifié sa plastique, pour ne conserver souvent que le trait et quelques aplats. Plus proche de nous, les dessinateurs actuels ne visent plus, en parallèle de leur travail pour la presse, quelque carrière artistique.
De ce point de vue, Léandre caractérise bien cette génération d’avant guerre aux aspirations et aux talents multiples. Il aura autant excellé dans les expérimentations artistiques montmartroises, en vue de briller aux cimaises des Salons, que dans la sociabilité des cabarets où le jeune Charles côtoie une belle bande d’hurluberlus gouailleurs, caricaturistes et chansonniers.
Léandre pratique avec brio la déformation caricaturale en parvenant à une extrême ressemblance. Ses charges donnent une seconde vie, le plus souvent avec sympathie et ironie, aux élites de son temps, servies par un travail du trait et de la couleur tout en douceur, mais très aboutis dans la traduction des volumes et toujours très enlevés, style que l’on retrouve également chez son ami Jean Veber.
Ce livre brillamment illustré prouve à quel point la frontière entre peinture et caricature est parfois ténue, les « deux » langages chez Léandre (contrairement à d’autres dessinateurs de la Belle Epoque d’ailleurs), se nourrissant l’un de l’autre. Le travail d’Eric Lefèvre démontre une fois de plus la richesse des collections publiques en matière de caricature, trésors hélas trop peu souvent mis en valeurs au travers d’expositions.
GD, le 3 août 2009
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