Hans Joachim Neyer, Nelly Feuerhahn, Michel Defourny, Wilhelm Busch, De la caricature à la BD, Stichting Kunstboek éditeur, 96 p, 29,90 euros.
Les frontières culturelles (sans parler des autres) ont bien du mal à tomber, même entre deux pays aussi proches que l’Allemagne et la France. Il aura fallu quasiment un siècle pour qu’un des sommets de la littérature enfantine d’Outre-Rhin, Max et Moritz de Willem Busch, soit enfin traduit et édité dans l’hexagone, privant plusieurs générations de jeunes des vilenies drolatiques provoquées par ces deux enfants terribles. A l’occasion d’une exposition organisée par le Musée provincial Félicien Rops en Belgique (www.museerops.be/) et intitulée « Wilhelm Busch, de la caricature à la BD », paraît un petit ouvrage dont nous conseillons la lecture. Ce petit catalogue largement illustré de planches en couleurs permet de faire connaître au public francophone le talent de cet homme qui aura, dans la seconde moitié du XIXe siècle, largement contribué à l’intelligence des histoires en images, séries de vignettes souvent visuellement très proches les unes des autres et mettant en scène d’extraordinaires gags visuels. Ces planches, dont la structure narrative et l’efficacité visuelle annonce la BD, en noir ou en couleur, étaient publiées dans la presse, en feuilles volantes ou en recueils et faisaient la joie d’un public enfantin dont les loisirs faisaient l’objet d’une attention sociale de plus en plus grande.
Les auteurs de cet ouvrage collectif, en plus de la vie du dessinateur, s’intéressent à l’émergence de ces héros enfantins, véritables garnements dont la tradition remonte parfois à la Renaissance. Nelly Feuerhahn explore tout particulièrement l’histoire de Till, fils de paysans, « célèbre par ses petites tromperies ingénieuses se jouant de tous », dont les aventures se transmettaient oralement. Véritable succès de librairie en France, les péripéties de Jean-Paul Choppart, garnement on ne peu plus négligé et vicieux, auront peuplées les rêves (et les cauchemars) des enfants nés au XIXe siècle.
La figure de l’enfant envahit alors la littérature mais aussi le dessin de presse. Des journaux spécialisés, en général illustrés, visent tout spécialement le jeune public, tant dans un but récréatif que pédagogique. Le succès de ces histoires d’enfants pas sages, pleines d’humour, ne cesse d’étonner, à une époque où l’ordre moral règne. La jeunesse y aura sans doute appris l’âpreté des rapports humains, que le rire, très présent dans cette imagerie pétillante, aura certainement permis de rendre plus acceptable. Notons tout de même que Wilhelm Bush donne une fin tragique à ses deux héros qui termineront leur courte vie dans les estomacs de canards gourmands, après avoir été meulés comme de vulgaires céréales…
Les aventures de ces enfants espiègles, fort cocasses et dont on se réjouit encore aujourd’hui, distillent évidemment leur morale. Elles montrent surtout un regard normatif des adultes du XIXe siècle sur les jeunes générations d’alors. Depuis les années 1970, on peut accorder un autre statut à ces terribles garnements, dont la personnalité effrontée peut refléter une volonté d’émancipation, un refus des règles trop contraignantes, l’expression brute du désir et finalement la manifestation d’un certain esprit rebel.
GD, juin 2009
Autres commentaires d'ouvrages sur la caricature