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Dessin de Charb, Charlie Hebdo du 19 août 2009

Dessin de Siné, Siné Hebdo du 19 août 2009

 

Il y a plusieurs mois, sur un forum s’intéressant à la guerre Siné/Val, un internaute signalait à un autre l’existence du « match » Charlie/Siné Hebdo sur le site www.caricaturesetcaricature.com. Il disait de cette analyse hebdomadaire qu’elle « coupait les cheveux en quatre ».

Le regard que nous portons chaque semaine sur ces deux « unes » ne prétend nullement à restituer une unique manière de bien comprendre ces deux dessins. Un tel objectif, trop prétentieux, ne prendrait pas en compte non seulement les limites propres à l’auteur de ces lignes ( !) ou celles des habitués de la presse satirique, mais également les limites… liées à la nature même de ce genre. Un dessin de presse, par nature, se consomme dans une lecture immédiate, rapide et fugace. Le lecteur de Charlie, Siné Hebdo ou tout autre journal dans lequel le dessin satirique trouve sa place, y cherchera une satisfaction immédiate produite, sans qu’il en ait vraiment conscience, par un bon mot, un gag graphique original, une virtuosité de dessinateur ou un style qui impressionneront, un éclat de rire ou au contraire une pique dénonciatrice.

Le regard analytique tue évidemment la fraîcheur d’une lecture spontanée et l’internaute qui parcourra ces lignes pourra avoir le sentiment que le cérébral tue le rire. Couper les cheveux en quatre produit une sorte de charpie souvent bien indigeste, mais tout de même parfois éclairante (nous le croyons). Elle donne en tous cas au dessin une seconde vie, plus durable, plus profonde, plus riche. L’image satirique, comme toutes les images, fonctionne au moins sur ces deux niveaux de lecture. Un premier niveau, pour lequel le dessin aura été conçu, caractérisé par la fugacité du regard, et un autre, moins immédiatement contemplatif, visant à son interprétation réfléchie.

Les spécialistes de l’humour s’intéresseraient à la manière dont le dessin produit le rire. Les sémiologues, eux, chercheraient à mettre en lumière les relations texte/image, fortement imbriqués. Le linguiste viserait à pister les récurrences verbales, des niveaux de langue signifiants. Un historien de l’art aurait à cœur de mettre en exergue les moyens plastiques usités, d’étudier précisément le schéma de composition, les rapports de couleur, la qualité du trait, le style du dessinateur, mais également sa place dans le champ de l’iconographie. L’historien ou le politologue se montreraient prudents sur ces aspects, pour s’intéresser au choix éditorial que représente le sujet de la « une » et décortiquer le point de vue envisagé pour traiter tel ou tel aspect de l’actualité. Ils étudieraient par exemple l’image de Sarkozy véhiculée par le dessin de presse, ou les clivages politiques à travers la manière dont les dessinateurs relatent les campagnes électorales. Le sociologue ou l’anthropologue chercheraient à traquer, avec ces dessins de presse, les évolutions dans la représentation du corps social, de l’individu, mais également des genres et des symboles nationaux ou ethniques. Quant au psychanalyste, il chercherait bien sûr à voir Œdipe là où ne se terre pas…

C’est dire la multiplicité des manières d’appréhender chacune de ces deux images hebdomadaires, sur lesquelles divers spécialistes pourraient organiser autant de colloque chaque semaine.

C’est dire la modestie de ces lignes, qui ne prétendent pas, redisons-le, à établir en dogme une manière de voir parcellaire, et somme toute bien superficielle. A l’internaute que nous citions plus haut nous aurions envie de dire en forme d’excuse : nous coupons les cheveux, oui, mais « seulement » en quatre, alors qu’il faudrait au moins un niveau de coupe puissance dix pour parvenir à vraiment cerner tous les aspects de ces images. Heureusement que les biologistes ou les astronomes « coupent » la matière, l’espace ou le temps au-delà de « quatre », pour nous permettre de voir comment tout cela fonctionne !

Ces préliminaires digérés, intéressons-nous maintenant à la matière même de cette chronique. Mais montrons nous plus curieux que d’habitude : avant de décortiquer les dessins de « une », un petit constat sur le contenu des deux journaux. Cette semaine, en dehors de la 1ière et de la 4ème de couverture, les amateurs de sexe trouveront chez Siné Hebdo profusions de spécimens. Chaque double page propose au moins un dessin (jusqu’à une quinzaine pour la double de Lindingre) où il sera question de baise, de bite, de sodomie, de cul, de masturbation, de copulation, de couilles, de virginité, de seins, de lingerie fine (sans exhaustivité bien sûr)… Les chaleurs estivales et leur lot de poussées hormonales expliqueront sans doute ces excès. Sous cet angle, Charlie se montre bien plus réservé après avoir, par le passé, abusé également de cette matière.

Autre différence qui frappe le lecteur, du point de vue du dessin : Charlie affectionne les strips plus longs, c'est-à-dire les bandes dessinées, tandis que les dessinateurs de SH produisent une plus grande quantité de dessins isolés ou de strips courts.

Ces différences n'ont guère d’incidence sur le dessin de « une » de cette semaine. La « une » fonctionne bien évidemment selon ses propres règles, bien distinctes du reste du journal. Elle suit un objectif éditorial précis. Aucun des deux journaux, par exemple, n’y publierait d’images fragmentées en forme de strips en deux, quatre cases ou plus. La « une » se compose toujours d’un espace graphique homogène et lisible, censé pouvoir tenir à l’affichage dans une vitrine ou dans un kiosque, et faire mouche en une fraction de seconde.

Le dessin de couverture forme le produit d’appel principal du journal, son identité visuelle (bien sûr avec le reste de sa maquette, avec le style des dessinateurs, etc.). Il vise la lisibilité, et doit dorénavant également résister à la réduction en taille liée à Internet.

Comme nous l’avions déjà remarqué, le style de Siné Hebdo, via sa couverture, se forme autour du style et du nom de son fondateur, qui cette fois, et c’est assez exceptionnel pour être souligné, se passe de comparse pour produire sa charge. Charlie joue la carte d’une certaine diversité en alternant les signatures, même si certains dessinateurs ne parent jamais la couverture de leurs œuvres. On pense à Honoré bien sûr, mais également à Tignous ou à Riad Sattouf, voir Wolinski et même Willem, très rare à cette place-là.

En règle générale, le dessin de « une » type se compose d’une accroche, c'est-à-dire d’un titre, et d’une illustration. Remarquons que cette semaine nos deux hebdos construisent leur image de manière assez identique. Titre horizontal dans la partie supérieure, illustration centrée dans de reste inférieur de l’image. Chez Siné, comme chez Charb, la bulle qui permet de donner la parole aux personnages dessinés, joue un rôle plus ou moins important dans la mise en scène du gag et dans sa compréhension. En arrière plan, une couleur en aplat, tout à fait uniforme chez Siné Hebdo, plus élaborée chez le confrère historique impose une tonalité à l’image et forme une masse colorée qui cerne le sujet, tout en participant du sens et de l’ambiance.

Cette semaine, Charb s’intéresse à une actualité économique, quand Siné choisit d’illustrer une péripétie politique. La « une » de Charlie recourt à une métaphore, dans un dessin en apparence très simple mais fort complexe dans ses mécanismes, quand Siné choisit la trivialité du langage et de l’insulte avec une image au fonctionnement basique.

Le tout jeune directeur de la publication de Charlie Hebdo trouve dans la métaphore amoureuse une situation propre à mettre en doute la réalité, pour tout un chacun, censée s’incarner dans les chiffres publiés par l’INSEE sur l’état de l’économie. Un homme, probablement « monsieur tout-le-monde », costume classique, bouquet de fleur à la main attend seul, dans la rue. Sous un croissant de lune, cet amoureux entre deux âges et sur son trente-et-un, regarde sa montre, manifestement exaspéré d’attendre la belle en vain. Dans ce dessin, si le noctambule parait bien réel, la « croissance » tant attendue prend la forme d’une allégorie féminine absente, seulement évoquée dans le titre, via la bulle, et comme destinataire des fleurs, c'est-à-dire comme partenaire potentiel de notre amoureux. La tradition occidentale représente, depuis l’antiquité, des idées sous une forme anthropomorphe, principalement au travers du corps de la femme (mais également de l’homme, de l’enfant et parfois d’animaux bien sûr ou d’objets). Sans ce soubassement culturel et cognitif, ce dessin resterait totalement abscond, incompréhensible.

L’image joue sur le paradoxe présence/absence. Le titre annonce l’arrivée d’un élément féminin, « la croissance », dont la nature humaine (allégorique, donc) et féminine demeure induite par l’illustration elle-même, par le jeu du rapport amoureux. Mais le dessin met en scène la non venue et le retard de la chose/être désirée.

Charb confronte donc et imbrique deux réalités a priori totalement étrangères l’une à l’autre : celle de la croissance et donc d’un concept économique d’un côté, et de l’autre, un épisode de la vie quotidienne des humains, très parlant pour le lecteur que nous sommes. La combinaisons d’éléments relevant du réel et d’éléments métaphoriques ou allégoriques induit un dialogue déstabilisant mais riche entre le tangible et le conceptuel. A ce cocktail parfois détonnant s’ajoute ici un autre aspect, la confrontation du sérieux (la croissance, l’économie) et du dérisoire (un rendez-vous amoureux manqué). Le lecteur de l’image, qui contrairement à l’amoureux désespéré possède la clef donnée par le titre, peut jouir non seulement du comique de situation (un amoureux éconduit), mais également de l’absurdité de la scène qui se construit sous ses yeux : un homme au cœur palpitant piaffe d’impatience en attendant, en vain,… une donnée de l’économie mondiale !

Notons que le dessinateur indique de manière très allusive la situation de crise que traverse la société : un jeu de silhouettes en arrière plan permet de situer la scène dans un environnement urbain quelque peu dégradé, notamment avec cette cheminée d’usine (on ne construit plus les usines ainsi depuis bien longtemps, les stéréotypes ont la vie dure !) à moitié affalée. La tenue vestimentaire de l’impétrant demeure impeccable et non altérée par d’éventuelles difficultés sociales. L’homme ne parait pas souffrir des effets de la crise, ni d’une trop longue attente du retour de la croissance : certes, la nuit est déjà tombée, mais les fleurs, bien colorées, ne présentent aucun signe de fatigue, leurs pétales non fanés. Le dessinateur aurait pu ajouter au personnage des toiles d’araignées pour signifier combien la reprise économique tarde à s’imposer, voire figurer l’homme sous l’apparence d’un squelette qui patienterait à cette même place, depuis des lustres.

Dans ce dessin, une forme d’identification peut s’instaurer entre le lecteur et l’amoureux solitaire puisque ce « monsieur-tout-le-monde », pour qui la croissance ne vient pas, peut représenter chacun de nous. L’identification se fait bien sûr au second degré, car le personnage, bien que non caricaturé, s’avère quelque peu pitoyable (et donc comique), vêtu de son costume vieillot et sans doute bien distrait, puisqu’ayant oublié d’avoir retiré l’étiquette au bouquet de fleur (présent lui-même quelque peu suranné dans les relations amoureuses aujourd’hui ?). Charb, par ce dessin, semble vouloir nous aider à combattre les éventuelles illusions que nous pourrions cultiver secrètement en nous montrant quelle image ridicule nous pourrions alors donner de nous même.

Peut-être que le dessinateur recourt également à un symbole astronomique pour illustrer cette croissance invisible : le croissant de lune, ainsi dessiné, traverse sa phase décroissante, antithèse astrale d’une reprise de l’économie mondiale…

En tout état de cause, le dessinateur, cette fois, ne vise pas à stigmatiser un responsable de la crise, ou un profiteur éhonté des largesses de l'Etat. Il nous tend plutôt un miroir, sans doute assez peu flatteur, de la situation dans laquelle les quidams que nous sommes, demeurons plongés.

Ce dessin, plutôt complexe, tranche avec celui de Siné qui nous semble cette semaine plutôt fade. Voilà le type même du dessin terre à terre, (presque) sans gag graphique et jouant principalement sur le hiatus qui s’opère entre une situation et le registre de langage en apparence inadapté, qui lui est associé.

Certes, pour mettre en scène le ralliement du parti des chasseurs à Sarkozy, Siné recourt à la poignée de main, geste profondément signifiant dans nos civilisations protocolaires. Dans la caricature, la poignée de main, souvent métaphorique, permet de mettre en scène un accord et une nouvelle communauté d’intérêt entre deux entités, après des années d’indifférence, voire de conflit. La poignée de main symbolise évidemment la paix. Les dessins portant sur les relations internationales s’intéressent souvent à cette image pour figurer telle ou telle alliance entre deux pays, tandis qu’en politique intérieure il s’agira, comme ici, de montrer le rapprochement, voire la fusion, entre des camps a priori adverses ou séparés.

En dehors du gag qui se construit autour du chien ensanglanté présent dans la besace du chasseur, la poignée de main, les expressions et les postures des personnages n’apportent pas grand-chose au sens du dessin. Certes, par ce gag du chien, Siné renvoie au plaisir que les antichasseurs éprouvent quand les amateurs de coups de fusil s’entretuent ou déchargent quelques cartouches « perdues » en direction de leurs partenaires de chasse humains ou animaux, voire décèdent, victimes de leurs propres prouesses balistiques.

Certes, dans le cas d’une rencontre officielle sur les marches de l’Elysée, Nihous, président de CPNT, que nous sommes censés reconnaître sous l’apparence de ce chasseur barbu, aurait troqué son accoutrement paramilitaire contre un costume trois pièces tout à fait classique. Mais Siné, avec cette forme de paradoxe vestimentaire qui doit produire du comique de situation, ne nous amuse pas.

En dehors de ces quelques éléments assez marginaux, la « une » de Siné Hebdo fonctionne principalement sur la grossièreté du titre et la redondance de l’insulte « cons », déclinée en « gros » et en « sales ». La grossièreté visant quelques sommités politiques, joue de surcroit sur le paradoxe linguistique induit, par comparaison, par la politesse aimable affichée par le président de la République. Au final, au travers de ce « bienvenue » policé, le lecteur comprend inévitablement « bienvenue au club des… cons ».

Il y a sans doute une certaine jouissance à insulter ses adversaires, qu’il s’agisse des chasseurs ou bien de celui qui préside aux destinées du pays. Le lecteur peut également éprouver une certaine sympathie pour comprendre cette poignée de mains comme un rapprochement entre deux… cons.

Mais le procédé demeure facile et banal, digne des cours d’école. L’insulte graphique (et non verbale) exciterait sans doute un peu plus les amateurs de dessin de presse que nous sommes. Espérons qu’un lecteur de ce « match » produira une approche plus aimable de ce dessin et nous éclairera sur ses qualités, en postant, en bas de ces lignes, un commentaire éclairé. Nous le remercions par avance !

 

Nous avons, cette fois, présenté ces deux « unes » à un panel de quatre cobayes (humains malgré tout) très divers. Les deux lectrices(teurs) coutumiers de la presse satirique ont plutôt rapidement compris de quoi il retournait et perçu, pour l’une d’entre elle, les figures de rhétorique en jeu. Par contre, un des quatre de nos cobaye, hermétique à la politique et à l’actualité, a compris le dessin de Charb comme une allusion à la hausse des prix, en focalisant sa lecture sur l’étiquette du bouquet de fleurs (un bouquet de trois euros lui semblait très cher). Une autre de nos lectrices a vu dans le personnage un banquier profitant de la situation et nous présentant un bouquet de fleur en vue de nous faire croire que la bonne remontée des cours de la bourse serait profitable à tout le monde. Le titre « la croissance arrive » a été comprise comme un slogan du gouvernement vantant aux citoyens sa politique, alors que les ministres n’ont cessé de répéter que l’année 2010 serait difficile. Quant au personnage de Nihous dans le dessin de Siné, il a d’abord été pris pour Fidel Castro (par deux de nos lecteurs expérimentaux), ou tout du moins pour l’un d’eux, après avoir perçu quelques réticences sur cette interprétation, comme un dictateur : « ça c’est encore Sarkozy qui sert la main à un dictateur ».

Dans le dessin de Charb, le prétendant malheureux porte une certaine ambiguïté. Son costume, son âge avancé et son bouquet de fleurs, rendent sans doute un peu difficile le déchiffrage de l’impétrant comme amoureux attendant sa belle le soir en pleine rue. Dans notre panel, un ami (un vrai gentleman) a indiqué spontanément voir dans le personnage « un homme qui attend sa femme ».

Le dessinateur de presse connaît sans doute l’importance de ces lectures parasites. En utilisant des symboles universels et simples, il se sait compris du plus grand nombre, mais ne peut s’enorgueillir d’avoir produit un dessin original. Chaque dessin comporte un risque fort, celui de passer à côté du lecteur. Dans notre expérience de décryptage, trois de nos lecteurs n’ont pu concevoir que la « promise » du personnage masculin, représentait la croissance (donc une abstraction) qui ne venait pas.

On lit souvent qu’il vaut mieux un bon dessin qu’un long discours. Sauf que dans l’intimité de la lecture immédiate, qu’est-ce que le lecteur comprend et retient d’un dessin de presse, fut-il bon ?

De toute évidence, l’image satirique s’adresse aux initiés. Mais même les initiés peuvent éprouver bien des difficultés à décrypter ces représentations dessinées, dont le sens profond demeure souvent obscur et déformé par les obsessions du récepteur. Espérons que le « match » hebdomadaire, en coupant les cheveux en quatre avec bonheur, aide à pénétrer un peu mieux cette matière visuelle. Même si ces images demeurent d’une trop grande richesse, pour être analysées avec intelligence en quelques lignes.

 

Guillaume Doizy, le 19 août 2009

 

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