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Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 16 septembre 2009

Dessin de Siné et Berth, Siné Hebdo du 16 septembre 2009

 

Comme de juste, cette semaine, et pour ne pas faire mentir l’auteur de cette chronique, nos deux hebdos satiriques perpétuent leurs propres habitudes. Pour Charlie Hebdo, un dessin politique visant deux membres du gouvernement sur la question du racisme, alors que le confrère Siné Hebdo (plutôt l’adversaire si on en juge par l’âpreté des écrits qui continuent de se publier…), s’intéresse à une question sociale, le suicide de travailleurs sur leur lieu d’activité, dans un dessin drôle et bipolaire. Les deux « unes » portent sur des actualités brûlantes, mais, comme on va le voir, prennent quelques distances avec ces événements.

Cabu propose un cadrage assez rare en couverture de Charlie, un gros plan focalisant sur le visage des deux ministres, tandis que Siné, associé à Berth cette fois-ci, recourt au plan rapproché et met en scène trois éléments : deux personnage et un objet. Les deux dessins se détaillent sur des arrières plan colorés en aplat, sans que ces fonds de couleur ne comportent d’indication sur la nature du temps et de l’espace.

Nous avions salué la semaine dernière la « nouvelle formule » de Charlie Hebdo. Le fort liseré noir qui encadre le dessin de « une » a été conservé, ainsi que la bichromie des titres à l’intérieur du journal et une plus grande colorisation des encadrements ainsi que des dessins. Enfin, la thématisation des dessins et la verticalisation de la mise en page, qui tranchent nettement avec la maquette précédente, se perpétuent également.

Le « face à face » du jour se joue sur deux tableaux : d’une part la confrontation de deux « géants » du dessin de presse français de ces dernières décennies, Cabu et Siné, au travers de leur dessin de « une », mais chaque « une » peut également s’interpréter au regard des très nombreuses charges sur le même thème que chacun de ces deux hebdos publie dans ses pages intérieures.

Qu’apporte la redondance ? Quelle redondance dans la diversité ? Voilà à quoi nous devons répondre aujourd’hui.

Charlie Hebdo, qui lance cette semaine une pétition pour la démission de Brice Hortefeux, bourre son numéro de caricatures visant le ministre. La rubrique des « couvertures auxquelles vous avez échappé » s’intéresse même uniquement à ses déclarations racistes diffusées sur Internet ces derniers temps et qui ont déclenché une vive polémique. Siné hebdo, mais dans une moindre mesure, produit également plusieurs dessins sur les suicides à répétition de France Télécom.

Intéressons nous à Cabu tout d’abord : plus de quinze dessins cette semaine s’intéressent à Hortefeux et/ou Besson, mais surtout Hortefeux seul. Une seule de ces caricatures, celle de Cabu, fait référence aux tests ADN dont Besson refuse de signer le décret d’application.

 

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Cabu, en « une », reprend trait pour trait (comme on le voit ci-dessous) une caricature contre Besson publiée par Charlie le 29 avril 2009 à l’époque où l’hebdomadaire avait « chipé » la pétition de Siné contre le délit de solidarité. Même fond rouge, quasiment la même posture de trois quart avec la tête légèrement inclinée sur la gauche et la main au niveau de la cravate. L’oreille de Besson, cette fois-ci, se termine en pointe et le ministre tient dans sa main droite un document sur lequel on peut lire « tests ADN ».

Le dessin actuel associe à Besson, en arrière plan, Hortefeux, ancien ministre de l’identité nationale. Cabu lui attribue la mention des « expulsés du mois ». Dans la tradition maniériste, le dessinateur étire le cou des deux hommes, traduisant peut-être ainsi leur arrogance et leur morgue. Les oreilles en pointe diabolisent ou porcisent leurs propriétaires, à savoir le « méchant raciste » et le « gentil raciste » de cette droite « plurielle », sans que rien ne distingue vraiment le « méchant » du « gentil ». Besson passe plutôt pour le bon élève d’Hortefeux qui, au premier plan et de plus grande taille, est bien montré comme le « premier » des deux, l’original et non la copie.

Le clin d’œil à la gauche plurielle rappelle évidemment l’origine socialiste de Besson et finalement le partage des rôles entre les deux ministres, l’un étant apparu plus dur que l’autre, moins sensible à la pression des associations.

Le dessin demeure énigmatique sur bien des points. Contrairement à de nombreuses « couvertures auxquelles vous avez échappé », Cabu ne retient pas les propos racistes tenus par Hortefeux à l’université d’été de l’UMP, contrairement à Riss, Tignous, Luz ou d’autres, qui y font référence plus ou moins directement. La mention « expulsés du mois » n’oriente pas le lecteur vers le scandale du jour, mais évoque la course au chiffre de l’ex ministre de l’immigration se félicitant régulièrement du nombre de sans papiers renvoyés à la frontière. Cabu évite également toute référence aux contradictoires explications du ministre pour déminer le scandale. Exit donc les allusions à l’Auvergne (reprises par Charb, Tignous et Riss) et aux auvergnats, exit également la blague reprenant le slogan d’une ancienne campagne contre l’abus d’alcool « un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts ».

Le dessin de Cabu pourrait très bien avoir été réalisé il y a quelques semaines, quand par exemple Besson avait dit vouloir abandonner en partie le délit de solidarité. Seule la mention « tests ADN » inscrit l’image dans l’actualité la plus immédiate.

Cabu élabore donc un dessin très elliptique qui, contrairement à ceux de ses confrères n’élude pas la responsabilité de Besson. S’acharner sur Hortefeux en réaction à sa déclaration raciste – et d’ailleurs demander sa démission pour cela - , revient presque explicitement à considérer comme acceptable sa politique anti immigrés de ces dernières années. C’est d’ailleurs le travers du dessin de Riss, qui ose une comparaison historique intéressante, puisqu’il présente le Hortefeux d’aujourd’hui (« 2009 ») comme le digne héritier du Laval de la collaboration. Ce rapprochement laisse presque entendre que le ministre de l’identité nationale de 2007 et 2008 n’était pas déjà comparable à Laval.

Cabu ne profite pas de la mine que représentent pour le satiriste les dernières déclarations du Dupont-Lajoie de l’UMP. Il cherche une voie plus large, moins contextualisée, qui vise surtout les ministres d’ouverture et rejette clairement (mais pas méchamment) le racisme de ces responsables politiques, quelles que soient les nuances que l’on peut distinguer dans leur manière de pratiquer l’identité nationale.

A contrario, que Besson (soutenu sur ce point par Sarkozy) fasse le choix de ne pas signer les décrets sur les tests ADN en cas de regroupement familial, n’a pas du tout intéressé les dessinateurs de Charlie, sinon le seul Cabu. Cabu qui n’indique pas dans le dessin (et on peut se demander pourquoi) mais seulement dans le titre (« gentil raciste »), ce refus du ministre de signer les décrets, refus qui suscite la grande colère (très bon pour l’image de Besson qui se refait une virginité à bon compte) des députés UMP.

Pour ceux qui continueraient à penser que Charlie plagie les dessins de Siné Hebdo, voilà un nouvel écueil : il suffit de comparer l’œuvre de Jiho en page 2 de Siné Hebdo à celle de Riss en dernière de Charlie Hebdo. Même attitude d’Hortefeux, même jeu de mot fondé sur la proximité linguistique bougnat/bougnoule. Seul le cadrage change, mais rien de vraiment signifiant.

Comment les défenseurs de la théorie du plagiat expliquent-ils cette « rencontre », terme qu’employait Siné dans un de ses éditos ?

Siné Hebdo n’a pas cru bon accorder autant d’importance que l’a fait Charlie à l’ex ministre de l’immigration, avec seulement trois dessins, dont un de Geluk simple, mais plutôt réussi ! Le journal peut ainsi intéresser ses lecteurs à de très nombreux autres sujets, et par conséquent, peut également laisser penser que la saillie du ministre est finalement sans importance.

L’hebdo du millionnaire octogénaire (en nombre de numéro de SH vendus…) se montre moins monolithique que son confrère. Seuls deux dessins à l’intérieur du journal s’intéressent au même sujet que celui choisi par Siné pour la « une ».

Le vieux dessinateur donne là une charge qui aura fait rire plus d’un lecteur, mais qui fait pourtant référence à une série de drames survenus notamment à France Télécom ces derniers mois, et encore très récemment, des suicides d’employés sur leur lieu de travail pour cause de pression accrue de l’encadrement, de suppressions de postes et de mutations forcées.

Siné et Berth mettent en scène, sous le titre du dessin, un ouvrier en bleu de travail, un patron en costume trois pièces (encore en pantalon rayé et cigare aux lèvres) et… un cercueil. L’ordre des trois éléments fonde le sens et le comique du dessin, le cercueil formant véritablement la « chute » de l’image.

Le jeu de mot et le gag visuel résident bien évidemment dans la polysémie du mot « boîte », synonyme d’entreprise autant que de contenant en bois, dernière demeure des corps dans certaines traditions mortuaires. La scène représente en fait l’embauche d’un ouvrier accueilli très chaleureusement par son futur patron, mais dans une entreprise synonyme de… mort.

Siné ne réduit pas son dessin à l’évocation des seuls suicides de France Télécom. Le titre, très général, porte sur les suicides « au travail », tandis que le dessin élargit encore plus le regard puisque l’entreprise en général, pourvoyeuse de mort pour le travailleur. Dans ce dessin, Siné et Berth présentent le patron comme complice et même comme responsable, comme un criminel. Son sourire et ses dents carnassières en sont la preuve vivante ! La citation en exergue d’Elsa Triolet confirme ce point de vue accusateur : « Il n’y a pas de suicides. Il n’y a que des meurtres ».

Sergio et Goubelle, en page 3 de SH, jettent leur dévolu plus spécifiquement sur les suicides à France Télécom. L’un en évoque plus précisément une tentative de suicide au couteau qui s’est déroulée très récemment, et l’autre choisit d’évoquer le caractère sériel de ces suicides.

Dans ces deux images, les dessinateurs mettent en scène le suicide et ses différentes techniques, tandis que Siné et Berth n’en montrent qu’un possible résultat.

Sergio insiste sur la morgue du patron de France Télécom, obsédé par l’image de son entreprise plutôt que par la vie des salariés quand Goubelle évoque le caractère massif des suicides dans l’entreprise, et les possibles conséquence en terme d’accueil téléphonique d’un tel drame.

Siné et Berth se montrent plus pudiques et très sobres, dans un dessin qui pourrait très bien se passer de titre et même de la bulle (mais alors on rirait un peu moins).

Dans une vision classiste de la société, Siné affectionne tout particulièrement l’opposition de deux types sociaux, recourrant à des stéréotypes vestimentaires (et de couleur) anciens, et même tirés du XIXe siècle, mais qui fonctionnent toujours très bien.

La sobriété du dessin, l’absence d’hémoglobine et d’éléments macabres ou triviaux, en font toute sa valeur. De ce point de vue, le « plagiat » de Siné nous semble plus réussi que l’esquisse de Berth, qui a pourtant conçu ce dessin :

 

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Siné conserve la disposition des trois éléments, mais renforce les caractéristiques sociales des personnages. Si Berth distingue le patron par un cigare et son costume trois pièces, Siné lui ajoute une rosette bien visible. Le salariés de Siné, plus stéréotypé que celui de Berth, s’inscrit dans une vision « lutte de classes » de la société.

Noter que Siné, contrairement à Berth, dessine le cigare dans le coin droit de la bouche du chef d’entreprise (pour le lecteur). Il permet ainsi au regard de mieux « glisser » vers le cercueil, invité dans cette direction également par le mouvement des bras du personnage. Grâce à ces éléments le patron et le cercueils fusionnent visuellement, et donc, symboliquement, alors que le travailleur demeure étranger à ce couple morbide. Une fois de plus, le sens de lecture à l’occidentale fait bien les choses puisque l’ouvrier se retrouve à « gauche », tandis que l’entreprise (le cercueil) à « droite ».

 

Cette semaine, Charlie et Siné, les deux frères ennemis, se rejoignent donc sur un point commun : la volonté, pour la « une », de chercher à dépasser l’anecdote et la trop forte contextualisation, pour essayer d’élargir le point de vue et  viser un regard un peu plus universel.

 

Guillaume Doizy, le 18 septembre 2009

 

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