Dans la foulée de son premier livre, A bas la calotte, en phase avec le centenaire de la loi de 1905, Guillaume Doizy passe de la caricature anticléricale à la caricature de
la Bible. Avec le concours du même éditeur, il offre un ouvrage dont les illustrations sont très heureusement choisies (200) et très savamment légendées.
Une forte introduction fait l’histoire de la libre pensée depuis le milieu du XVIIIe siècle. Si la période est large (de Voltaire à 1930), les images se concentrent essentiellement sur le XIXe
siècle et, plus spécialement sur les années tournantes 1880-1920. La caricature contre Dieu émerge lentement au XIXe siècle pour prendre sa vraie place avec La Commune. L’auteur retrace à grands
traits une histoire de l’athéisme avant d’en arriver au grand tournant de la Révolution française. Même si l’idée « d’immortalité imprègne encore fortement les esprits », la séparation de
l’Eglise et de l’Etat de 1791 marque une étape. En fait, la caricature contre Dieu ne se manifeste vraiment qu’à partir de la Commune. La censure relâchant sa pression, les métaphores bibliques
contestataires et dévalorisantes se multiplient. Les dessinateurs puisent dans un stock inépuisable de références que n’importe qui peut comprendre, le passage au catéchisme ayant forgé un bagage
culturel commun. Le détournement des Ecritures perd d’ailleurs progressivement son caractère blasphématoire devant les progrès de la libre pensée et de la laïcité.
Essentiellement anti-chrétienne, cette offensive n’épargne pas ni le Coran, ni le Talmud. La « calotte juive » et la « calotte musulmane » sont mises à même sauce (p. 17). Le Père Eternel prend
alors des allures de vieux philosophe à lunettes, tirant sur sa pipe. Après La Bible farce ou Bible comme elle est de Malvoisin, qui paraît en 1881, viennent, dans les années suivantes des bibles
satiriques, amusantes, comiques et subversives paraissent sous la plume d’Alfred Le Petit, Léo Taxil, Lavrate ou Lorulot. Méphisto lui-même fait paraître une Bible ! Cette veine est continûment
exploitée par la presse libre penseuse jusqu’aux années 1930. Le rire antireligieux a pour effet de laïciser, mais il agresse violemment et frontalement un catholicisme habitué à voir seulement
ridiculiser ses ministres. Ce rire est « populaire » car l’image touche facilement le lecteur ou simplement le passant.
La deuxième partie du livre passe en revue et en images les thèmes chers aux bibles cocasses et folichonnes. La Genèse y domine nettement. La création, Adam et Eve, le paradis terrestre occupent
pratiquement la moitié de la place, Caïn et Abel, le Déluge, la tour de Babel, Sodome et Gomorrhe nettement moins, de même que les patriarches Abraham, Jacob et leur descendance (Joseph). Moïse,
Pharaon, les tables de la loi, la traversée de la mer Rouge et l’entrée dans la Terre promise sont à égalité. Jonas avec la baleine est très spectaculaire. Quand à David, ce « joli chenapan », il
permet la mise en scène des gentils, les « Israélites », et des méchants, « les Philistins ».
Dans le contexte d’une mise en cause récente des caricatures de Mahomet, le livre est une illustration de la désacralisation pratiquée par les coups de boutoir du dessin satirique il y a une
centaine d’année en France, revendication à la liberté de pensée et contestation radicale de l’héritage chrétien.
Compte-rendu d'Hélène Duccini, paru dans Médiamorphoses n°19, mars 2007.