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Dans un commentaire réagissant à notre tribune du 3 novembre intitulée « Les salauds » qui prenait sans réserve la défense de Charlie Hebdo contre les cocktails Molotov, un internaute (qui se cache derrière le pseudonyme de Saturne) nous reprochait d’avoir choisi comme illustration un dessin de Pépin représentant Mahomet, dessin tiré du journal Le Grelot. L’internaute qui ne se prononce pas dans son commentaire sur l’attentat subit par Charlie Hebdo et qui raille notre soutien au journal (au point que son commentaire puisse sembler complaisant à l’égard des incendiaires) considère que le choix du Grelot relève d’une imposture politique : le journal est en effet né en 1871 en se montrant hostile aux Communards. Par ailleurs - et je cite - , sa « parution correspond à l'extension du colonialisme français en Afrique et ailleurs, époque où les coups de fouet des colons pleuvaient sur la main-d'œuvre indigène gratuite ». Phrase difficile à interpréter au demeurant : s’agit-il de considérer le Grelot comme un franc soutien du colonialisme ? Ou alors tous les journaux publiés à cette époque portent-ils une tache indélébile, celle d’avoir été publiés à l’époque du développement de la colonisation ?

En tout état de cause, Le Grelot a paru pendant quasiment quarante ans, et a largement évolué dans sa couleur politique. Avec Bertall, il s'est montré hostile aux communards. Avec Alfred Le Petit dans les années 1870, l'hebdomadaire défend la République radicale contre les monarchistes et l'Eglise catholique tout en étant favorable à l’amnistie des Communards (!). Pépin qui prend la suite dénonce avec force « Ferry Tonkin » et les morts de cette colonisation là. IL tape dans les années 1890 aussi bien sur les opportunistes au pouvoir de plus en plus conservateurs que sur Boulanger ou les socialistes. A l'époque de l'Affaire Dreyfus, d'abord antidreyfusard, Pépin quitte le Grelot en août 1899 pour fonder un journal favorable au fameux capitaine, Le Fouet.

Le Grelot continue alors sa droitisation de plus en plus extrême, avec notamment le dessinateur Gravelle que le Maitron présente comme un militant naturien et anarchisant sympathique, mais qui a donné des dessins d'une rare morgue antisémite à divers journaux dont l'Antijuif illustré... Après 1900, le Grelot fustige l'anticléricalisme de Combes, les francs-maçons, les grèves, etc.

Il est donc difficile de réduire ce journal à une politique, tant les phases se succèdent sans se ressembler.

Pour notre part, en sélectionnant un dessin de cet hebdo satirique , nous visions juste à montrer un Mahomet réjouit assez proche du prophète de Luz publié par Charlie Hebdo. Un clin d'oeil, sans plus. Pas un programme politique !

 

L’internaute suggère dans son message que nous aurions dû choisir l’Assiette au Beurre pour évoquer la lutte contre toutes les religions, considérant cet hebdomadaire de la Belle Epoque comme emblématique d’un positionnemenet politiquement irréprochable. Le contraire du Grelot en quelque sorte.

Il ne semble pas que la colonisation ait particulièrement marqué le pas entre 1900 et 1914, mais passons. « Plus courageusement, explique notre internaute, un journal comme L'Assiette au Beurre dénonçait simultanément le "Sultan rouge" et le dieu des chrétiens, des juifs et même des Japonais. Et aussi les atrocités coloniales ». On doit en fait la fameuse dénonciation simultanée de nombreuses religions au dessinateur Kupka dans un seul numéro de l’Assiette, qui en a publié plus de 500, ce qui semble tout de même un peu maigre. L'Assiette n'a d'ailleurs pas choisi de viser "toutes" les religions en couverture de ce numéro fameux, mais seulement la religion catholique et sa cupidité.

Comme de juste, la plupart des attaques anticléricales de l’Assiette visent les curés "bien de chez nous" et leur hiérarchie hexagonale ou vaticane. Publier des dessins contre « toutes » les religions constituerait une preuve de « courage ». Pas si sûr, à une époque justement où les adeptes de ces relgions non seulement sont très peu nombreux en métropole mais en plus, étant totalement écrasés, n'oseraient pas se manifester. 

L'Assiette n'a jamais été menacée ni traînée en justice pour ses dessins anticléricaux... Le Grelot, dans les années 1870 et 1880 a subi sans relache les tracasseries de l'administration, c'est à dire la censure... Le "courage" n'est pas toujours du côté que l'on croit.

 

Enfin, il nous semble faux de déduire la ligne d'un journal à partir d'un numéro qui plaît à tel ou tel lecteur. Si le fondateur de L'Assiette donnait carte blanche aux caricaturistes de l’époque, il n’en publiait pas moins des artistes de tendances très diverses. Michel Dixmier, cité par notre contradicteur, n'a jamais présenté L'Assiette au Beurre comme un brulot anarchiste, mais comme un journal satirique à la ligne éditoriale complexe et hétérogène.

Au final, sur l’ensemble des dessins publiés par l’Assiette, très peu dénoncent les colonies. Il faut noter d’ailleurs que quasiment aucun dessin n’évoque la possibilité d’une indépendance des colonies en question (sauf donc un dessin de Grandjouan sur l'Algérie). Il ne faut donc pas considérer l’Assiette au Beurre comme un journal qui serait politiquement irréprochable. L’Assiette a par exemple publié un nombre important de dessins antiféministes et misogynes. Même Jossot, souvent montré en exemple, ne peut-être perçu comme un modèle politique : l’individualisme prédomine chez lui et sa veine radicale constitue une très faible part dans l’ensemble de sa production graphique. Quant à Grandjouan ou même Veber, on peut trouver chez eux des traces d’antisémitisme…

 

Soutenir aujourd’hui Charlie Hebdo contre ceux qui ont lancé les cocktails Molotov et contre tous ceux qui se sont réjouis au nom d’Allah de l’incendie du journal, n’est pas faire de Charlie un modèle. Ce n'est pas non plus soutenir les prises de position des 1000 numéros de l'hebdomadaire ni bien sûr les opinions de Philippe Val en son temps, c’est juste s'élever contre tous les intégrismes religieux, sources de barbarie et d’oppression. Et donc se montrer totalement solidaire du journal dans cette crise.

Notre contradicteur nous reproche de soutenir un journal qui a viré injustement Siné il y a quelques années. Mais même Siné et Siné mensuel ont témoignéleur sympathie à Charlie Hebdo contre les "extrémistes dégénérés"...

 

Ci-dessous le reste du numéro de l’Assiette au Beurre évoqué par notre contradicteur…

 

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Tag(s) : #Point de vue
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