Dessin de Plantu, Le Monde, 20 septembre 2012
Hommes politiques, journalistes ry même dessinateurs ont très diversement apprécié la publication par Charlie Hebdo de caricatures visant Mahomet, suite aux réactions de la « rue » musulmane après la mise en ligne d’un film américain évoquant la vie du prophète. Loin du soutien quasi unanime suite à l’incendie des locaux de l’hebdomadaire satirique, une bonne part des dessinateurs de presse se montre cette fois réticente (à l’image de la gauche d’ailleurs), comme en ont témoigné différentes prises de position relayées par la presse.
A l’occasion de festivités organisées en commun par les villes de Paris et Berlin, les dessinateurs Plantu et Stuttmann ont été invités à débattre de leur métier à la Bibliothèque historique de la ville de Paris le mardi 25 septembre 2012. Si les premiers échanges ont permis de préciser que Plantu ne travaillait que pour deux journaux nationaux, tandis que Stuttmann, dessinateur allemand vivant à Berlin, livrait ses dessins à une vingtaine de titres ; que Stuttmann choisissait le sujet de ses dessins seul et sans contact avec sa rédaction contrairement à Plantu, la discussion a très vite porté sur les caricatures controversées publiées par Charlie Hebdo le mercredi précédent. Il n’est pas simple de résumer un débat nécessairement polémique sans déformer la pensée de l’un ou de l’autre. La manière de présenter les choses n’engage bien sûr que l’auteur de ces lignes.
Plantu a comme à son habitude livré sa manière de concevoir le rôle du dessinateur de presse : construire des ponts entre les peuples, comme le veut l’esprit de l’association qu’il a fondée, Cartooning for peace. Stuttmann s’est opposé de manière frontale à cette conception. Pour lui, la caricature a pour fonction de critiquer et d’attaquer, justifiant le principe de la publication de caricatures visant Mahomet. Lui-même n’a publié durant sa carrière qu’un seul dessin de presse figurant Mahomet. Dans ce dessins, Stuttmann figurait Kurt Westergaard (l’auteur d’un des douze dessins publié par le Jyllands Posten en 2005) avec un masque de Mahomet (celui qu’avait dessiné Westergaard, plaisanterie sur le fait de devoir sortir masqué pour ne pas être reconnu par les intégristes musulmans !). Si Stuttmann a affirmé par principe le droit à la caricature des religieux et des religions, sans poser de limites à ce droit, Plantu a au contraire tenu à déterminer une ligne rouge entre les charges visant les intégristes et celles visant la religion. Pour le caricaturiste du Monde et de l’Express, le dessinateur doit respecter le sacré religieux pour ne pas heurter le croyant dans sa foi.
Argument que l’on retrouve en « une » du Canard enchaîné de cette semaine sous la plume de Louis-Marie Horeau. Quel intérêt de blesser l’ensemble des fidèles alors que seuls les intégristes sont dignes de nos reproches ? Dans cet article, Le Carnard en appelle, tout comme Plantu, à la responsabilité du dessinateur.
Le dessinateur du Monde souhaiterait voir le dessinateur retenir son crayon, lorsqu’il sait que son travail risque de provoquer « 10 ou 50 morts au Pakistan ». Sauf que, comme l’a fait remarquer l’animateur de la soirée, le berlinois Wather Fekl, « ce ne sont pas les dessins qui tuent, mais bien les intégristes ».
Les uns et les autres ont évoqué l’instrumentalisation des dessins par la frange radicale de l’islamisme et Plantu a insisté sur le rôle d’Internet dans la diffusion des images, rendant impérieux ce devoir de responsabilité. N’oublions pas néanmoins que la colère des intégristes musulmans n’avait pas attendu Internet pour fustiger les Versets sataniques et réclamer la mort de leur auteur. Internet accélère sans doute la circulation des idées et des images, encore faut-il que des groupes politiques décident de les instrumentaliser et d’y répondre par la violence.
Autre argument avancé par Plantu, l’urgence qu’il y a à travailler sur d’autres sujets. Il est à ses yeux plus importants de dénoncer l’excision que de brocarder les religions, le premier sujet excluant le second.
Enfin, dans le feu du débat et pour donner plus de force à son réquisitoire contre Charlie Hebdo, Plantu n’a pas manqué d’évoquer les « vrais » courageux, les dessinateurs qui, en Syrie, en Algérie, en Lybie, ou à Tunis, se sont fait tabasser, sont morts ou risquent la répression pour leurs dessins. Il s'est également récrié contre la pièce de théâtre dans laquelle des acteurs versaient de l'urine et des excréments sur un portrait de Jésus.
Plantu a résumé sa position sur « l’affaire » dans un dessin paru en « une » du Monde. Il y brocarde directement Charb, directeur de l’hebdomadaire satirique, qu’il montre de manière ironique à l’origine d’une nouvelle provocation : « un portrait de l’Europe ». Comme à son habitude, Plantu condense deux sujets sans lien logique apparent.
On peut s’étonner de ce qui pourrait passer pour un règlement de compte, Plantu allant jusqu’à représenter sa souris fétiche sodomisant Maurice, un des deux animaux du strip publié par Charb chaque semaine dans Charlie Hebdo. Plantu ne manque pas de charger le directeur de Charlie, en lui adjoignant notamment une goutte d’urine au niveau de l’entre jambe, visant à évoquer sa débilité.
Au travers de ce dessin, Plantu et le Monde ont choisi, comme une partie de la gauche, de se démarquer de caricatures outrancières contre Mahomet. Ils semblent donner raison aux intégristes qui réclament que l’on rende intouchable leur religion. On peut également se demander jusqu’ou va la sacro sainte responsabilité, lorsqu’un dessinateur « responsable » publie une charge de ce type contre un confrère sous protection policière depuis des mois et régulièrement menacé de mort. Si les dessinateurs à l’origine des caricatures visant Mahomet sont par ricochet « responsables » des morts au Pakistan, ne pourrait-on rendre « par ricochet » Plantu responsable d’une éventuelle voie de fait contre Charb et son journal ?
Caricaturer une religion minoritaire constitue toujours un exercice délicat, les minorités subissant bien souvent diverses formes d’exclusion. La caricature des religions peut bien sûr servir la xénophobie et "blesser" les croyants. Mais si à la fin du XIXe siècle le mouvement anticlérical n’avait pas conquis le droit à la critique non seulement du clergé mais également de Dieu au travers la publication de bibles satiriques démontant par le rire le dogme chrétien, la séparation des Eglises et de l’Etat, loin d’être totalement établie dans les faits, serait-elle allée aussi loin dans les têtes ? Quant aux blessures symboliques, pourquoi devrait-elles épargner les seuls croyants imprégnés de religion. Tous les "sacrés" (religieux ou non) ne se vaudraient-ils pas ? Plantu ne devrait-il pas s'empêcher de dessiner des vaches, au nom de leur sacralité hindoue ? Quand il représente Mitterrand sodomisant la reine d'Angleterre, ne choque-t-il pas inutilement les "sujets" de sa Majesté ? Quand il attaque les curés pédophiles, les catholiques ne peuvent-ils à bon droit se considérés souillés par un dessin qui semble accuser l'ensemble du clergé ?
La journaliste et essayiste féministe Caroline Fourest dénonce aussi bien l’islamisme radical que le Front national. Bien qu’elle s’abstienne de dessiner Mahomet ( !), elle est pourtant régulièrement taxée d’islamophobe par les « Indigènes de la République ». Rendre la religion intouchable au nom de l’antiracisme, de l’anti impérialisme ou de la paix entre les peuples, voilà l’objectif de ceux qui protestent contre ces caricatures. Les dessinateurs qui se sont démarqués de Charlie Hebdo sur des questions de principe au nom de la « responsabilité » et du respect des croyants, encouragent hélas très nettement, c’est notre conviction, le combat des intégristes.
Guillaume Doizy, 28 septembre 2012