Sur son blog dont nous apprécions généralement la pertinence des analyses et des informations, le spécialiste du dessin de presse actuel ne cache pas sa mauvaise humeur à l’occasion de la
parution d’un numéro de TDC (Textes et documents pour la classe) ayant pour thème « Histoire et Caricature ». Dans son article intitulé "Daumier, un espoir du dessin de presse", un brin moqueur, il se demande s’il n’y aura pas
bientôt plus de spécialistes de la caricature que de dessinateurs eux-mêmes. Effet de rhétorique bien sûr, quand on connaît si bien la pléthore actuelle de prétendants caricaturistes et autres
dessinateurs d’actualité. Tant de dessinateurs sans support, sans vrai moyen d’expression !
Il faut le souligner, une publication pédagogique qui s’intéresse à l’Histoire (c’est le thème central de ce numéro) ne peut se contenter de parler d’aujourd’hui. Sauf à admettre que le XXe
siècle, c’est déjà de la préhistoire, il ne faut pas oublier que le passé est constitué d’un empilement de siècles, de périodes, d’évolutions politiques, économiques, culturelles…
L’argument le plus fort de cette analyse consiste à dire qu’on ne va pas donner le goût du dessin de presse aux jeunes générations si on s’en tient à leur parler de Gillray, de Daumier ou de
l’Assiette au Beurre. Mais aux grandes époques de la caricature et du dessin de presse (donc à des périodes « passées »), aucun pédagogue n’avait pris le soin d’enseigner l’art du dessin
de presse aux rares écoliers (pour le XVIIIe siècle) ou aux plus nombreux bambins vissés sur les bancs de l’école au temps de Jules Ferry. Dans ces temps illustres, la caricature et le dessin de
presse ne se sont pas imposés par la grâce d’un quelconque enseignement, mais bien pour des raisons profondes, liées à l’évolution de la société, à son rapport à l’image, à la politique et au
rire. Les progrès fulgurants de la presse et de l’image satirique imprimée (voir le dernier ouvrage fondamental sur la question publié par Nouveau Monde, La civilisation du journal) se sont
imposés à la société sans que nul ne fournisse les clefs du décodeur.
Il faudrait sans doute justement que notre blogueur analyse pourquoi le dessin de presse a tant reculé de nos jours et pourquoi, dans un siècle, on continuera à consacrer plus de pages et
d’ouvrages à cinq ans de parution de La Caricature (1830-1835) ou à André Gill, plutôt qu’à Siné, Plantu ou Charlie Hebdo (total respect pour les uns et les autres dont nous
apprécions le talent).
Et puis qui, sinon les dessinateurs actuels eux-mêmes, sont les mieux placés pour défendre ce mode d’expression ? Pourquoi faudrait-il accuser les poussiéreux historiens ou l’école, qui ne
feraient pas leur boulot ?
Autant reprocher à un bouc de ne pas produire de lait.
Enfin, il faudrait peut-être attendre de lire la revue avant de se prononcer si sévèrement. Ce numéro comporte une longue introduction sur l’histoire de la caricature, qui ne manque pas de
conclure sur la période actuelle, sur la satire visuelle à la télévision et le rôle d’Internet (le récent attentat subi par Charlie Hebdo est même évoqué !). En plus de l’interview de
Riss (la revue aurait pu s’en tenir à interroger Daumier ou Forain, non ?), certains articles s’intéressent au dessin pendant la Collaboration et même après, en ce qui concerne Jean Effel
(article d’Hélène Duccini). Enfin, un dernier article porte sur un dessinateur anglais actuel (Steve Bell) qui pioche à l'occasion son inspiration dans l'histoire de la caricature afin de
confronter présent et passé...
Pour conclure, disons que les écrits sur la caricature du passé n’enlèvent sans doute strictement rien au dessin de presse actuel. Les responsables sont à chercher ailleurs, dans la frilosité du
temps, dans la frilosité des rédactions des journaux, mais surtout dans le fait que le dessin de presse n’est plus en résonnance avec l’époque actuelle !
Cette réticence à l’égard du passé reflète un rejet partagé par bien des dessinateurs d’aujourd’hui pour la tradition dans laquelle ils s’inscrivent pourtant. La rhétorique d’aujourd’hui, doit
beaucoup aux procédés ou aux astuces graphiques usitées depuis des décennies, quand elle ne les copient pas !
La connaissance du passé ne permet peut-être pas de rendre le présent meilleur. Elle offre la possibilité d’aiguiser sa conscience du jour. Ce numéro de TDC ne se fixait pas pour but de
« transmettre aux jeunes l’envie de s’intéresser au dessin satirique », mais justement, de montrer à ces jeunes comment, dans le passé, les générations précédentes se sont emparées de l’image
satirique et se sont servies de sa puissance pour défendre des opinions, leurs opinions, leurs visions du monde, leurs idéaux. Une belle leçon pour l’avenir, non ?
Nous militons pour les tables rondes qui réunissent historiens de la caricature et dessinateurs actuels. Le double regard nous semble incontournable, pertinent et nécessaire !
Pascal Dupuy et Guillaume Doizy, janvier 2012