Dans son édition du 2 mars 2011, Charlie Hebdo consacre une double page au dessinateur Jossot dont les œuvres sont exposées à la bibliothèque Forney de Paris. Dans cette double page superbement illustrée, Charlie explique : « Jossot était tellement en avance sur son temps qu’il n’a toujours pas été rattrapé. On court derrière. Le dessinateur, entre autres, de L’Assiette au beurre, a éclairé la fin du XIXe siècle et le début du XXe de ses traits lourds et de ses aplats généreux. Chacun de ses dessins est une claque d’une sensuelle beauté. Anticlérical, antimilitariste, Jossot est des nôtres ! Pour en savoir plus sur ce génie… ».
Une drôle de manière de présenter les choses. L’anticlérical et antimilitariste génie abandonne en fait le dessin de presse avant 1914 pour se jeter dans les bras de… Mahomet en Tunisie. Le dessinateur « tellement en avance sur son temps » se convertit à l’Islam et abandonne donc ses marottes précédentes. Il continue à peindre et également à écrire en défendant bien sûr les beautés de sa nouvelle religion. Mais peut-être pire encore, si Jossot avant sa conversion paraît sympathique pour ses dessins contre l’armée ou même contre l’Eglise catholique, il fustige sur un même ton le travailleur socialiste, les femmes atteintes d’alcoolisme, les familles nombreuses, se montrant parfois volontiers misogyne !
Jossot en bon individualiste révolté ne fait pas souvent la part des choses entre le bourgeois exploiteur et l’exploité atteint de déchéance morale, entre le royaliste et l'anarchiste... Contrairement à Grandjouan ou Delannoy qui cultivaient une vraie conscience de classe, Jossot fait avant tout figure d'individualiste forcené, avec tous les travers que cela comporte...
Il est toujours difficile de ne pas mythifier les dessinateurs d’hier. Mais la double page de Charlie est d’autant plus tendancieuse qu’elle occulte les ¾ de l’exposition : Michel Dixmier et Henri Viltard, tous deux spécialistes du dessinateur et commissaires de l'exposition ont choisi de montrer l’œuvre de Jossot dans sa diversité. Dessins de jeunesse, charges politiques, peintures orientalistes de facture assez académique, affiches commerciales… Charlie Hebdo adorerait un dessinateur et peintre qui fut pendant vingt ans un mystique militant acquis au soufisme ? On va finir par regretter le départ du très laïcard Philippe Val…
L’exposition, très riche en documents iconographiques, a en tous cas le mérite de mettre en lumière un Jossot totalement méconnu. A ne pas manquer !
G. Doizy, mars 2011
Bibliothèque Forney, 1, rue du Figuier, Paris, 4e Arrondissement, jusqu’au 18 juin 2011.