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LA LANTERNE DE BOQUILLON (1868-1926, Paris)

Notice extraite de Ridiculosa n°18, "La presse satirique française". 

 

Si la qualité d’une publication périodique se mesure à l’ampleur de son tirage et à sa longévité et non à sa taille (12x17cm), La Lanterne de Boquillon publiée par Pierre-François Humbert dit Albert (Vesoul 24 février 1835[1]- Langres 10 octobre 1886[2]) fait partie des journaux satiriques les plus fameux de toute l’histoire de cette presse. La petite revue qui devient hebdomadaire en 1876 remporte un immense succès, avec des tirages supérieurs à 150 000 exemplaires en 1878 et 1879, 96 000 en 1880.

Créée en août 1868 (n°1), c'est-à-dire quelques mois seulement après le lancement par Henri Rochefort de sa célèbre Lanterne, celle d’Humbert a la particularité d’être principalement autographiée (textes et dessins, système très à la mode dans les années 1850[3]), c'est-à-dire qu’elle ne recourt que très peu au procédé d’impression typographique. Entre 1868 et 1886, Humbert publie plus de 700 numéros au fil desquels il met en scène le dialogue imaginaire d’un soldat, Boquillon, avec sa payse. Le personnage fait sa première apparition dans le journal L’Eclipse avant de devenir le sujet principal de La Lanterne. Humbert élabore une langue totalement dysorthographique, truffée de mots valises et autres néologismes, avec une écriture enfantine, joyeuse et pleine de gouaille argotique (« voici une nouvelle épastrouillante annoncée dans une gazette monarchitrouilleuse... »). Les textes, parsemés d’illustrations satiriques (véritable originalité alors qu’en général à cette époque textes et images occupent des espaces bien distincts), abordent les questions politiques et sociales. Humbert-Boquillon milite pour la République. Il se montre farouchement anticlérical et dénonce, sous couvert d’un discours en apparence naïf, les forces réactionnaires ou conservatrices à l’œuvre. Il flétrit l’Eglise, la magistrature et l’armée.

Humbert explique avoir besoin d’une semaine à 13 jours[4] pour réaliser chaque numéro de la Lanterne, ce qui induit un décalage important entre son contenu et l’actualité, entre l’envoi d’informations par les lecteurs et leur publication. La revue, vraisemblablement très diffusée en province, constitue une véritable « rente » pour ce dessinateur dont on retrouve dès la fin du Second Empire les charges dans divers journaux satiriques de l’époque. Humbert remplace parfois André Gill en « une » de la célèbre Lune puis de L’Eclipse. Il publie également une dizaine de romans comiques, en plus des Almanachs de La Lanterne.

Il demeure encore aujourd’hui très difficile de savoir qui a remplacé Humbert après sa mort, d’autant que les textes continuent d’être signés « A. Humbert », comme s’il avait continué à vivre, les propriétaires de la revue souhaitant conserver cette image de marque efficace. Il faut sans doute compter avec Emile Cohl (La Lanterne propose à ses lecteurs de se faire tirer le portrait-charge par Cohl en 1890) et également Georges Coutan (alias Pasquin) qui illustre par exemple Chansons d'aujourd'hui[5] édité par La Lanterne, collaboration confirmée par La Grande encyclopédie : inventaire raisonné… publiée à la fin du XIXe siècle. Après la mort d’Humbert, le titre perdure, dirigé par sa fille, dit-on. La revue a pour gérants ou propriétaires successifs Guillemonat, Labbe, Gillan, Maurice Levallois, L.-Jean Albin, qui apparaît également comme « rédacteur » , Henri Brégeot-Vodémont[6], journaliste scientifique et financier, mais aussi satiriste hors pair, gérant (et rédacteur sous le pseudonyme de Gringoire, notamment dans La Lanterne de Boquillon) de journaux satiriques comme Le Carillon, L’Amusant, Le Pétard, Le Père Duchêne, tenant la rubrique « Grelots-finance » dans Le Grelot en 1890. Il faut mentionner également un autre gérant, H. Richard, imprimeur qui gère ou imprime diverses revues illustrées (La Calotte 1906-1911 par exemple).

Après la mort d’Humbert, La Lanterne passe de main en main comme on le voit, mais devient au fil des années l’ombre de ce qu’en avait fait son génial inventeur et même totalement indigente après 1900. Certains auteurs affirment que la Lanterne paraît jusqu’en 1926, ce que confirment les Annuaires de la presse française, bien que le catalogue de la BNF ne conserve pas l’hebdomadaire (mis en ligne sur Gallica, hélas avec des lacunes) au-delà de 1905.

La revue d’Humbert a connu de nombreuses imitations dont la plus sérieuse fut Le Lampion de Berluron (1879-1883 au moins) illustré par Pépin, propriété d’un groupe de presse important, la Société anonyme de la Petite République française. Les royalistes publient de leur côté La Lanterne d’Arlequin lancée en 1881, de même format mais non autographiée et qui perdure jusqu’à 1895 avec des tirages variant entre 15 000 et 30 000 exemplaires. Le « genre », créé par Humbert, rencontre, comme on le voit, un véritable succès qui témoigne de l’engouement du public de l’époque pour la satire.


Guillaume Doizy

[1] Pierre-François Humbert, né le 24 février 1835 de Jean Humbert, Employé au Bureau des Messageries et Marguerite Poutot. Le registre d’Etat civil comporte dans la marge la mention « Auteur de la Lanterne de Boquillon ». (Archives départementales de Haute Saône, http://archives.cg70.fr/4DCGI/Web_RegistreArt19Num1806/ILUMP22357, vue 314).

[2] Décédé à 51 ans le 10 octobre 1886 à Langres d’après l’acte d’Etat civil réalisé en présence de deux amis, Paul Sigisbert-Thérion, pharmacien et Augustin Ragout (Acte d'Etat civil, décès n°241, http://archives.haute-marne.fr/adhmpl3/img-viewer/AD52_1E0269_103_01/viewer.html).

[3] Le Figaro, 15 octobre 1856, p. 4.

[4] La Lanterne de Boquillon du 16/06/1878.

[5] Chansons d'aujourd'hui, par Maurice Levallois... Préface de L. Albin, bureau de "la Lanterne de Bocquillon" (Paris), 1889.

[6] Henri Brégeot-Vaudémont (pseudonyme Gringoire), né à Nonville dans les Vosges, le 6 septembre 1855 et décédé à Joinville-le-Pont le 17 juillet 1896 selon le Bulletin de l'Association des journalistes parisiens du 15 avril 1897.

 

 

 

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Pistes bibliographiques :

Michel Dixmier, Jacqueline Lalouette, Didier Pasamonik, La République et l’Eglise : Images d’une querelle, Paris, La Martinière, 2005, p. 140.

La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, Tome 13, p. 201.

Pierre Albert, Histoire de la presse politique nationale au début de la Troisième République (1871-1879), t. II, La vie des journaux. Thèse Paris IV, 1980, Atelier de reproduction des thèses, Université de Lille III, p. 1089.

Dictionnaire universel illustré, biographique et bibliographique, de la France contemporaine  comprenant par ordre alphabétique la biographie de tous les français et alsacienslorrains (majuscules ? Alsaciens-Lorrains ?), [1885], p. 794.

Annuaire de presse française, 1881, p. VII

Corinne Taunay, « L’épatartouflant Albert Humbert, dit Onésime Boquillon », Papiers Nickelés n°28, 1er trim. 2011, pp. 22-24.

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