Dessinateur de presse engagé (qui publie ou a publié notamment dans Siné hebdo, F.O.Hebdo, Politis, Union Sociale, etc.), Lionel Brouck (voir son blog ou ses dessins sur Iconovox) est décrit par le journal Politis comme étant « de toutes les mobilisations des petites gens, des travailleurs sans-papiers, mal-logés ou migrants ». Il réalise des reportages dessinés plein d’empathie pour les victimes des discriminations et du capitalisme, auto-édite des albums de dessins d'humour, exécute des "dessins en direct" lors de débats pendant des séminaires, des colloques, des événements politiques, etc., Il assure également des ateliers "Initiation à la BD ou au dessin de presse".
C&C : Face à la crise économique, le dessinateur de presse a-t-il une responsabilité particulière ?
Brouck : Le rôle du dessinateur et presse, à de rares exceptions près est, me semble-il, assez subalterne, et n'a pas beaucoup d'impact sur le cours des évènements... Le cas des "caricatures de Mahomet" qui a défrayé la chronique est exceptionnel... jamais un dessin n'a changé la face de ce monde injuste !
C&C : Vous considérez-vous comme un dessinateur « engagé » ?
Brouck : Oui!...Surtout par rapport au travail de "reportages dessinés" que j'essaie de réaliser depuis trois ans, en allant "croquer" manifs, actions, lutte au long cours, sur le terrain... Sans avoir "calculé" le truc, j'ai même eu la chance qu'un collectif de soutien aux Sans papiers se mette à diffuser mon recueil auto-édité "Voyage au bout de l'envers" pour au final rapporter des milliers d'euros aux sans papiers! Fier je fus !!!
C&C : Vous dessinez pour Fo Hebdo, le magazine du syndicat Force Ouvrière. Quel est le rôle du dessin de presse dans ce journal ?
Brouck : Le dessin de presse n'existe dans ce journal "national" que grace à Dominique Hingant, génial maquettiste et peintre lui-même, qui, depuis 35 ans, résiste au conformisme et à la censure qui, évidemment, sévit aussi, comme partout, au sein de cette rédac !... Et en ce moment, c'est très difficile pour lui de résister à l'ambiance de "consensus mou et droitier" qui y règne, et il se voit régulièrement emmerdé pour avoir passé quelques-uns de mes dessins parfois virulents !
C&C : Quels types de réactions souhaitez-vous provoquer chez les lecteurs de vos dessins ?
Brouck : J'essaie de ne pas y penser... il faut déjà que le dessin que je tente de réaliser me provoque un émoi, voire une gêne, en tout cas une forte émotion... le lecteur se démerde avec...
C&C : Vous commentez les relations sociales plus que l’actualité politique, en recourant souvent aux stéréotypes du gros patron à cigare ou de l’ouvrier en bleu de travail. Certains trouvent ces stéréotypes éculés, mais comme Tignous, vous les revendiquez !
Brouck : Je revendique les symboles représentant les classes sociales, et la lutte des classes est bien toujours d'actualité, et n'a jamais été aussi indispensable !... Ce qui est "ringardisé", c'est le premier degré, alors que je trouve qu'en ces temps de "novlangue" et d'hypocrisie au ventre mou, il est bon d'exprimer clairement les choses : un patron fera toujours du profit sur la sueur de son employé, un politicien aux ordres est sur nous comme le vampire sur le bœuf... En tout cas, je dessine exactement comme je pense, sans fioritures bien présentées... C'est sûrement aussi à cause de ça que je n'ai pas beaucoup de boulot !
C&C : Les syndicats et les organisations revendicatives utilisent finalement assez peu le dessin de presse pour faire passer leurs idées, pourquoi ?
Brouck : J'ai plutôt de la chance, car ce sont actuellement les syndicats (FO, mais parfois SUD, ou la CGT) qui me donnent un peu de boulot et me permettent de survivre... En faisant un peu le tour des organes de presse, tracts, affiches, sites internet, il me semble que les syndicats utilisent beaucoup le dessin... Mais c'est souvent très mal payé, le dessin revenant plus cher que la photo, c'est un des (nombreux) problèmes inhérents à notre profession...
C&C : Qu’est-ce que la caricature peut apporter au mouvement social ?
Brouck : Je peux donner mon humble avis: il est judicieux d'accompagner, d'être solidaire, complice, de servir même parfois les mouvements sociaux, mais il est aussi important de garder une production "personnelle", "non-encartée", ce qui permet de taper sur tous les cons (même nous-mêmes!) et tous les travers de l'être humain, même quand il sert un collectif... J'ai l'impression que là est mon modeste rôle, un peu anar, un peu névrosé, un peu libre...
Avril 2012