Dessin de Riss, Charlie Hebdo du 4 novembre 2009
Dessin de Siné, Siné Hebdo du 4 novembre 2009
Une fois n’est pas coutume. Charlie et Siné non seulement s’intéressent à une même actualité, le lancement du débat par Besson sur l’identité nationale, mais recourent, de surcroît, au même stéréotype, celui du Dupont-la-joie, béret vissé sur la tête et baguette sous le bras.
Nos hebdos satiriques livrent cette semaine deux images en apparence très proches, mais qui opèrent des choix bien différents en terme de rhétorique, de rythme, de composition et de jeux graphiques.
Siné joue sur l’ironie en reprenant faussement sérieusement à son compte l’expression « fiers d’être français », tandis que Riss caricature Sarkozy, sous l’apparence du Français moyen aux allures traditionnelles.
Comme à son habitude, Siné élabore une image binaire (en fait plutôt « trinaire » comme nous le verrons plus bas), formée d’un titre et d’une illustration, tous deux centrés. Le regard du lecteur passe du titre au dessin qui se lit de manière immédiate. Chez Siné, le titre, composé de trois mots, trouve dans la couleur un sens renforcé (comme la semaine dernière), tandis que la couv’ de Charlie se sert du drapeau tricolore comme arrière plan symbolique (opérant donc une segmentation de l’espace) sur lequel se distinguent quatre éléments : un titre, une série de trois accroches (dans des cartouches séparés) pastichant la devise républicaine, l’illustration principale (un personnage en pied tourné, comme chez Siné, vers la gauche) et enfin la montre, qu’un fort contraste de couleur rend très visible. Comme souvent, la « une » de Charlie induit un sens de lecture circulaire ou multipolaire, lié au dynamisme et à la complexité de la composition. L’obliquité des trois bandes de couleur, des textes et du personnage principal, la dissymétrie de l’image, s’opposent en tout point à la verticalité, la symétrie et l’horizontalité qui priment le plus souvent en « une » de Siné Hebdo. La dominante diagonale chez Riss peut se lire comme un signe de la décadence de Sarkozy et du nationalisme, aspect renforcé par la colorisation du personnage, presque sépia, renvoyant aux images du passé. Nous n’interprétons pas la posture des personnages, tous deux tournés vers la gauche, comme une manière de signifier leur passéisme, la symbolique de l’espace associant régulièrement la partie gauche de l’image au passé et la droite à l’avenir. Pour autant, le sens de lecture d’une image s’établissant plutôt du haut vers le bas et de gauche à droite, si le dessinateur veut que son lecteur découvre d’abord le titre puis l’illustration, la logique de la composition s’impose d’elle-même.
Saluons l’esprit d’innovation de l’octogénaire Siné qui, cette semaine, joue les collagistes. Le dessinateur intègre en effet à son illustration un élément photographié et non plus seulement dessiné. L’image devient collage (numérique s’entend). L’élément en quadrichromie et non plus en aplat, forme un point d’appel qui attire le regard et étonnera certainement le lecteur. Le contraste qui s’établit entre le vérisme porté par la photographie (la baguette) et la simplicité brute du fessier, du béret et des vêtements, eux, dessinés, rajoute bien sûr au comique du dessin, qui mêle différents manières de représenter le réel. Le stéréotype semble ainsi formé d’un patchwork hétérogène, un béret, un cul, une vraie baguette, tous éléments hétéroclites et donc particulièrement ridicules.
Dans ce dessin en apparence très simple, Siné attaque de manière frontale le chauvinisme, en se moquant du stéréotype même que constitue les Dupont-la-joie moyens qui se diraient « fiers d’être français » à la mode tricolore, c'est-à-dire patriotique et franchouillarde. Le dessinateur présente le "français" fier de pouvoir se dire « de souche » , mais comme un « trou du cul » ayant la particularité d’avoir le visage remplacé par un rose postérieur, c'est-à-dire le « bas corporel » à la place du cerveau. De ce visage là ne pourrait sortir que de la merde… La fierté nationaliste ainsi moquée se cristallise dans cet être hybride grotesqe et repoussant, qui renvoie à une science très ancienne, la tératologie. La bêtise nationaliste devient une déformation congénitale !
Riss ne recourt pas à la scatologie ni à l'hybridation comme son illustre confrère. Dans une traditionnelle caricature, il vise l’instigateur du débat, non pas Besson, mais son véritable patron, Nicolas Sarkozy. Le débat a pour objectif affiché de redéfinir ce que serait la « nouvelle identité française ». Charlie Hebdo répond à la problématique, avec cette image de Sarkozy qui ne se réduit pas au seul crétinisme tricolore. Riss condense deux stéréotypes : celui du français moyen et celui du Sarkozy… moyen, content de lui, patriotard à ses heures et symbole de la France de par son statut, mais surtout encore et toujours « bling-bling » et fier de l’être.
Contrairement à Siné qui dénonce le traditionnel crétinisme chauvin, Charlie se fait plus sociologue, en témoignant, avec sa « une », d’une évolution sociétale. Le nationalisme franchouillard semble avoir en effet été « décomplexé » par Sarkozy et ses amis, qui affichent sans vergogne conservatisme traditionnel et amour ostentatoire du luxe.
Nos deux journaux instrumentalisent donc un stéréotype largement répandu dans l’imaginaire étranger, mais aussi français, depuis plusieurs décennies, un stéréotype qui renvoie probablement à Vichy, et même à la droite française d’avant 1940.
Comme nous l’avons souvent expliqué dans ces lignes, le dessin satirique use et abuse de stéréotypes. Condensatoire et allusif, le dessin de presse dispose de très peu d’éléments pour faire passer son message, d’où le recours à des codes immédiatement compréhensibles par le lecteur. Si l’image satirique renvoie à des stéréotypes anciens, elle les réactualise en permanence et permet, en y référent régulièrement, de les pérenniser, d’empêcher qu’ils tombent en désuétude. Remarquons tout de même que la bande dessinée et la publicité recourent depuis des décennies et ce, largement, au stéréotype du français moyen.
Le lecteur actuel aura sans doute plus de difficulté à « lire » le visage formé par une paire de fesses. Le procédé, inhabituel, n’en demeure pas moins ancien comme on peut le voir ci-dessous :
Historiquement, les dessinateurs commencent par disposer des visages à la place des fesses. L’anus et le diable forment un binôme indissociable et la caricature instrumentalise dès ses débuts l’insulte scatologique. Luther, au temps de la Réforme, multiplie les saillies scripturales contre le pape dans de violents pamphlets, en puisant notamment dans le registre du bas corporel, de l’excrémentiel et de la flatulence pour avilir le représentant de Dieu sur terre ! L’imagerie présente bien vite des personnages déposant leurs excréments dans des tiares par exemple.
La scatologie demeure ambivalente, puisqu’un dessinateur pourra tout aussi bien montrer un de ses héros, les fesses à l’air, déféquant sur un adversaire ou un symbole, ou au contraire mettre en scène les bas instincts d’un rival en dévoilant le fruit de ses intimes activités intestinales.
Remplacer le visage humain par un autre élément du corps n’est pas sans conséquence symbolique. La paire de fesse dénie ici au franchouillard toute espèce d’humanité, transformant sa face en une vulgaire protubérance de chair. Du point de vue formel, la substitution fonctionne sur une analogie visuelle : à la symétrie verticale du visage répond la même symétrie des deux fesses. La couleur demeure identique et la rotondité des fesses évoquera celle de joues particulièrement rebondies.
La face ainsi fessue demeure frappante par l’absence de regard et de bouche. Domine alors l’idée d’aveuglement, de non personnalité, de monstruosité froide et repoussante, une sorte de gueule cassée des temps modernes.
Riss, dans un dessin assez attendu du point de vue graphique, vise un adversaire précis, Sarkozy, en rappelant sa collusion avec les riches. Siné, de son côté, concentre ses flèches contre les Dupont-la-joie en général, sans désigner à ses lecteurs les responsables du nationalisme ni ceux qui profitent de cette funeste idéologie… Siné renforce le carractère négatif du stéréotype tandis que Luz joue principalement de la parodie et des références multiples.
Le directeur de Siné Hebdo s'adresse avant tout à l'affect du lecteur en lui proposant une image "bêtement" repoussante du nationalisme, marquant clairement sa désaprobation vis à vis d'une idéologie rétrograde. Il oriente le rire du lecteur contre une abstraction, un stéréotype, une idée. De son côté, Luz cherche la connivence en multipliant les clins d'oeil symboliques. La question de l'identité nationale sert de prétexte à une charge supplémentaire contre Sarkozy, stigmatisé avant tout pour un travers personnel plus que son action politique.
Guillaume Doizy, le 4 novembre 2009