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Romain Ducolombier, Vive les soviets ! – Un siècle d’affiches communistes, Les Echappés, grand format illustré, 144 p., 34 €.


Le communisme (en fait ses impostures stalinienne, maoïste, castriste, etc.), constitue sans nul doute l’idéologie la mieux partagée dans le monde au XXe siècle. Une idéologie qui a marqué des générations de militants au sortir de la première guerre mondiale, et dont se sont réclamés nombre de partis, de dirigeants, et même d’appareils d’Etat. Les tenants du (des) communisme(s) ont produit tout un attirail de représentations visant en général à étriller et dénoncer leurs adversaires, mais promouvant également un certain nombre de valeurs positives. Au travers d’œuvres d’art, d’affiches, d’illustrations, de caricatures, etc., le communisme s’est imposé par l’image, diffusant ses codes, ses stéréotypes, et produisant parfois une rhétorique originale et fascinante.

Vive les soviets s’intéresse à la production d’affiches diffusées par le parti communiste français depuis sa fondation. Une production pléthorique, le PC adoptant une pratique fort répandue dans les mouvements politiques de l’entre deux guerres. Le corpus est considérable, plusieurs milliers d’affiches ayant été conçues et diffusées par les communistes entre sa fondation et aujourd’hui.

La plongée dans cet univers graphique passionnera les amateurs d’images, la sélection d’affiche proposée permettant d’appréhender cette pratique propagandiste dans sa diversité. Romain Colombier retrace par le menu l’histoire du parti communiste français et ses grandes mutations. Il évoque la tradition révolutionnaire à laquelle se sont nourris ses affichistes, le premier d’entre eux dans les années 1920 étant sans conteste Jules Grandjouan, « inventeur » de l’affiche politique illustrée. L’historien présente bien sûr l’évolution des préoccupations du Parti, mais ce livre ne nous convainc pas totalement. En insistant sur l’histoire politique de cette organisation de masse, il nous semble que l’ouvrage a perdu de vue un aspect très important : les différentes étapes qui mènent de la décision de produire une affiche, puis de sa conception graphique à son impression, à sa diffusion, à sa mise en place dans l’espace public, à la manière dont les militants s’en saisissaient dans leur pratique militante, et enfin, à la réception. Romain Ducolombier s’intéresse par ailleurs assez peu à la rhétorique des images, à la circulation des stéréotypes, à la matière visuelle et à ses clefs. Dans son introduction l’auteur laisse d’ailleurs percer ce biais : « notre méthode est donc simple, écrit-il : traquer les graphistes, et illustrer l’histoire de leur organisation de préférence ». L’affiche doit « illustrer » l’histoire, elle ne constitue donc pas le matériau principal, celui-là même dont il faut retracer l’histoire. La nuance est forte.

Quant au fait de « traquer les graphistes », signalons que la plupart d’entre eux ne sont même pas nommés dans le texte, ni parfois d’ailleurs dans les légendes des images. En dehors des Grandjouan, Fougeron, Picasso et le groupe Grapus, peu de dessinateurs ont fait l’objet de recherches et le lecteur reste largement sur sa faim.

L’ouvrage publié par Les Echappés n’est pas une première. Vu l’extraordinaire production graphique du Parti communiste et le peu de recherches sur le sujet, tout le travail ou presque reste à faire. Si le Parti communiste a marqué de son empreinte la vie politique en France, il faut constater qu’il n’a pas réussi à produire une iconographie originale. C’est peut-être là le constat le plus frappant, en parcourant les pages de ce livre. Nourri à la tradition des dessinateurs syndicalistes révolutionnaires d’avant-guerre, le Parti communiste produit des affiches très radicales dans sa période « classe contre classe ». Mais le mouvement reprend très vite à son compte les grands symboles du nationalisme français, lorsque l’Urss demande à un certain nombre de partis communistes dans le monde de s’allier à leur bourgeoisie nationale (le Front populaire en France). A peine dix ans après sa fondation, le PC s’identifie au drapeau tricolore, à la cocarde et à Marianne, cherchant à toucher un public large et donc pas seulement ouvrier : petit paysans, mères de familles, petits bourgeois, etc. La Révolution russe de 1917 a considérablement bouleversé les arts et les mentalités, permettant qu’éclose une iconographie spécifique. Mais très vite, avec la stalinisation, les artistes se sont tournés vers les vieilles recettes et symboles du passé, renouant avec le réalisme et même toute une symbolique religieuse. En France, point de révolution. L’iconographie du Parti communiste qui s’imprègne assez peu de l’art soviétique (contrairement à ce que suggère l'illustration de couverture de Vive les soviets !), n’a jamais réussi à prendre son autonomie par rapport à la tradition « française », au point de se montrer vraiment original en matière d’affiche, épousant largement les modes du temps, à chaque étape de son histoire, cherchant plus à se fondre dans le paysage politique qu’à s’en différencier. Un parti « de gouvernement » et qui aspire à s’intégrer aux institutions « bourgeoises », peut difficilement produire une imagerie originale !

Malgré nos réserves, l’ouvrage, très bien illustré, a toute sa place dans les bonnes bibliothèques (comme on dit).

 

 

Guillaume Doizy, octobre 2012

 

 

Tag(s) : #Comptes-rendus ouvrages
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