Avec leur ton décalé, sarcastique ou carrément méchant, les dessinateurs de presse apportent un autre regard sur l’actualité. Mais comment travaillent-ils ? Qu’est-ce que le dessin permet de dire sur le monde ? Peut-on rire de tout …Invités : Mix&Remix (L’Hebdo), Barrigue (Vigousse), Herrmann (La Tribune de Genève) et Martial Leiter (La Cité)
D’abord la table n’est pas ronde mais carrée, et elle est au bout du regard, en contrebas, sur la scène dressée sous chapiteau, aux pieds de gradins bien remplis. Disposition des lieux et/ou nature extravertie, Barrigue ouvre le bal, et devient le Mr Loyal de la soirée. Stéphane Gobbo de L’’Hebdo se fait bel et bien voler son rôle d’animateur.
Du rapport aux mots et au légendage
Martial Leiter se demande un peu ce qu’il fait là. Le dessin de presse n’est plus son activité principale depuis son départ de la presse nationale française et le jour où il s’est rendu compte que ses dessins étaient compris de travers par « les mal comprenants et les mal voyants ». Des dessins sans légende pour la plupart, trop polysémiques pour les pages d’une presse où ils se doivent d’être compris rapidement et où ils étaient jugés « trop compliqués ». Il revendique une approche artistique du métier, donne l’importance avant tout du dessin, et regrette le « sur-légendage » que les journalistes veulent imposer aux images.
Barrigue lui, se dit lié à une histoire de la presse, donc aux mots, une presse qui l’a déçu, le déçoit encore, au point qu’il a lancé Vigousse en décembre 2009, journal satirique romand comptant désormais 7000 abonnés. Il est bien persuadé, malheureusement - il le redira d’ailleurs à plusieurs reprises dans la soirée - que le dessin ne change rien au fond, qu’il s’agit juste « d’un regard qui amuse, qui détend ».
Herrmann revendique la légende, il se dit « fonctionnaire du dessin de presse, missionnaire du doute et de la remise en question ». Il avoue se méfier de l’effet coup de poing de l’image, et ajoute qu’il est en cela « un peu protestant». Il préfère « tenir » le lecteur, et être compris immédiatement sans ambiguïté par ce dernier. Le mot lui est donc nécessaire.
Mix et Remix assure n’être mû que par le dessin, et se demande même si les journaux ont vraiment « besoin de dessinateurs de presse ». « J’aime dessiner n’importe quoi, et tout ce qui passe ». Il répètera à plusieurs reprises son credo provocateur du : « on s’en fout du lecteur » !
De la liberté d’expression
Barrigue révèle que Vigousse est actuellement en procès avec Oscar Freysinger, parlementaire membre de l’UDC et principal artisan de l’initiative populaire contre la construction des minarets en Suisse. Barrigue n’en pense pas moins que la liberté doit être totale et que le dessinateur « doit cette liberté à ses lecteurs ».
Herrmann, plus consensuel, pense que l’auto-censure va de pair avec la liberté et que les dessinateurs sont « les gardiens de la marge de la liberté ».
Mix et Remix quant à lui s’arrange toujours « pour attaquer les faibles pour éviter les procès »…
De Charlie Hebdo
Beaucoup de tralala pour pas grand-chose de l’avis de Leiter. La provocation en «groupe » au sein d’une rédaction lui semble déjà bien différente de l’initiative isolée d’un dessinateur. Après quelques échanges, il semble clair pour nos amis Suisses la France aurait un contentieux avec ses anciennes colonies…Herrmann remarque que l’intolérance à l’humour vient souvent de ceux qui se sentent fragilisés.
Des sujets tabous
Mix et Remix propose : « les nazis pédophiles » ? Pour Herrmann les religions sont un sujet difficile à aborder. Le malheur pareillement, car l’humour exclut l’autre. Difficile de rire du deuil, de la maladie, des croyances autour de la mort. Les enfants semblent aussi un sujet risqué : un de ses récents dessins paru dans La Tribunede Genève, représentant Sarkozy « inaugurant » son bébé en coupant le cordon ombilical, a suscité des retours indignés de plusieurs lecteurs.
Des blogs et de l’Internet
Mix et Remix souligne que si la diffusion y est plus facile, la publication sur papier permet quand même d’être moins noyé dans la masse d’informations du web.
Herrmann avoue qu’il lit sur les sites des journaux en ligne les commentaires de l’actualité des lecteurs pour éviter de reprendre un gag déjà évoqué par un lecteur. Parfois il feinte ; par exemple il a décidé de ne faire aucune allusion sexuelle sur l’affaire DSK (ce qui - de l’avis de ses petits camarades- a du être très difficile…).
Mix et Remix est proprement halluciné par cette pratique lui qui revendique de ne pas se soucier de ses lecteurs. Il ajoute provocateur qu’on devrait interdire la liberté d’expression aux lecteurs sur Internet, réflexion prise au premier degré par un spectateur et qui donnera lieu à un dialogue de sourds de plusieurs minutes.
De la politique suisse
Mix et Remix ne traite quasiment jamais de ce sujet, et préfère aborder des sujets plus généraux.
Barrigue ne se donne pas de limites sur le sujet.
Leiter se méfie de la complicité des dessinateurs et des politiques, le dessin de presse risquant parfois de « servir la soupe », et de jouer le rôle de « brosse à curling ».
Du dessin de presse suisse
A la question de la spécificité du dessin de presse en Suisse, seul Herrmann répond que la politique suisse étant moins personnalisée qu’ailleurs, les dessinateurs traitent plus des problématiques que des personnes, et qu’il s’agit d’ailleurs de la même approche en Suisse romande et alémanique.
La fin de la table ronde s’achève sur un chapelet de digressions autour du 11 septembre et du « quand peut on rire de tout ? », de la liberté d’expression des lecteurs, des mauvais dessinateurs que le dessin de presse semble attirer bien plus que la BD, et de la nature d’un bon dessin de presse. Pour Herrmann c’est définitivement « un dessin qui plaît à mon ami Chappatte et à ma concierge ».
La rencontre se clôt par un crochet à la table dressée par Payot où Barrigue pour L’UDC en 7 leçons (ed.Vigousse), Mix et Remix pour Gags (ed. les cahiers dessinés) et ses anthologies de dessins parus dans L’Hebdo, ainsi que Martial Leiter pour ses derniers ouvrages parmi lesquels Guerres (ed Humus), griffent des dessins-dédicaces au fil du feutre à leurs fidèles lecteurs.
Catherine Charpin, le 18 novembre 2011