Voilà un film qui vous accompagnera sans doute longtemps, plongée émouvante dans l’univers graphique et engagé du dessinateur de presse et cinéaste Aurel (Politis, Le Monde, Le Canard Enchaîné et diverses bandes dessinées). Josep peut se classer dans la famille des films d’animation, mais un film rare, évidemment loin des grosses productions rythmées et divertissantes habituellement diffusées en salle. Josep, c’est un hommage au dessin, un hommage d’un dessinateur à un autre dessinateur, l’hommage d’un homme aux combattants antifranquistes pendant la guerre civile espagnole, l’hommage d’un homme qui, au travers de cette histoire ancienne, nous renvoie à une question bien contemporaine : comment accueillons-nous ceux qui fuient l’horreur et la misère lointaines ?
Républicain espagnol, le dessinateur Josep Bartoli fuit son pays suite à la victoire de Franco. Mais de l’autre côté des Pyrénées, la République qui l’attend n’est pas celle espérée : la France construit en effet rapidement des camps de concentration pour y emprisonner plusieurs centaines de milliers d’exilés dans des conditions effroyables. Faim, manque d’hygiène, brutalités policières… Dans cet océan de misères humaines et morales, la flamme de l’humanité faiblit mais ne s’éteint pas tout à fait. Parmi les garde-chiourmes des camps, Aurel campe un gendarme français, Serge, qui garde la tête hors de l’eau, heurté par le racisme et la brutalité de ses collègues envers les tirailleurs « sénégalais » et bien sûr les réfugié.e.s. C’est l’amitié qui naît entre les deux hommes dans ce contexte de grande violence qu’Aurel nous livre avec tendresse, révolte et émotion.
Serge est devenu un demi-siècle plus tard un grand-père fatigué, auquel son petit-fils rend visite, un ado doué pour le dessin, auquel Serge raconte sa rencontre avec Josep, la vie terrible des camps, l’évasion du Républicain et son départ pour le Mexique. L’adolescent – Aurel lui-même sans aucun doute -, accueille le récit du vieil homme, qu’il couchera plus tard sur le papier. Dans cette histoire touchante, trois regards s’entrecroisent au rythme d’incessants va-et-vient entre l’époque contemporaine et ce milieu de XXe siècle ravagé par le fascisme, le nazisme et la guerre. Le regard de Josep bien sûr, celui du policier Serge jeune puis devenu vieillard, et enfin celui du petit-fils qui, en ce début de XXIe siècle, se passionne pour l’histoire de ce dessinateur engagé, dont il racontera à son tour la vie tourmentée dans un film... Trois regards, et différentes manières de dessiner : la couleur et le mouvement souvent à peine esquissé pour la narration, le noir et blanc pour montrer le travail de l’infatigable Josep qui, malgré les circonstances, malgré la violence, malgré la disparition de ses proches et malgré la défaite, trouve la force de dessiner. Car ce film magnifique nous propulse dans ces deux univers graphiques qui se frôlent sans se fondre, pour mieux nous émouvoir. Aurel travaille plusieurs fonction du dessin. Le dessin comme témoignage, le dessin satirique qui dénonce et condamne, le dessin narratif au service d'un récit, mais également le dessin poétique ou au contraire plus expressionniste. Toute une palette visuelle qui nous entraîne dans un tourbillon d'émotions.
Josep Bartoli, le dessinateur et artiste qu’évoque ce film, est né en 1910. Dessinateur de presse, il sera commissaire politique du Poum (marxiste) pendant la révolution espagnole - Aurel évoque les tiraillements qui traversent le camp « républicain »-, et parviendra à fuir l’Europe pour le Mexique en 1943. Dessinateur, illustrateur, artiste, il se lie amoureusement avec la peintre Frida Kahlo (ex amante de Trotsky, également évoqué dans le film), avant de se rapprocher de divers artistes américains. Il meurt en 1995 à New-York.
Le film d’Aurel (Sélection officielle du Festival de Cannes et prix Delluc 2020, César 2021 du meilleur film d'animation), est un formidable voyage à travers l’image, la création et la conscience humaine.
Guillaume Doizy