Nous publions en quelques « épisodes », cette étude préparatoire à la conférence donnée par Guillaume Doizy en décembre 2022 au Petit Palais, dans le cadre de l’exposition Devambez.
La presse illustrée connaît un formidable développement au 19e siècle, et se subdivise en deux grandes familles : la presse illustrée « sérieuse », c'est-à-dire d’information, et la presse illustrée satirique. Dans la première catégorie, le journal L’illustration s’est imposé le plus durablement, à savoir pendant un siècle, de 1843 à 1944. Il s’agit d’un véritable monument, ayant publié des centaines de milliers d’articles et d’images. Au demeurant, fort peu d’études ont été réalisées sur cet hebdomadaire, néanmoins systématiquement cité dans les ouvrages ou les articles sur la presse. Étudier le travail d’André Devambez (1867-1944) dans cette revue, et par comparaison s’intéresser aux enjeux de la ligne éditoriale portée par L’Illustration, peut paraître paradoxal. Prix de Rome en 1896, Devambez, illustrateur, peintre et imprimeur, donne en effet une contribution fort réduite à la revue, contrairement à ce que suggère un article récent, à savoir quelques dizaines de dessins seulement en une trentaine d’années. Comparativement aux productions de Sabattier ou Scott qui sont les piliers de L’Illustration à la Belle Époque et pendant la Grande Guerre, avec des centaines de dessins par an, la contribution de Devambez relève de l’anecdote.
Et si L’Illustration publie à partir de 1899 des dessins de Devambez illustrant des contes, dès 1904, le peintre, avec sa manière si spécifique et ses cadrages en plongée, est invité à mettre en image l’actualité. Une pratique journalistique étonnante, qui interroge sur la stratégie éditoriale du journal et plus généralement sur la « fabrique » de l’information dans un grand hebdomadaire illustré. Pourquoi L’Illustration recourt-elle au travail de Devambez de manière aussi anecdotique qu’emblématique ? Pourquoi si peu ? Qu’est-ce que cette contribution nous révèle du rapport du journal à la mise en image de l’actualité et à la vérité historique ?
L’Illustration, entre héritage et modernité
On doit L’Illustration, fondée en 1843, à Édouard Charton, un Saint-Simonien, républicain donc, à qui on prête cette phrase sans jamais citer de source : la presse illustrée aurait pour vocation de « parler aux yeux plus souvent qu’à l’esprit ». L’idée n’est à l’époque pas tout à fait nouvelle. Dès 1758 dans De l’esprit, Helvetius questionnait le rapport entre les sens et l’esprit. Pour le philosophe, « fi toutes nos idées font en effet de nos fenfations, c'eft donc par les fens qu'il faut tranfmettre nos idées aux autres hommes ; il faut donc, comme j'ai dit dans le Chapitre de l'Imagination, parler aux yeux pour fe faire entendre à l'efprit ». L’image est donc conçue comme un médiateur du savoir, ce qui n’empêche par Charton, en 1833 dans le Magasin pittoresque, de se faire moins ambitieux, et d’expliquer vouloir d’abord « intéresser et distraire (…) en appelant tour à tour nos artistes à dire ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est utile, sans mélange d'exagération ou d'imagination mensongères ».
Ce rapport entre vérité, esthétique et imaginaire, pose une problématique fondamentale pour la fabrique de l’information : comment présenter et relater des événements ou des faits par les mots ou par les signes visuels sans trahir le réel, tout en rendant cette matière agréable au point de susciter l’acte d’achat ? La présence de Devambez à L’Illustration soumet frontalement l’historien à cette question.
Le journal illustré
Pour fonder d’abord le Magasin pittoresque qui se veut une encyclopédie périodique illustrée populaire axée sur les connaissances utiles, puis pour lancer L’Illustration, qui va incarner une nouvelle génération d’illustrés centrés principalement sur l’actualité, Charton s’est inspiré de publications anglaises, le Penny Magazine et L’Illustrated London News. Si L’Illustration est pionnière en France, elle va connaître de nombreux concurrents dès la fin des années 1850, avant qu’une nouvelle génération d’illustrés propose des formules moins onéreuses et donc plus populaires, optant pour une pagination moindre, mais parfois en introduisant l’usage systématique de la couleur, comme c’est le cas du Supplément illustré du Petit journal par exemple. Pour le lecteur de la fin du 19e siècle, la presse illustrée propose une offre innombrable, des centaines de titres étant accessibles dans les kiosques, avec une spécialisation thématique des revues et une diversification des cibles visées.
Lorsque Devambez fournit ses premières œuvres à L’Illustration, le journal illustré traditionnel connaît un profond renouvellement, avec la généralisation des usages de la photographie dans la presse périodique3. De nouvelles revues voient le jour, qui recourent uniquement à ce médium déjà ancien, mais que l’on peinait jusque-là à reproduire sur du papier journal avec un résultat satisfaisant. Ces journaux « photos », comme La Vie illustrée ou encore La Vie au grand air - ce dernier magazine s’intéressant principalement au sport -, proposent deux fois plus d’images que leur illustre devancière, et parfois des mises en pages nettement plus dynamiques. A partir de 1904, les dirigeants de L’Illustration, férus d’innovation en matière de reproduction des images et conscients du risque posé par la concurrence, s’approprient la photographie, non plus seulement comme source visuelle à partir de laquelle les illustrateurs exercent leur talent, mais comme images documentaires soumises sans intermédiaire ni retouches (reproduction mécanique) au regard du lecteur.
Pour les illustrateurs, ce renouveau constitue une vraie concurrence, même si, tout au long de la Belle Époque et plus encore pendant la Grande Guerre, la photographie ne parvient pas à détrôner l’illustration dessinée, comme on le verra plus loin.
Guillaume Doizy
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André Devambez à "L'Illustration", l'actualité, au risque de l'imaginaire (PARTIE 2)
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