Un hebdo est saisi par la justice espagnole pour une caricature du prince Felipe.
Par JEAN-HÉBERT ARMENGAUD
Libération du mercredi 25 juillet 2007
Voilà plus de vingt ans que l’Espagne n’avait pas connu de cas de censure politique de presse. Le sujet est plus que sensible dans ce pays dont la transition démocratique, après la dictature franquiste, remonte à la fin des années 70. La police a investi vendredi la plupart des kiosques du pays pour saisir le principal hebdomadaire satirique du pays, El Jueves ( le Jeudi, 70 000 exemplaires). Le dessinateur et le scénariste visés devront comparaître devant le juge d’instruction dans les jours qui viennent. Ils sont passibles, à terme, d’un maximum de deux ans de prison pour «injure» à un membre de la famille royale.
«Prestige». Dans son édition de la semaine dernière, El Jueves titrait en Une sur la récente mesure nataliste adoptée par le gouvernement socialiste, qui accorde 2 500 euros pour tout nouveau-né pour les Espagnols ou les immigrés en situation régulière. Sous le titre, un dessin qui met en scène le prince héritier Felipe qui s’affaire au bord d’un lit sur sa jeune épouse Letizia dans «une position clairement dénigrante et objectivement infamante», selon la plainte déposée par le Parquet général de l’Etat. Le prince s’adresse à la princesse en allusion aux 2 500 euros : «Tu te rends compte ? Si tu tombes enceinte. Ce sera la première fois que j’aurais bossé de ma vie !» «Le dialogue attribué à leurs Altesses, continue la plainte, porte un grave discrédit au prestige de la couronne.»
Outre un dessin un rien graveleux que certains en Espagne jugent de «mauvais goût», la Une visait, selon la direction de la revue, à se moquer de «la décision électoraliste du gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero.»
Elle rejoint aussi de nombreuses critiques qui, bien que minoritaires, existent bel et bien dans le royaume sur l’intérêt de maintenir, à terme, un système monarchique. Jusqu’à présent, le roi, Juan Carlos, a été épargné par cette critique, notamment parce qu’il fut lui-même l’un des acteurs engagés de la transition démocratique. Il n’en est pas de même pour son fils Felipe : «A quoi sert-il ?» se demande le dessin. Selon Eduardo Virgala, professeur de droit constitutionnel de l’université du Pays-Basque, les princes héritiers, «comme tout autre titulaire d’une fonction publique, doivent être soumis à la critique».
Quoi qu’il en soit, les principaux experts du pays, comme la presse, estiment que la mesure exceptionnelle de saisie est «disproportionnée». Et surtout totalement contre-productive. On retrouve le dessin partout sur le Web - même si le site de El Jueves a aussi été fermé, samedi. Sur Internet également, des exemplaires de la revue ont été mis aux enchères pour dix à cent fois leur prix.
Gouvernement gêné. Selon le dessinateur de l’objet du délit, «Guillermo», la saisie est d’une «maladresse extrême: le dessin va désormais apparaître un peu partout.» Comme d’habitude dans les affaires politiques, la Maison royale n’a fait aucun commentaire. Le quotidien El Pais affirme qu’elle n’a rien à voir avec l’action judiciaire. Apparemment gêné, le gouvernement indique aussi que le parquet a agi «en totale indépendance», tout en signalant que la mesure de saisie d’une publication était «ancrée dans le passé» et d’une origine «discutable».
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Voilà plus de vingt ans que l’Espagne n’avait pas connu de cas de censure politique de presse. Le sujet est plus que sensible dans ce pays dont la transition démocratique, après la dictature franquiste, remonte à la fin des années 70. La police a investi vendredi la plupart des kiosques du pays pour saisir le principal hebdomadaire satirique du pays, El Jueves ( le Jeudi, 70 000 exemplaires). Le dessinateur et le scénariste visés devront comparaître devant le juge d’instruction dans les jours qui viennent. Ils sont passibles, à terme, d’un maximum de deux ans de prison pour «injure» à un membre de la famille royale.
«Prestige». Dans son édition de la semaine dernière, El Jueves titrait en Une sur la récente mesure nataliste adoptée par le gouvernement socialiste, qui accorde 2 500 euros pour tout nouveau-né pour les Espagnols ou les immigrés en situation régulière. Sous le titre, un dessin qui met en scène le prince héritier Felipe qui s’affaire au bord d’un lit sur sa jeune épouse Letizia dans «une position clairement dénigrante et objectivement infamante», selon la plainte déposée par le Parquet général de l’Etat. Le prince s’adresse à la princesse en allusion aux 2 500 euros : «Tu te rends compte ? Si tu tombes enceinte. Ce sera la première fois que j’aurais bossé de ma vie !» «Le dialogue attribué à leurs Altesses, continue la plainte, porte un grave discrédit au prestige de la couronne.»
Outre un dessin un rien graveleux que certains en Espagne jugent de «mauvais goût», la Une visait, selon la direction de la revue, à se moquer de «la décision électoraliste du gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero.»
Elle rejoint aussi de nombreuses critiques qui, bien que minoritaires, existent bel et bien dans le royaume sur l’intérêt de maintenir, à terme, un système monarchique. Jusqu’à présent, le roi, Juan Carlos, a été épargné par cette critique, notamment parce qu’il fut lui-même l’un des acteurs engagés de la transition démocratique. Il n’en est pas de même pour son fils Felipe : «A quoi sert-il ?» se demande le dessin. Selon Eduardo Virgala, professeur de droit constitutionnel de l’université du Pays-Basque, les princes héritiers, «comme tout autre titulaire d’une fonction publique, doivent être soumis à la critique».
Quoi qu’il en soit, les principaux experts du pays, comme la presse, estiment que la mesure exceptionnelle de saisie est «disproportionnée». Et surtout totalement contre-productive. On retrouve le dessin partout sur le Web - même si le site de El Jueves a aussi été fermé, samedi. Sur Internet également, des exemplaires de la revue ont été mis aux enchères pour dix à cent fois leur prix.
Gouvernement gêné. Selon le dessinateur de l’objet du délit, «Guillermo», la saisie est d’une «maladresse extrême: le dessin va désormais apparaître un peu partout.» Comme d’habitude dans les affaires politiques, la Maison royale n’a fait aucun commentaire. Le quotidien El Pais affirme qu’elle n’a rien à voir avec l’action judiciaire. Apparemment gêné, le gouvernement indique aussi que le parquet a agi «en totale indépendance», tout en signalant que la mesure de saisie d’une publication était «ancrée dans le passé» et d’une origine «discutable».
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