Dessin de Cabu, Charlie Hebdo du 25 mars 2009
Image anonyme, Siné Hebdo du 25 mars 2009
Le « match » du jour impose deux problématiques : l’évolution du sens d’une caricature dans le cadre d’une actualité qui parfois la contredit ou au contraire l’éclaire d’un jour nouveau d’une part, et de l’autre, la question des techniques de représentations au service du message caricatural.
En « une » de nos deux hebdos satiriques, deux actualités fortes du moment. Les déclarations du pape sur le préservatif pour Siné Hebdo, la question des parachutes dorés des grands patrons en cette période de crise chez Charlie. Le premier sujet date de la semaine dernière, lorsque le pape s’envole pour l’Afrique. Ses déclarations arrivent trop tard dans les rédactions pour être commentées par des journaux hebdomadaires paraissant le mercredi. Mais le scandale en Occident couve et les réactions, très nombreuses, invitent, une semaine après, Siné Hebdo à commenter l’événement au point d’en faire sa « une ».
Pour l’occasion, le journal choisit un portrait photographique en couleur du pape Benoît XVI sans modification d’importance, auquel est seulement adjoint un titre en forme de condamnation lapidaire « Sans préservatif, ça donne ça ! ».
Pour les amateurs de dessin de presse et de caricature, l’image photographique comporte une expressivité tout à fait réduite. La photographie couleur, bien plus neutre pour l’occasion qu’une charge dessinée, figurant le pape de trois quart droit en gros plan sur un fond en dégradé, renvoie le lecteur à des publications traditionnelles sinon même de tendance catholique. Une telle photographie trouverait certainement sa place en couverture du Pèlerin ou de La Croix, voire du Monde ou de Libération avec un titre choc. Certes, la photo peut trouver sa place dans le discours satirique, mais alors avec la technique dite du photomontage qui naît non pas dans l’entre-deux-guerres avec John Heartfield et Marinus par exemple, mais dès 1900 avec la carte postale, pour prendre une place importante plus tard dans le premier Charlie-Hebdo sous la forme de romans feuilletons satiriques cette fois. Certes certains artistes comme Mougey ou Laurent Blachier recourent à ce médium, mais ils le modifient (coupage-collage, jeux de changement d’échelle) profondément pour charger leurs cibles de manière drolatique. En règle générale, lorsque la caricature utilise la photographie, c’est pour bénéficier de l’effet de réel qu’elle impose, tandis que les modifications de l’image permettent une expressivité qui, sans ce réalisme, perdrait de son pouvoir de conviction.
La « une » de Siné Hebdo, traditionnellement dessinée par Siné lui-même, tranche résolument avec ce choix plastique assez « neutre ». Remarquons tout de même l’expression du visage papal, que la revue n’a pas sélectionnée au hasard puisqu’il arbore un regard presque haineux, en tous cas très noir et biaisé, quasiment fourbe. L’art de la satire tient surtout ici, comme on l’a dit, dans la légende calligraphiée. Cette image joue sur une ambiguïté. « Sans capote, ça donne ça ! », c'est-à-dire, ce pape. Sous entendu, si les géniteurs de Benoît XVI avaient eu recours au préservatif, on n’aurait pas eu à subir la bêtise de cet homme. Et contrairement à ce que profère Benoît XVI, le préservatif protège de la maladie, du sida, des mst. Le « ça ! » désigne donc de manière péjorative en l’objectivant non seulement le pape en tant qu’homme né d’une union non protégée, mais également le virus lui-même. Siné Hebdo renverse donc la proposition. La capote ne protège pas seulement du sida, elle protège de la connerie réactionnaire, des inepties véhiculées par bien des religieux intégristes officiels ou non.
Par ce choix de la photographie, Siné contourne sa difficulté à représenter de manière fort reconnaissable ses cibles. Mais il s’interdit par ailleurs d’avoir recours à une image choc fondée sur le paradoxe permis par la condensation, comme le dessin de Sergio en p. 3, qui remplace la tête de Jésus sur une croix plantée dans la carte de l’Afrique sanguinolente, par le symbole du virus du Sida. Si la « une » de Siné Hebdo, en ne recourrant pas aux armes traditionnelles de la caricature semble visuellement assez fade, elle n’en demeure pas moins étonnante justement parce qu’elle tranche avec le dessin habituel. De quoi surprendre le lecteur.
De ce point de vue, le dessin de Cabu semble plus attendu. La lecture que l’on peut en faire semble varier au fil des déclarations du personnage principal de l’image comme on va le voir. Un dessin satirique, très contextualisé, peut changer de sens après sa publication en fonction des événements. Prenons un exemple :
Le 23 juillet 1967, Jean Effel signe dans France-Soir un dessin intitulé « L’arrivée au Canada », représentant de Gaulle face à un douanier lui demandant s’il n’a « rien à déclarer ». Le président français lui répond gentiment : « vous me connaissez mal ». Le lendemain, avec son célèbre « Vive le Québec libre », de Gaulle marque l’histoire du continent et permet au Québec d’acquérir une notoriété qu’il n’avait pas jusque-là.
Certains dessins prennent un relief particulier après coup, l’actualité, voire l’Histoire, semblant leur donner raison. D’autres, au contraire, voient leur lecture perturbée par telle ou telle déclaration qui en brouille le message. C’est le cas, d’après nous, du dessin que Cabu signe cette semaine en « une » de Charlie.
Le dessinateur imagine une manif de patron avec sa seule représentante, Laurence Parisot (transformée de jolie femme en mégère vieille et acariâtre), brandissant une pancarte pour défendre le droit qu’ont les chefs d’entreprise de toucher des parachutes dorés ou autres friandises sous forme de stock-options, droit contesté par une partie de la droite et même, au moins pour l’instant dans les mots, par Sarkozy lui-même qui menace de légiférer sur la question.
Cabu présente le cortège patronal comme particulièrement étique, avec une seule manifestante, clin d’œil en forme de puissant paradoxe avec la manif du 19 mars qui aura réuni entre un et trois millions de gens en colère contre la politique de Sarkozy, les licenciements, la baisse du pouvoir d’achat, etc.
D’un côté une foule immense, que le dessin ne montre pas mais que le lecteur ne peut qu’avoir à l’esprit, de l’autre, cette femme enlaidie affublée de perles dorées, qui laisse derrière elle des tracts aux slogans absurdes, tandis qu’en arrière plan, une armée de balayeuses vertes traditionnelles de la Mairie de Paris, permet de qualifier la nature de l’événement.
Ainsi, la présidente du Medef est-elle présentée, comme de juste, comme défendant les privilèges des grands patrons, mais les défendant de manière isolée. Le dessin a probablement été terminé le lundi, tandis que mardi 24 mars, Laurence Parisot s’est exprimée de manière très dure à l’encontre du PDG de Valéo Morin, gratifié de plusieurs millions d’euros de parachute doré pour son départ, malgré le super « plan social » (aides publiques) dont bénéficie la boîte de la part de l’Etat, et malgré les licenciements que le dit PDG impose à une partie des salariés. « Je veux dire aux Français que le Medef ne se reconnaît pas dans le comportement d’un dirigeant qui piétine ainsi l’intérêt général de son entreprise » a déclaré la grande dame du Medef. Certes, Parisot ne remet pas en cause les licenciements. Rassurez-vous, elle ne rejette pas soudain les lois du capitalisme qui pousse au crime par sa course permanente au profit.
Ces déclarations en apparence radicales, assez inattendues dans la bouche de la patronne des patrons, semblent contredire le dessin de Cabu très ironique.
Fort heureusement, le vernis gauchiste de Laurence Parisot, qui vise en fait certainement à échapper à une loi de circonstance qui limiterait un tant soit peu les rémunérations des patrons de haut vol ( !), a rapidement sauté. Le mercredi, Charlie Hebdo semble plus en phase avec l’actualité puisque la présidente du Medef n’a pas de mots assez durs cette fois contre tous ceux qui cherchent à présenter les grands patrons comme de possibles boucs émissaires de la crise, tendance qu’elle alimentait pourtant la veille, allez comprendre !
Peut-être aurait-il fallu recourir au personnage de Janus, parfois utilisé par les dessinateurs, pour caractériser Laurence Parisot, mais également Sarkozy et ses amis de droite, qui en ce moment marchent sur des œufs face à une population qui subit les effets de la crise en constatant avec amertume combien les dirigeants se remplissent les poches tout en annonçant de confortables bénéfices couplés à des licenciements, ou en empochant les milliards d’aide publique.
Le dessinateur, en produisant sa caricature doit en permanence se poser la question de sa réception, de la manière dont il sera compris ou non. Il doit s’interroger sur les possibles rebondissements d’un scandale, d’une affaire ou de l’actualité pour ne pas se trouver contredit par les faits et devenir, à son tour, la risée du public.
Guillaume Doizy, le 26 mars 2009