Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 9 septembre 2009
Dessin de Siné, Siné Hebdo du 9 septembre 2009
Pour le premier anniversaire de Siné Hebdo, dans ce que l’on pourrait qualifier de petite guerre médiatique, Charlie a choisi de faire un « coup » en changeant de peau. Charb, nouveau directeur, annonce même la naissance d’un « Charlie 3 » pour l’occasion. Ceux qui espéraient la révolution seront peut-être un peu déçus, et devront se contenter d’une réforme. Pour autant, même si Charlie reste Charlie, même si le rapport texte/image en terme de surface n’est pas vraiment modifié, même si l’équipe de dessinateurs n’a pas été renouvelée (on nous annonce par contre de nouveaux journalistes « enquêteurs », version au Canard ?), la maquette a notablement changé. Nouvelles typographies et titres bicolores, organisation par thèmes de dessins organisés en bandeaux verticaux, ajout d’une couleur à certaines productions graphiques qui auraient auparavant été laissées en noir et blanc, et mise en valeur, grâce à une colorisation plus élaborée, d’une caricature dans les « couvertures auxquelles vous avez échappé », organisées, elles, dans une structure toujours orthogonale mais formée d’une grille également colorée et non plus noire.
La nouvelle maquette, plus attrayante, parie sur la couleur à deux niveaux : le couple rouge/noir des titres positionne le journal dans un univers symbolique évoquant un peu plus de radicalité que son ancien directeur l’aurait sans doute souhaité ; a l’opposé des jeux de nuances colorées et de camaïeux de couleurs tertiaires donnent à la mise en page un certain raffinement totalement impensable dans la presse militante traditionnelle. L’organisation des dessins « autonomes » par groupes thématiques, déjà expérimentée dans les numéros précédents mais manifestement systématisée ici, vise l’effet « jeu de massacre » contre un individu ou sur un sujet. Cette disposition donne au lecteur le loisir d’apprécier l’originalité des angles d’attaques choisis par tel ou tel dessinateur, et permet de goûter la diversité des procédés satiriques.
Quant à la couverture, qui nous intéresse ici particulièrement, trois changements notables : la disparition de la vignette indiquant le prix entre Charlie et Hebdo, des accroches sous le titre du journal et enfin un gros liseré noir enserrant le dessin dans un cadre puissant, liseré peut-être un peu contradictoire avec la (presque) disparition des césures noires à l’intérieur du journal. A contrario, le fond blanc sur lequel s’imprime le titre et le dessin n’a pas été modifié, ni la couleur du nom de ce 899e numéro. Toujours aussi noir.
Siné Hebdo de son côté innove avec une couverture tout à fait différente et très sobre : la forte tonalité blanche, l’absence d’aplat de couleur comme « fond » du dessin, le choix de ne pas multiplier les accroches annonçant le contenu du journal, la disparition du cadre rectangulaire dont on a vu qu'il se trouve renforcé chez Charlie, rappellent une époque où la couleur se faisait plus discrète dans le dessin de presse.
Charlie, comme Siné, s’en prennent une nouvelle fois à l’ami Sarkozy. Charlie mêle taxe carbone et suractivité présidentielle, quand Siné nous amuse avec un entartage festif du président de la République qui n’en serait pas à sa première dégustation de pâtisseries crémeuses.
Pour la nouvelle formule de Charlie, le dessin sélectionné pour la « une » ne tranche pas nettement avec les précédents, et laisse une légère impression de déjà vu. Non seulement du point de vue graphique, mais également pour l’angle d’attaque choisi : après le bling-bling et le complexe de taille, l’omniprésidence représente un des défauts du maître de l’Elysée le plus facilement souligné. Après le contrôle positif de Richard Gasquet à la cocaïne, Luz avait déjà représenté Sarkozy en tennisman hyperactif au bord de la démence.
L’originalité du dessin tient cette fois à la multiplication des jets de fumée et à l’inscription du titre en forme de slogan dans un cartouche en forme de nuage, cartouche lié au dessin même.
La question de l’environnement constitue depuis longtemps un sujet de préoccupation majeure des opinions, mais également de l’Etat qui utilise souvent cet argument de vente pour faire supporter à la population de nouvelles augmentations ou autres taxes. Sarkozy et ses amis, qui se disent préoccupés de questions environnementales, ont imaginé cette taxe carbone, censée ne rien coûter à personne, mais que devra subir plus que les autres, la population qui n’a pas le choix dans ses modes de transport et de chauffage.
Luz ne s’intéresse pas à ces aspects de la question et produit avant tout une caricature du sieur Sarkozy, retournant contre lui cet impôt supplémentaire. Le président de la République, présenté de face et muni d’une grosse tête, semble sur le point d’exploser, le corps gonflé à bloc, la tension s’échappant par tous les bouts. Tous les bouts ou presque, d’ailleurs, puisque Luz, étonnamment, ne joue pas de l’humour scatologique traditionnel de la caricature et se refuse à faire d’un de ces jets de fumée un pet impudique et dégradant.
Comme à son habitude, l’auteur de Robokozy charge sa cible au niveau de la bouche, élément du visage très étiré, avec une dentition fort visible. A la place des pupilles d’yeux surdimensionnés, le dessinateur insère des spirales étirées verticalement, figurant l’hystérie.
La disposition des projections de vapeurs, formant un rayonnement concentrique, ainsi que la posture « écartelée » du personnage (ne pas confondre avec Jésus), l’exagération caricaturale de l’expression du visage et la disposition du texte en arc de cercle, donnent un grand dynamisme au portrait-charge, et traduit l’implosion imminente du frénétique homme de droite.
Le jeu des couleurs laisse perplexe : le bleu de l’arrière plan rappelle sans doute le ciel, mais les fumées blanches évoquent-elles vraiment l’idée de pollution (d’autant qu’enfumer signifie « noircir ») ?
En outre, le contraste entre la chemise et l’arrière plan semble trop faible pour que l’on puisse vraiment distinguer le gonflement du corps de Sarkozy, dont on ne perçoit finalement, dans une lecture rapide, que les jambes, la tête et les deux poings. De ce point de vue, Sarkozy se réduit à un gnome difficilement déchiffrable.
Le lecteur peut s’interroger sur la nature de ce personnage en apesanteur dans ce que nous interprétons comme le ciel. S’agit-il d’un ballon gonflable en pleine ascension ? D’un cerf-volant en plein vol ? Aucun autre élément de décor ne nous permet de situer la scène et donc de caractériser la bestiole qui nous fait face, ni son activité précise.
Autre élément troublant, l’expression un peu obscure et rare « il nous enfume », à comprendre sans doute comme « il nous pollue », au sens figuré bien sûr.
Contrairement au dessin de Charb qui mettait la semaine dernière en scène une situation, Luz traduit ici un état, la folie intérieure du locataire de l’Elysée, condensant de manière comique une actualité forte, mais sans du tout évoquer les enjeux réels qui accompagnent l’instauration de cette taxe carbonne.
Siné, de son côté, choisit de mettre en scène une action. Pour fêter sa première année, Siné Hebdo produit une couverture assez originale dans sa forme.
Comme nous l’avons signalé, la « une » de Siné se montre économe en couleur. Le blanc du papier, probable référence à la couleur de la crème fouettée, forme l’élément dominant de la page, même si, par contraste, la typographie en noir et en rouge, mais également le trait du dessin polarisent le regard.
Voilà un couverture qui tranche par sa sobriété et qui met en valeur le graphisme irrégulier et chaleureux de Siné, dans un dessin à triple détente.
Le lecteur décrypte d’abord la scène d’entartrage, et fait évidemment le lien avec l’anniversaire ainsi fêté. Mais le gâteau, inséparable de cette ritualisation de notre vieillissement biologique, prend ici une dimension politique. Certes, le journal fête son 53e numéro avec allégresse, la survie de ce jeune hebdomadaire satirique, tout à fait exceptionnelle, semblant dès le départ compromise pour deux raisons : la crise de la presse actuelle rendait improbable la constitution rapide d’un lectorat fidèle ; la mauvaise qualité des textes des premiers numéros accentuait cette première difficulté.
On doit sans doute le succès de Siné Hebdo à Philippe Val lui-même, qui s’était rendu détestable aux yeux d’un certain public par ses positions de plus en plus droitières et peu conformes à l’esprit attendu d’un journal satirique. L’exclusion de Siné des colonnes de Charlie Hebdo il y a un peu plus d’un an a été vécue comme un abus de pouvoir d’autant plus choquant qu’il s’agissait de protéger, sous couvert d’antisémitisme, un rejeton du président de la République.
Siné Hebdo, qui à ses débuts n’hésitait pas à faire référence à l’anarchisme, revendique un positionnement dans la gauche radicale et antisarkozyste qu’avait probablement déserté Charlie. Le journal de Siné dénonce « l’exploitation », en appelle à la « lutte de classe », rejette la répression policière, s’intéresse aux luttes sociales et aux sans-papiers. Le gâteau recouvert de crème, qu’un édile se prend en pleine poire, symbolise bien évidemment ces combats.
Dans ce dessin sans cadre, Siné représente à gauche (le sens de lecture fait bien les choses) un personnage masculin en bras de chemise, fort souriant, projetant un gâteau à la crème contre un autre personnage (à droite donc), habillé d’une queue de pie et d’un pantalon sombre et tombant à la renverse. Les deux hommes s’opposent en tout point, notamment sous le régime des couleurs, la blancheur de l’un répondant à la noirceur de l’autre, dans une symbolique de tradition très… chrétienne.
L’identité de l’entarté se repère dans un second temps, à son écharpe tricolore et la hauteur de ses talonnettes. Nous évoquions une triple détente : le lecteur ne manquera pas de remarquer la dissymétrie du dessin en bas de page : d’un côté l’entarteur repose sur la terre ferme, quand sa victime… sombre dans le vide.
Comme Charb la semaine dernière qui ne figurait pas le visage de Bayrou tout en évoquant sa personne au travers d’un détail physique (les oreilles), Siné convoque un élément du costume présidentiel récurrent sous sa plume, et qui permet, ici, une identification efficace.
Ce dessin de Siné Hebdo oscille entre le vœu pieu et la prétention immodérée. Vœu ce voir Sarkozy prendre dans la figure ce qu’il envoie depuis des mois, voire des années, dans les gencives de la populations, prétention de considérer Siné Hebdo comme un maillon important des difficultés futures du président de la République.
Comme nous l’avons signalé à maintes reprises, la caricature oscille entre les plus virulentes critiques et les fictions les plus folles : elle dénonce des faits, des déclarations, ou bien met en scène les espérances portées par un groupe social. De ce point de vue, le dessin de presse procure à son lecteur une jouissance cathartique, qui le pousse parfois à l’action, ou au contraire, lui donne le sentiment d’agir mais par procuration.
Siné, qui en appelait la semaine dernière au retour de la « lutte des classes », affectionne tout particulièrement de se mettre en scène, ce qu’il réitère ici de manière détournée, donnant une signification politique de premier plan à son nouveau rôle de patron de presse.
Le « vieux » Siné a, cette semaine, imaginé un dessin de « une » certainement plus inattendu que celui produit par son historique concurrent. Du point de vue de la « couv », Charlie Hebdo n’a, de notre point de vue, pas encore tout à fait trouvé sa nouvelle formule… magique.
Guillaume Doizy, le 9 septembre 2009