A lire l'article de Bruno de Perthuis dans le Gavroche N° 148 : octobre/novembre/décembre 2006
Jaurès et Clemenceau à travers la carte postale satirique. Pour plus d'informations, http://www.gavroche.info/
Tant que la Troisième République consacrait son énergie à lutter contre les forces de réaction qui la menaçaient dans son principe même, les dirigeants ont privilégié la bataille politique au détriment des questions sociales. En 1906, l’opposition monarchiste et réactionnaire étant abattue, le nationalisme affaibli par ses errements pendant l’affaire Dreyfus, et l’Eglise ayant reçu des coups fatals, la priorité revient aux questions sociales. Aussi, la liste des revendications ouvrières est-elle longue : repos hebdomadaire, journée de huit heures, salaire minimum de 5 francs par jour, reconnaissance du droit des fonctionnaires à se syndiquer. Jamais n’a-t-on encore vu autant de grèves accompagnées parfois de sabotages et de bagarres sanglantes, que pendant le premier semestre de 1906. Mais après le « coup de Tanger » de mars 1905 qui fait craindre une guerre avec la puissante Allemagne, le péril extérieur doit également être pris en compte. Les nationalistes profitent de ce revirement pour reprendre certains avantages. Le Bloc des gauches né de l’affaire Dreyfus va se disloquer, et le ministère va être conduit à gouverner autant contre la droite que contre l’extrême gauche.
Après les élections législatives des 6 et 20 mai 1906 qui ont marqué un écrasant succès pour la gauche, le 12 juin est un jour de grande rentrée parlementaire à la Chambre des députés. Dans le numéro 85 de L’Actualiste 1906, Orens nous montre déjà le gros Jaurès armé d’un arc et d’une flèche, attendant Clemenceau ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Sarrien, qui pénètre avec précaution dans une chambre symbolisant celle des députés. Légende : « Législature 1906 – 1910. La rentrée des Chambres. Socialistes contre radicaux ». C’est la première fois que le Tigre, qualifié aussi de « tombeur de ministères », se trouve chargé d’un portefeuille. Les amateurs de beau langage qui ne veulent pas manquer le « délicat plaisir » de ces joutes oratoires, comme on l’écrit à l’époque, se passionnent pour cet affrontement.
En effet, à la tribune, Jaurès démonte tout d’abord le discours qu’il juge creux de Sarrien, président du Conseil, qui vient de donner lecture de la déclaration ministérielle. Cette dernière n’est pour le tribun socialiste qu’un « programme sablé de bonnes intentions ». Ensuite, Jaurès explique en évoquant les grandes figures de la Révolution, que ces hommes « savaient que le vieux monde était fini, qu’il fallait en emporter les débris et instaurer une société nouvelle ». Puis revenant à la situation actuelle, il proclame que « l’heure est venue pour cette société de livrer son secret ». Enfin, en évoquant l’inégalité des richesses entre les possédants et les travailleurs, il annonce que le Parti socialiste va déposer une proposition de loi sur la transformation de la propriété individuelle en propriété collective, et que la grande question est de savoir si l’expropriation des propriétaires et possédants se ferait avec ou sans indemnité. Se tournant alors vers le gouvernement, et Clemenceau en particulier, il conclut : « Vous n’apportez, vous, que des phrases enveloppées, des solutions incomplètes, une politique hésitante. Vous êtes au-dessous du suffrage universel ». C’est le grand débat sur l’organisation de la société qui est engagé. Le journal Le Temps écrit que « Jaurès préfère la bureaucratie collectiviste à la fertile liberté du capitalisme ». Dans la caricature, c’est avec le numéro 48 du Crayon de juin 1906 que Molynk nous montre Jaurès déclarant à la tribune : « Oui : parfaitement ! Voler les capitalistes est d’utilité publique ». Toujours par Molynk, dans le numéro 108 de sa grande série couleur sans titre (juillet 1906), on découvre le prolétaire se saisissant de toutes les richesses du pays. Légende : « A moi tout ».
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