Lu sur le site www.iloubnan.info :
Les révolutions dans le monde arabe constituent un sujet en or pour les caricaturistes, même si certains dessinateurs de la région ont payé le prix fort pour avoir osé dessiner ce qui était inconcevable il y a encore un an.
"Cette crise dans l'histoire arabe contemporaine est inédite et nous devons en être les témoins", estime le caricaturiste libanais Stavro Jabra.
"Il y a un an, personne n'osait dessiner un roi, un président ou même un député (...). Les dessinateurs arabes me disaient: +tu as de la chance, tu peux tout dessiner toi à Beyrouth. Nous, on est confiné à Israël et aux Etats-Unis+. Aujourd'hui, c'est le déchaînement, la liberté totale", se réjouit-il.
Dès le début des révoltes, ces caricaturistes longtemps muselés ont affûté leurs crayons et commencé à brocarder les dictateurs.
De la Tunisie de Zine Al Abidine Ben Ali à l'Egypte de Hosni Moubarak en passant par la Libye de Mouammar Kadhafi ou la Syrie de Bachar al-Assad, ils s'en sont donné à coeur joie. Une soudaine liberté qui n'a cependant pas plu à tout le monde.
En visite à Beyrouth cette semaine, le célèbre caricaturiste français Plantu, dont les dessins sont à la une du quotidien Le Monde depuis 1985, a tenu à saluer tous "ces dessinateurs qui risquent leur peau", les qualifiant d'"exemples de résistance" et relevant leur rôle de "baromètre".
L'artiste, qui a créé la fondation Cartooning for Peace, s'exprimait en marge d'une conférence sur le rôle des caricaturistes dans les révoltes arabes, organisé par l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), un think-tank français.
Plantu a illustré le courage de ses pairs avec une série de dessins, dont l'un montrant le Syrien Ali Ferzat, les deux mains bandées, qui écrit "Longue vie à la liberté" avec un stylo dans la bouche.
Ferzat, un célèbre dessinateur arabe très critique de M. Assad, a été passé à tabac en août. Sur l'une de ses caricatures, on voit des outils de torture, un homme accroché à un mur par des lanières aux épaules, entouré de mains et de pieds coupés, une scie à côté en sang... sans commentaire.
"Les sbires à Damas l'ont pris, l'ont torturé, l'ont brûlé avec des cigarettes et lui ont brisé les doigts. Son courage est un exemple pour nous tous", dit Plantu à propos de Ferzat, récompensé par le prestigieux prix Sakharov du Parlement européen et actuellement soigné au Koweït.
Plantu a aussi salué le travail d'autres dessinateurs, dont le Libyen Kais al-Halali, abattu en mars juste après avoir, selon des témoins, dessiné des caricatures de Kadhafi sur des murs de Benghazi, berceau de la rébellion qui a provoqué la chute et la mort du dirigeant libyen.
L'une d'elles montrait la botte d'un soldat de l'armée, ornée du nouveau drapeau libyen, propulsant Kadhafi en l'air d'un coup de pied.
La Libanais Stavro Jabra a lui aussi donné libre court à son imagination. Il a dessiné Bachar al-Assad sortant son "long" cou d'un écran de télévision et disant "Tout est calme en Syrie". Un jeune assis en face avec son ordinateur portable lui répond "Pour savoir plus, allez sur Facebook ou YouTube".
Un autre caricaturiste, qui a été en première ligne dans la révolte, est le Tunisien "Z", qui préfère garder secrète son identité.
Dans l'un de ses dessins intitulé "Accouchement imminent de la première démocratie arabe", on voit une femme accouchant, entourée de journalistes qui demandent: "Alors docteur, ce sera une voilée ou un barbu ?", en référence à la victoire des islamistes lors des premières élections post-Ben Ali.
De tels dessins font désormais partie du paysage politique du monde arabe.
"Plus une situation est tragique, plus l'humour est capable de la transformer en comique", rappelle Jean-Louis Guigou, délégué général de l'Ipemed.